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un premier ministre. Ce titre fut supprimé en 1518, et remplacé par celui de chef du conseil privé.

Charles V établit un gouvernement plus régulier, et qui exista avec quelques modifications jusqu'à la révolution. Il institua trois conseils appelés collatéraux, parce qu'ils sont ad latus principis, siégent dans son palais, et deviennent en quelque sorte une nécessité de sa couronne. Ces trois conseils furent le conseil d'état, où se délibéraient les grandes affaires du pays, telles que la guerre ou la paix, les alliances, etc.; le conseil privé destiné à s'occuper spécialement des affaires de justice; enfin le conseil des finances, que son titre explique suffisamment. Les lettres-patentes de création sont de 1531 (2). Telles étaient alors, avec le systême municipal fortement institué dans les villes, avec les états des provinces et les états-généraux extraordinaires, les institutions des Pays-Bas. Ainsi naissait l'harmonie, le souverain se contentant, dit le cardinal Bentivoglio, d'une autorité bornée par les droits du pays, et le peuple d'une liberté modérée par les droits de la couronne.

Sous ce règne de Charles V enfin fut consolidé un établissement dont la création était antérieure à son règne, et dont l'affermissement devait asseoir l'existence de cet état sur de solides bases. Maximilien, en voyant réunis sous son sceptre l'empire et les Pays-Bas, jugea politique d'unir l'une à l'autre ces deux grandes parties de sa domination; en con÷ séquence, il érigea les dix-sept provinces belgiques en cercle de l'empire, dit cercle de Bourgogne : mais cette création souffrit de longues difficultés. On s'opposa d'abord de part et d'autre à son entier accomplissement. En Empire, on vit avec une espèce de sentiment jaloux un état étranger appelé par la volonté du souverain à jouir de toutes les hautes

(1) Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, in.8°. 1784.

prérogatives, que se garantissaient mutuellement les membres de la fédération germanique. Dans les Pays-Bas, l'esprit d'indépendance naturel aux peuples conçut quelques allarmes de cette alliance si puissante qu'on lui proposait. Cette seule possibilité de l'intervention des Allemands dans les affaires intérieures du pays suffisait pour y faire répudier cette mesure. Elle ne fut donc point regardée comme définitivement adoptée et passée en loi.

Le bras vigoureux de Charles V acheva ce que le caractère circonspect de Maximilien avait simplement essayé. Toutes les difficultés furent applanies par la transaction d'Augsbourg en 1548: son objet fut d'assurer au nouveau cercle une protection qui lui fût toujours utile, et qui ne pût jamais lui être préjudiciable. Ce traité, conclu avec l'empire, et ratifié par les Etats des provinces belgiques, portait donc érection des dix-sept provinces et du comté de Bourgogne en cercle, aux conditions suivantes :

1° Que lesdits pays seraient, sous la protection de l'empereur et de l'empire, associés à tous les priviléges, immunités et droits de l'Empire;

2o Qu'ils seraient maintenus et défendus, comme les autres membres de l'empire;:

3o Que le souverain des Pays-Bas aurait droit d'envoyer des ambassadeurs, avec séance et voix à la Diète, sur le même pied que l'archiduc d'Autriche;

4° Que dans les contributions de l'Empire, soit en troupes, soit en argent, le cercle de Bourgogne fournirait autant que deux électeurs;

5o Que lorsqu'il s'agirait d'une guerre contre les Turcs, le cercle contribuerait autant que trois électeurs;

6° Qu'à la réserve du cas concernant les contributions de l'Empire, auxquelles le souverain et les états du cercle de

(1) Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas Autrichiens, tom. I.

Bourgogne auraient nommément consenti, les provinces demeureraient exemptes de toutes obligations envers l'Empire, ainsi que de toutes jurisdictions impériales. » Tels sont les points sur lesquels nous devions nous arrêter; (1) reprenons la suite des événemens.

L'humeur turbulente des Belges avait marqué de quelques troubles le règne brillant de Charles V; mais ils furent passagers, et n'altérèrent que partiellement les prospérités commerciales et industrielles de ces provinces. Toutefois un orage se formait. Les nouvelles doctrines religieuses agitaient les esprits, et malgré les soins du gouvernement de l'empereur, elles faisaient des progrès, surtout dans les parties septentrionales. Telle était la situation du pays à l'époque où Charles, las de gloire et de pouvoir, quitta la pourpre et endossa le froc.

Le règne de celui qu'on devait surnommer le démon du midi s'ouvrit sous de brillans auspices. Les Belges attachés à son sang se montraient disposés à le servir avec enthousiasme. C'était par leur belle gendarmerie, si renommée sous Charles V, qu'il triomphait à Saint-Quentin et à Gravelines; et leur célèbre et malheureux comte d'Egmont avait dans son armée la plus grande part à ces victoires. Cependant, on devait prévoir dès-lors que la guerre étrangère pouvait seule maintenir des dispositions amicales entre un prince comme Philippe, dont le naturel paraissait porté vers le plus sombre despotisme, et un peuple comme les Belges, dont l'esprit de liberté fondait surtout le caractère national.

