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d'autres mains, ou élever sur les corps sanglans de cette auguste famille leur monstrueuse république.

Lorsqu'on traitait les émigrés de contre-révolutionnaires, l'expression était juste et la dénomination exacte: ils voulaient empêcher les démagogues de creuser l'abîme qui n'a pu être comblé que plus de vingt ans après la mort de Louis XVI.

Depuis long-temps une philosophie insensée, qui ne connaissait pas elle-même la portée de ses traits empoisonnés, ennemie de l'autel et du trône, fomentait le trouble dans les esprits en déclamant contre les rois et contre les prétres. Les écrits de la secte avaient fait de nombreux prosélytes, parce que c'est une chose évidente et malheureusement trop prouvée par l'expérience, qu'il suffira toujours de parler contre le pouvoir et contre ceux qui en sont revêtus, quels qu'ils soient, pour éblouir le commun des hommes et égarer la multitude.

L'historien véridique doit convenir que les moeurs dissolues de la cour du Régent pendant la minorité de Louis XV, et qui se prolongèrent durant le règne de ce monarque, ne donnèrent

que trop de prise à la malignité des frondeurs. Du vivant de ce prince, la nation était donc tourmentée déjà de la fièyre révolutionnaire qui devait éclater si violemment sous le règne de son vertueux et infortuné successeur

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Par une faute des plus graves, dès les premières années de ce règne, le gouvernement lui-même alimenta cette fièvre, en soutenant la cause de l'indépendance américaine contre la mère - patrie. Lorsque le marquis de Noailles, ambassadeur de France à Londres notifia au gouvernement britannique le traité d'alliance avec les États-Unis, le roi d'Angleterre ne pouvant revenir de sa surprise : « Est<<< il possible, lui dit-il, que le Roi votre maître << ait signé ce traité? Oui, Sire. - Sans << doute qu'il en a prévu les suites? reprit le <<< monarque. Oui, Sire, le roi de France « est prêt à tout événement. » La réponse de l'ambassadeur était telle qu'il la devait faire par rapport à la guerre qui allait en résulter.

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<< Tout ce que je vois, disait Voltaire en 1762, jette les << semences d'une révolution qui arrivera immanquablemen', << et dont je n'aurai pas le plaisir d'être témoin. »

J.-J. Rousseau écrivait dans son Émile :

« Nous appro

<< chons de l'état de crise et du siècle des révolutions. »>

Mais que de conséquences cette guerre entraînait à sa suite, et bien autrement graves que les succès ou les revers des armes !

Selon le système de balance politique alors en usage, le ministère français ne vit dans l'insurrection des colonies anglaises que l'abaissement de la rivale de la France. Louis XVI, en signant « que les Anglo-Américains étaient de<«<< venus libres du jour où ils avaient déclaré <<< leur indépendance, » ne sentit pas qu'il proclamait une doctrine subversive de la stabilité des couronnes comme du repos et du bonheur des peuples. L'adhésion à cette guerre fit agiter dans la France ces questions de liberté, d'égalité, de république, dont la faction philosophique s'empara avec transport, nouvelle éducation devait produire indubitablement des effets conformes à ses principes.

et cette

Il faut pourtant dire à la louange de Louis XVI, que ce ne fut qu'avec la plus grande répugnance qu'il céda au voeu de son conseil pour s'engager à soutenir la lutte de l'indépendance américaine; et depuis on l'entendit exprimer ses regrets à ce sujet, en avouant qu'on avait profité de sa jeunesse pour l'entraî

ner dans une guerre inconséquente et funeste. L'empereur Joseph II, à qui on demandait son avis à l'égard de ces insurgés républicains, répondit sagement: « Je me récuse, je dois « penser en Roi. »

Outre les idées démagogiques qu'elle fit naître en France, cette guerre eut encore l'inconvénient d'entraîner le gouvernement dans une dépense de 1,200,000,000, lorsque ses finances étaient déjà dans un état de délabrement. A son avénement au trône, Louis XVI trouva 70,000,000 consommés par anticipation sur les revenus de l'Etat, et l'excédant des dépenses sur la recette s'élevait à 22,000,000. Résolu d'apporter la plus stricte économie dans toutes les parties du service, ce prince se laissa entraîner à des idées de réforme que des ministres imprévoyans lui suggérèrent de faire peser sur l'armée, en commençant par sa Maison militaire. Tant de services éclatans rendus par les corps intrépides de cette Maison, tels

que

la prise chevaleresque de Valenciennes par les Mousquetaires, sous les yeux de Louis XIV; les prodiges d'une poignée de Gendarmes de la garde et de Chevau-Légers, à Fontenoy et à

Ettingen, l'héroïsme imposant de ces Grenadiers à cheval qui étonnèrent d'admiration Louis XV aux prises de Gand, d'Oudenarde, d'Osiende, de Nieuport; et surtout l'enlèvement d'assaut de cette place formidable qui a lié tellement les noms de Berg-op-zoom et de Mousquetaires, qu'ils sont devenus inséparables dans la pensée; tant de services éclatans, disons-nous, rendus à l'État par ces corps dévoués au monarque, devaient assurer à jamais leur existence auprès du trône; il était de la prudence et de la sagesse d'en doubler la force numérique, plutôt que de les supprimer, lorsqu'on entendait de tous côtés les menaces sans cesse renaissantes de la propagande philosophique, et l'horrible désir manifesté par l'un des coryphées de la secte, de voir le dernier des Rois étranglé avec les boyaux du dernier des prétres*.

Tant de considérations puissantes devaient éloigner de l'esprit du ministre de la guerre, comte de Saint-Germain, jusqu'à l'idée même d'une suppression intempestive : il n'en fut pas

* Ce sont les expressions atroces et sacriléges du philosophe Diderot.

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