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une contre-révolution à laquelle on ne s'attendait guère; mais c'était autant de lettres de change qu'il tirait sur l'immortalité d'aussi belles actions l'avaient ennobli avant que le roi de France lui donnât des lettres de noblesse. On voyait encore en Suisse une dame de Souris, veuve, riche et belle, sachant toujours au don joindre la façon de donner, et aidée seulement de madame de Besenval, son amie, loger cinq cents fugitifs dans son château, pourvoir ailleurs à la subsistance de plus de quinze cents, et se mettre en correspondance avec toute l'Europe pour fonder et soutenir sa mission. Madame de Staël, à Copet, avait aussi son château ouvert; elle y reçut les Montmorency. Les peuples des religions les plus divergentes, les peuples les plus jaloux de la liberté et jusqu'aux républicains, ont fait consister la vertu dans l'accueil qu'ils ont fait aux émigrés français. C'était une assez belle consolation pour ces braves et fidèles sujets, lorsqu'ils étaient considérés comme des criminels par les révolutionnaires de France, d'être honorablement traités chez toutes les nations, et d'avoir l'univers pour complice. L'émigration, ajoute le publiciste auquel nous empruntons ces détails, n'était autre chose

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qu'une grande protestation de la vérité et de la vertu contre l'erreur présentée dans toute sa séduction, et la corruption pratiquée dans toute sa profondeur. N'eût-elle eu d'autre motif que celui d'un courageux exemple de désintéressement et de fidélité donné au milieu d'effroyables désordres, elle serait assez justifiée. »

Elle fut en effet le plus touchant modèle d'un désintéressement sublime. Tout ce qu'on avait pu échapper de sa fortune, on le mit en commun M. de Marcillac s'engageait personnellement dans un emprunt de deux millions qu'il négociait au nom des frères du roi avec la Hollande; M. Gilbert-de-Voisins, président au parlement de Paris, souscrivit pour 400,000 francs de traites en faveur des princes chefs de l'émigration. M. de Vergennes, fils du ministre, mettait en gage, afin d'en offrir le montant, pour 300,000 francs de diamans, la dernière ressource de sa famille. En Angleterre, M. le président d'Aligre distribua plus de 500,000 francs aux émigrés malheureux. Nous pourrions citer une infinité de traits semblables.

Nous venons de parler des princes, frères du roi, et jusqu'à présent on n'a encore vu, hors de France, que monseigneur le comte

d'Artois; mais c'est que nous voici arrivés à une époque des plus marquantes de l'histoire de l'émigration; celle où Louis XVI et Monsieur tentèrent de se soustraire au joug que leur faisait subir une assemblée usurpatrice. Le désordre continuant en France sans perspective d'aucun terme, et chaque jour de nouveaux outrages venant abreuver d'amertume le roi et son auguste famille, le monarque résolut de sortir de l'affreuse position où il se trouvait depuis le commencement de la révolution, et de se réfugier dans une ville où il pût du moins régler, avec calme et liberté, les institutions qu'il croyait nécessaires au bonheur de la nation. Le 21 juin 1791, il quitta donc secrètement le château des Tuileries et se dirigea sur Montmédy; son frère, Monsieur, comte de Provence, sortit de Paris en même temps, et se dirigea sur Maubeuge. Le roi fut arrêté à Varennes, ramené à Paris comme un coupable, et confiné prisonnier dans son palais *. Monsieur eut le

* Le nommé Drouet, maître de poste à Sainte-Menehould, fut l'auteur de cette cruelle arrestation. Les révolutionnaires le comblèrent d'honneurs à cette époque, si toutefois ce n'est pas prostituer le nom d'honneur que de l'appliquer aux faveurs prodiguées par des factieux à un homme qui

bonheur d'atteindre la frontière sans obstacle. Le public a joui de la relation du voyage de ce prince, tracée de sa propre main en faveur de M. le duc d'Avaray, qui l'accompagna dans sa fuite; nous en retracerons ici quelques fragmens :

« Nous étions convenus de voyager sous le nom de MM. Michel et David Foster, Anglais. Les noms de Michel et de David n'étaient pas pris sans raison: mon linge étant marqué M, et le sien DA; il jugea qu'en cas que l'on vînt à y regarder, il fallait que nos noms supposés correspondissent à ces marques.

« Quand le moment de la séparation fut venu, le roi, qui jusque-là ne m'avait pas fait part du lieu où il allait, m'appela, me déclara qu'il allait à Montmédy, et m'ordonna positivement de me rendre à Longwy, en passant par les Pays-Bas autrichiens. Nous nous embrassâmes bien tendrement, et nous nous séparâmes très- persuadés, au moins de ma part, qu'avant quatre jours nous nous reverrions en lieu de sûreté..... >>

vient de commettre une méchante action. Drouet est mort tout récemment (en mai 1824, à Sainte-Menehould; à l'âge de 62 ans). Puisse-t-il avoir mérité, par un repentir sincère, le pardon d'un Dieu vengeur!

Nous passons sur les détails du voyage de Monsieur, pressés d'atteindre le moment où ce prince acquiert enfin la certitude absolue d'arriver à Mons sans obstacle. « Je commençai, dit-il, par me saisir de ma maudite cocarde tricolore; et, lui adressant ces vers d'Armide:

Vains ornemens d'une indigne mollesse, etc.

je l'arrachai de mon chapeau. ( J'ai prié d'Avaray de la conserver soigneusement, comme Christophe Colomb voulut conserver ses chaînes.) »

Les voyageurs arrivent au faubourg de Mons. « Mon premier soin, dit le prince, fut de me jeter à genoux pour remercier Dieu du recouvrement de ma liberté. Acquitté de ce premier devoir, j'en remplis un non moins sacré et moins doux en serrant dans mes bras mon cher d'Avaray, auquel je pus, pour la première fois, donner sans crainte et sans indiscrétion le nom de mon libérateur... »

Le prince avait écrit au commandant de la place; en attendant sa réponse : « Nous nous mimes, dit-il, à causer avec notre postillon. Je lui demandai d'abord son nom, il me répondit qu'il se nommait la Jeunesse. On sent

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