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modération, parce qu'ils reconnaissaient bientôt que ce n'était qu'ainsi qu'on pouvait y régner en paix. Les lois fondamentales étaient respectées, et les institutions réagissaient fortement sur la prospérité publique. Le tableau complet de ces institutions suivra immédiatement cette esquisse.

Au reste, ce n'était plus qu'un vain titre que celui de cercle de Bourgogne. Le traité de Munster avait, à la vérité, reconnu les Pays-Bas comme membres de l'Empire; mais les démembremens successifs que subit cette souveraineté firent d'abord diminuer son contingent pour la chambre de Wezlar; puis enfin l'accomplissement des obligations d'état d'empire fut omise, parce qu'il n'en résultait aucun avantage pour les provinces. Elles ne reçurent jamais, en effet, comme cercle, aucune sorte d'assistance de l'Empire.

CHAPITRE II.

1

Jusqu'à la création du Royaume des Pays-Bas.

Le règne de Joseph II est une espèce d'avant-scène du grand drame de la révolution. Marie-Thérèse avait cédé, dans les dernières années de sa vie, à l'influence qui semblait pousser l'Europe vers une grande réformation politique. Elle avait commencé d'importantes améliorations ; elle avait entamé les priviléges de la noblesse et du clergé de ses états; son fils monta sur le trône pour marcher sur ses traces. Ce prince était doué d'un caractère énergique; son éducation libérale et son esprit philosophique avaient été développés par ses voyages dans plusieurs contrées de l'Europe; il s'était dit que le plus grand bonheur d'un roi était de gouverner un peuple libre: il voulut connaître cette pure félicité.

Malheureusement il oublia qu'avec le despotisme on ne fonde rien, et surtout la liberté; il voulut opérer tout-àcoup une transformation qui, pour être durable, devait

être amenée par les efforts successifs du temps. Tel fut l'objet des mémorables décrets de 1781, qui établissaient les principes d'une juste tolérance à l'égard des chrétiens grecs ou des réformés, abolissaient les droits seigneuriaux et la corvée, etc.; les intérêts de deux classes froissées à la fois se coalisèrent contre son pouvoir. Les peuples, dont l'état social n'était pas encore assez avancé, ne comprirent point la pensée du monarque, et se crurent attaqués dans des chaînes auxquelles l'habitude les avait soumis. Le mécontentement fut général; des troubles s'élevèrent en divers lieux, et le prince expira maudit par ceux dont il avait essayé la délivrance.

Bornons-nous à ce qui se rapporte spécialement aux PaysBas dans ce règne remarquable.

La première tentative de Joseph en faveur de ces contrées eut pour objet l'Escaut, que les traités précédens avaient fermé au commerce des Flamands. Il fit donc déclarer à la Hollande, dans des conférences ouvertes à Bruxelles, pour terminer quelques différends relatifs à l'exécution du traité de la Barrière, qu'il se désistait de toutes prétentions précédemment soutenues par ses ministres, pourvu que la, république accordât à ses sujets belges la libre navigation de l'Escaut et le commerce direct avec les Indes. Il alla même plus loin, car il déclara qu'il regardait ces points comme décidés, et que toute opposition des états-généraux là-dessus équivaudrait à ses yeux à une déclaration de guerre. La république, peu intimidée, allégua les traités, et posta une escadre à l'entrée du fleuve. Quelques vaisseaux flamands. qui tentèrent de forcer le passage, furent obligés d'amener pavillon. Ceci se passait dans l'année 1784.

La guerre paraissait inévitable; mais il n'y avait encore des deux côtés que de faibles préparatifs. L'Europe, comme au temps de la compagnie d'Ostende, s'intéressa à cette querelle toute commerciale. Comme on commençait à sentir la force de l'opinion, chaque parti voulut la fixer en sa

faveur. Des écrivains entrèrent dans la lice. Linguet publia pour l'empereur des Considérations sur l'ouverture de l'Escaut, auxquelles le jeune Mirabeau répondit, excité par le ministère de France. On alléguait pour les Pays-Bas, le droit naturel, qui voulait qu'un peuple pût jonir de la navigation entière d'un fleuve, quand une grande partie de son cours avait lieu sur son territoire. On mettait en avant, du côté de la république, les grands travaux qui avaient fait des embouchures une véritable propriété de l'industrie hollandaise. On disait que la sûreté même des Provinces-Unies exigeait la fermeture de l'Escaut; on prétendait ( ce qui mérite sans doute d'être remarqué) que les avantages commerciaux qui résultaient pour la Hollande de ces restrictions opposées au commerce de la Belgique, avaient spécialement déterminé les états-généraux dans tous les temps à ne point faire valoir leurs prétentions sur les Pays-Bas, comme ayant été anciennement unis à leurs provinces. La médiation de la France termina cette discussion. Par le traité de Fontainebleau, en 1785, le traité de Munster fut confirmé, et l'Escaut interdit de nouveau aux Belges. Une somme d'argent délivra la république de toutes les autres prétentions impériales (1). La Belgique fut donc encore sacrifiée par cette transaction.

