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d'Utrecht qui la constitua. Il nous reste maintenant à reprendre de ce point pour examiner rapidement l'existence de la république hollandaise jusqu'à nos jours.

Le prince d'Orange avait fait beaucoup pour l'indépendance des provinces, en les unissant fortement contre l'oppresseur commun par un lien constitutif; mais il restait encore beaucoup à faire. L'union naissante était assaillie de toutes parts, et elle n'avait que de faibles moyens à opposer à une puissance colossale. Les Espagnols avaient rétabli leurs affaires dans les provinces méridionales; ils rentraient successivement dans les places. Ils préparaient des armemens considérables. Les calvinistes de France ne pouvaient qu'à peine se suffire à eux-inêmes; l'Allemagne ne fournissait alors des soldats qu'à ceux qui pouvaient donner beaucoup d'or; et la politique anglaise, comme si elle eût prévu les destinées futures de la nouvelle république, ne semblait disposée qu'à l'empêcher de succomber. On pouvait donc avoir de justes appréhensions pour l'avenir, et c'était avec raison que les états firent frapper une médaille, dans laquelle on voyait un vaisseau exposé à la merci des vagues, sans voile et sans gouvernail, avec cette inscription; Incertum quo fata ferant (1).

Mais le génie du pilote devait suppléer à tout ce qui semblait menacer le vaisseau du naufrage. Sa grande âme embrasa celle de ses compagnons d'armes. Les succès du prince de Parme furent balancés, et le développement prodigieux que reçut l'activité intérieure de la nation ouvrit bientôt d'inépuisables ressources. L'Europe eût de la sorte un second exemple de cette incalculable puissance de l'esprit de liberté, qui devait plus tard lui offrir un tableau plus imposant encore.

Cependant Philippe, indigné du démembrement que

(1) Puffendorf, introduction à l'Histoire de l'Univers, tome III, chapitre VI.

subissait sa souveraineté ne crut plus devoir garder de mesures. Il proscrivit le libérateur des Provinces-Unies, et. promit vingt-cinq mille écus à celui qui lui apporterait sa tête. Les états répondirent à cet acte de violence par une déclaration formelle d'affranchissement : c'était en l'année 1781; tout s'était fait encore jusque-là au nom du roi d'Espagne.

L'appel fait au fanatisme par Philippe fut entendu. Guillaume tomba, peu d'années après, sous le poignard d'un assassin suscité par quelques moines; grand homme, qu'on ne peut sans doute pas laver entièrement du reproche d'avoir mêlé quelques vues d'ambition particulière aux élans du plus noble patriotisme!

Sa mort répandit la consternation dans toute la république, mais elle contribua peut-être à augmenter encore l'horreur que faisait éprouver le nom de Philippe II, et par conséquent à accroître l'énergie de la nation pour se soustraire à son joug. Une union plus étroite fut effectuée avec la reine Elisabeth, et ses secours furent obtenus au moyen de l'importante cession des ports de la Brille, de Raemkens et de Flessingue. Enfin, cette princesse envoya aux états un gouverneur général, choisi parmi ses favoris: c'était ce brillant Dudley, comte de Leicester, qu'elle fut, disent quelques écrivains, tentée de couronner. Ce choix fut heureux pour la république, car la légéreté du seigneur anglais révéla facilement les vues secrètes et intéressées de sa cour. L'attention des Hollandais fut éveillée par ses intrigues; ils pressentirent que, soustraits au joug des Espagnols, ils allaient avoir à en redouter un autre. Ils observèrent sa conduite avec défiance, ut bientôt ses nombreuses inconséquences donnèrent lieu à leurs murmures d'éclater hautement. Le comte fut rappelé, et le commandement général fut confié au jeune Maurice de Nassau, digne fils de Guillaume, et qui lui avait déjà succédé dans quelques-unes de ses charges.

TOME III.

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Arrêtons-nous maintenant pour considérer ce gouvernement des stadthouders, définitivement constitué à l'époque où nous sommes parvenus.

Il est manifeste que la pensée dominante des rédacteurs de l'acte d'Utrecht avait été d'opposer avant tout une forte ligue aux efforts puissans du roi d'Espagne. Pour cela, on n'avait pu faire une constitution fédérative, régulière et uniforme; ce travail demandait un temps plus calme. Ce n'était pas alors qu'on avait besoin du concours énergique de toutes les provinces, qu'il fallait risquer de faire naître une foule d'oppositions locales aux besoins généraux de la communauté. Et cela n'eut pas manqué d'avoir lieu chez des peuples qui s'étaient toujours distingués par un attachement scrupuleux à leurs usages constitutifs, si l'on eût tenté d'assimiler aux mêmes formes les gouvernemens respectifs de toutes les provinces. Il fut donc sage de se borner alors à créer un acte de fédération au lieu d'une constitution fédérative.