A peine la paix de Cateau-Cambresis fut-elle signée, que Philippe se hâta de retourner dans son Espagne, où l'action de son gouvernement pouvait mieux répondre aux inspirations de son farouche et sanglant génie. Il laissa, pour gouverner les Pays-Bas, Marguerite d'Autriche, fille naturelle de Charles V,

(1) Histoire de l'Empire, etc.

et lui donna pour conseil le fameux évêque d'Arras, cardinal de Granvelle. Il ne crut plus alors devoir garder de mesures; ses ordres formels furent de détruire l'hérésie avec le fer et la flamme. Les édits barbares que Charles-Quint semblait avoir abandonnés dans ses dernières années furent remis en vigueur; enfin un conseil de sang ( c'est le nom qu'on lui donna à cette époque), un tribunal d'inquisition, vint siéger dans ces belles contrées pour en faire une arène de carnage, et y assurer le triomphe de l'hérésie.

Par tout ce qu'on a dit précédemment, on doit comprendre quelle impression produisirent ces mesures. L'agitation fit en peu de temps de rapides progrès. De fortes représentations parvinrent au pied du trône. Le roi parut y céder d'abord en éloignant le cardinal, mais ce fut pour combler bientôt après la mesure, en y envoyant ce farouche duc d'Albe, dont la mémoire doit être éternellement en horreur à tous les amis de l'humanité. La gouvernante Marguerite demanda son rappel, et l'obtint. Les provinces se trouvèrent alors entièrement livrées au glaive du misérable Espagnol. Il n'y eut plus de lois que ses caprices. Toutes les antiques libertés furent outragées, toutes les jurisdictions méconnues; des échafauds furent dressés partout, et des satellites transformés en juges, envoyèrent chaque jour des victimes à la mort.

Cependant l'aurore d'un temps plus heureux luisait déjà, Un homme, doué d'une âme forte et d'un esprit ardent, dévorait en silence les outrages et les calamités qu'on prodiguait à sa patrie. Il observait. les progrès du mécontentement public, et méditait une lutte qui devait renverser la tyrannie. C'était le célèbre Guillaume de Nassau, prince d'Orange. Deux seigneurs, le comte d'Egmont, dont nous avons parlé, et le comte de Horn, issu d'une des plus illustres familles des Pays-Bas, secondaient ses généreuses résolutions: toutes les espérances étaient tournées vers ces trois grands citoyens, et c'était le point où se concentraient les

dispositions hostiles et violentes que le gouvernement accumulait contre lui.

Quelques associations partielles s'étaient formées dans les provinces. Une réunion de quatre cents gentilshommes ose, en 1566, venir porter une requête à la gouvernante. Là, cette princesse ayant témoigné quelque crainte en voyant le chef de cette troupe aussi bien accompagné : Ne craignez rien, madame, répond un courtisan, CE SONT DES GUEUX! Ce mot retentit aussitôt dans toutes les provinces, et il aide à réunir des élémens épars. Les gueux forment alors une vaste confédération, qui n'attend plus que le moment de prendre les armes. La noblesse prend avec enthousiasme les emblêmes de la gueuserie. Elle porte un vêtement gris, et l'humble besace du mendiant; on voit au cou des plus hardis une médaille sur laquelle est l'effigie du roi, et de l'autre deux mains jointes, avec ces mots : Fidèles jusqu'à la besace. Les écussons et les valets sont décorés des mêmes signes. Enfin tous les chants des assemblées évangéliques se terminent toujours par ces cris mille fois répétés : VIVENT LES GUEUX (1)!

Le duc d'Albe crut abattre les esprits en redoublant de fureur. Les comtes d'Egmont et de Horn furent traînés à l'échafaud, comme pour apprendre aux peuples jusqu'où pouvait aller le confident de Philippe II: ses agens remplis du cruel délire qui l'agitait, se signalèrent par les plus déplorables excès; et pour célébrer de sanglans triomphes, ils érigèrent une statue au scélérat pour qui l'on eût dû créer de nouveaux supplices.

Des taxes ruineuses qu'il voulut établir amenèrent la fin de sa tyrannie. C'était dépasser toutes les bornes; aussi le soulèvement fut-il général. On courut aux armes de toutes parts; les ecclésiastiques mêmes déclarèrent qu'on devait résister à l'oppression. Il fut rappelé en Espagne. Les habitans

(1) Introduction à la révolution des Pays-Bas, 1784.

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