Les habitans des Pays-Bas avaient vu avec enthousiasme l'empereur s'occuper de leur rendre cette précieuse navigation de l'Escaut, que les Hollandais leur disputaient avec tant d'opiniâtreté. Le dénouement de cette importante af-1 faire les mécontenta, mais bientôt d'autres essais non moins irréfléchis de Joseph excitèrent des troubles, sur lesquels il est nécessaire de donner quelques détails, dans notre pays, surtout où l'on n'a prêté qu'une faible attention à des événemens dont la gravité devait naturellement être effacée par tout ce qu'il y a de mémorable dans l'histoire nationale à cette époque.

(1) Soulavie, Mémoires du règne de Louis XVI, tome V.

L'empereur voulut donc, en 1786, opérer l'organisation' nouvelle qu'il méditait. Les Pays-Bas furent divisés en neuf cercles, ayant tous un capitaine ou intendant pour chef. Puis, au commencement de l'année suivante, le gouvernement général communiqua aux états des provinces, aux tribunaux supérieurs, aux corps des villes, deux diplômes constitutifs, l'un relatif à l'administration, l'autre à un nouvel ordre judiciaire. Une foule de dispositions de ces deux décrets violaient ouvertement les capitulations et priviléges des provinces, et ils étaient opérés sans le concours des états; c'en était assez sans doute pour exciter en Belgique de vives alarmes, mais les termes impératifs dans lesquels on les avait conçus suffisaient seuls pour les faire répudier. Tel était le début de l'un d'eux : «Joseph, par la grâce » de Dieu, etc., ayant résolu de donner au gouvernement général de nos provinces belgiques, une forme nouvelle › pour la direction et l'expédition la plus prompte et la plus régulière des affaires de son ressort, nous statuons ⚫ et ordonnons les articles suivans:

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■ I. Nous supprimons les trois conseillers collatéraux et la secrétairerie d'état, etc. »

Des réclamations assaillirent de toutes parts le réformateur. La requête des états de Flandre est remarquable, et peut donner une idée de la situation de l'esprit public dans ces provinces, à l'époque dont il s'agit. Après avoir demandé la permission de réclamer au pied du trône l'exécution du traité solennellement juré au jour de l'inauguration de l'empereur, comme comte de Flandre, les députés exposaient avec force toutes les violations à ce pacte fondamental, qu'entraînait l'exécution des diplômes impériaux. Ils terminaient ainsi :

• A ces causes, nous venons avec les plus vives et les plus respectueuses instances nous prosterner au pied du trône, et vous supplier, Sire, de nous maintenir dans la conser

vation de tous les avantages qui nous sont assurés serment inaugural de Votre Majesté.

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» De révoquer, en conséquence, les édits portant atteinte à notre constitution et à nos droits.

» De rétablir en Flandre un conseil d'appellation, où les fidèles sujets de cette province puissent obtenir droit et juspar des juges instruits dans leurs lois et coutumes.

tice

» D'assurer la conservation des abbayes, chapitres et communautés ecclésiastiques et religieuses; de pourvoir d'abbés réguliers les maisons sans chef, ainsi qu'il a toujours été fait, et de ne pas en établir de commandataires.

» De ne plus supprimer de maisons religieuses, et de confier aux états l'administration de celles qui ont subi ce sort en Flandre.

» De conserver aux magistrats des villes et châtellenies respectives l'administration de la police et des deniers publics.

» D'ordonner que tous commissaires départis seront soumis à la constitution du pays et à l'état, sans pouvoir empiéter en aucune manière sur les droits et priviléges appartenant aux magistrats.

» De conserver à la jurisdiction ordinaire la tutelle des mineurs.....

De conserver la députation des états et leurs assemblées dans la capitale de la province sur le pied antérieur, en leur conservant aussi l'administration des deniers publics.

Nous supplions enfin, en cas que quelque innovation fut jugée nécessaire, de ne pas l'introduire sans le concours des états, qui, s'il en arrivait autrement, ne pourraient' s'abstenir, le pacte inaugural à la main, de réclamer et de protester contre toutes les infractions qui en résulteraient.

L'agitation fit de rapides progrès quand on eut reconnu que la ferme volonté de l'empereur était de n'avoir point égard à ces représentations. Des corps de volontaires se formèrent dans plusieurs provinces, et quelques états refusant les subsides au gouvernement semblaient ainsi disposés

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