Le besoin le mieux senti, à cette époque, était que toutes les forces fussent activement dirigées vers un but unique; ce qui ne pouvait être réalisé qu'en réunissant une certainé masse de pouvoirs sur une seule tête. L'acte fondamental créa donc une grande influence dans la personne du stathouder cette influence fut telle, qu'il ne manqua quelquefois dans la suite que le titre de roi au premier magistrat de la république. L'acte fondamental renferme à ce sujet des contradictions manifestes, et l'on peut, dans le fait, dire qu'en Hollande les mœurs publiques ont toujours comprimé les institutions: le gouvernement était sans cesse sur le point de dégénérer en monarchie, mais le caractère national fortement trempé de républicanisme arrêtait toutes les tentatives de l'ambition. Le prince et le peuple avaient sans cesse présente à l'esprit cette déclaration de 1781, où il était formellement exprimé que la volonté générale peut expulser le souverain quand il s'est fait l'ennemi du pays par ses vexations.

Quoi qu'il en soit, on pouvait s'attendre que cette magistrature élevée qu'on créait, tendrait continuellement à s'étendre, et qu'il y aurait dès-lors lutte perpétuelle entre ceux qui en seraient investis et les délégués de la nation, véritables souverains d'après les lois fondamentales. C'est aussi là, en effet, l'histoire du stathoudérat. On voit constamment les princes, décorés de ce titre, chercher à affaiblir l'influence des états-généraux pour accroître la leur; et cette marche donna lieu fréquemment, comme nous allons le voir, à de sanglans excès.

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« Pour peu qu'on réfléchisse sur la constitution des Provinces-Unies, dit un écrivain (1), on n'a pas de peine à » se convaincre que toutes les autorités avaient leur source » dans les régences des villes, puisque leurs députations composaient les états provinciaux, comme les députations » de ceux-ci composaient les états-généraux. Il était donc • très-clair qu'en exerçant une puissante influence sur la » nomination des magistrats dans les villes, on pouvait avoir » des régences, et par conséquent des états provinciaux et » des états-généraux entièrement à sa disposition, c'est-àdire envahir le pouvoir législatif, après avoir été déjà » investi des parties les plus importantes du pouvoir exé» cutif. Et telle fut, en effet, la politique constante des » stathouders depuis Guillaume I jusqu'à Guillaume V, » sans exception.

L'état des Provinces-Unies ne fut donc point, à proprement parler, une république, mais plutôt une union de plusieurs républiques, dont chacune conservait son gouvernement et sa portion de souveraineté (2). Cette souveraineté résidait individuellement dans chaque assemblée d'état des sept provinces, et sur les points d'an intérêt général

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(1) Mémoire sur la révolution de Hollande, par M. Caillard, etc. dans l'Histoire de Frédéric-Guillaume 11, par M. le comte de Ségur, t. i,

(2) Grotius, Apolog., chap. 1.

dans le congrès national portant le titre d'états-généraux. Ce congrès, primitivement composé de la presque totalité des assemblées d'états provinciaux, changea de forme vers l'avé nement de Maurice au stathoudérat. Il n'était rassemblé que rarement, parce que le nombre des députés (ils se montaient quelquefois à plus de huit cents) rendait les délibérations fort longues et fort confuses. Le conseil d'état représentait cette assemblée quand elle ne siégeait pas, et il surveillait l'exécution de ses décrets. Mais une telle disposition parut trop manifestement favoriser le despotisme. Les provinces demandèrent alors qu'on créât une députation permanente choisie au sein des états, et qui jouirait de la portion de pouvoir que la constitution déléguait à ces corps représentatifs. Cette proposition fut adoptée, et alors siégea à La Haye l'assemblée désignée sous le titre d'états généraux, quoiqu'elle n'en fût véritablement qu'une représentation.

On a comparé l'assemblée des états-généraux à un conseil d'ambassadeurs, dont les stipulations doivent être ratifiées par leurs souverains respectifs. Cette comparaison est assez juste, Chaque province avait en effet le droit, en vertu de sa portion de souveraineté, de refuser par ses états son consentement aux mesures adoptées par ses députés aux étatsgénéraux, de concert avec ceux des autres provinces. On voit dans cette disposition, cette ombrageuse inquiétude d'un peuple qui veut préserver ses libertés particulières, même en compromettant par des lenteurs l'action des mesures d'un intérêt général.

On doit comprendre maintenant que, de même que les rapports des députations de chaque province aux étatsgénéraux avec leurs états respectifs, étaient modifiés par la constitution particulière des provinces, la situation politique du stathouder, par la même raison, n'était pas partout la même. Il y avait en effet en lui le capitaine et l'amiral général de la république, et le dépositaire de la portion de pouvoir exécutif que déférait chacune des cons

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