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munes luttaient de concert contre l'aristocratie; que l'Allemagne subissait toutes les conséquences de la féodalité et voyait les feudataires de tous les degrés, s'arracher les fractions de son sol et les lambeaux de sa couronne, un petit coin de terre donnait un grand exemple: les communes plus éclairées, plus industrieuses, plus énergiques entraient seules dans la lice avec la chevalerie; fondaient et maintenaient leurs droits, et préparaient une révolution qui devait exercer une haute influence sur les destinées de l'Europe. Tels sont les aspects divers sous lesquels se présente l'histoire à l'époque du régime féodal; aspects trop peu médités sans doute par les écrivains modernes, et que nous ne pouvons qu'indiquer simplement dans cette esquisse.

On n'entreprendra pas ici de tracer l'histoire de ces divers comtés, jusqu'à l'époque où ils tombèrent tous successivement sous le joug d'une maison puissante. Ce serait une énumération fastidieuse de princes, dont plusieurs, à la vérité, ont reçu de leurs contemporains, les titres de grand et de magnanime; mais sur l'existence desquels la postérité n'en a pas moins jeté le voile de l'oubli. Le seul comté de Hollande compte vingt-six souverains dans un espace de cinq siècles, depuis les premiers dont on connaisse d'une manière un peu claire l'institution, jusqu'à cette comtesse Jacqueline, qui fut obligée de livrer sa souveraineté au duc de Bourgogne. Au reste, l'histoire n'offre ici, quoique dans un cadre moins vaste, que ce qu'elle offrait alors partout: des guerres sanglantes pour la possession ou la suzeraineté de quelques Faillages, des rivalités funestes entre les grands, des calamités déplorables souffertes par les peuples, des fables absurdes sans cesse répétées par les anciens écrivains, telles par exemple, que celle qui est relative à une certaine comtesse, laquelle enfanta d'une seule portée, le jour des palmes, trois cent soixante-cinq enfans, lesquels furent tous baptisés dans deux bassins de cuivre ; ( qu'on montre encore, dit-on,

dans l'églige de Losdunen, près de La Haye), pour avoir refusé avec dureté l'aumône à une vieille femme (1). Voilà quelle est l'ancienne histoire de ces provinces. Passons à l'exposé plus intéressant de leur réunion.

CHAPITRE II.

Jusqu'à Charles V.

C'est ce qu'on appelle l'histoire de Bourgogne, que nous avons à tracer dans ce chapitre, et nous nous efforcerons d'autant plus de l'exposer avec clarté, qu'il y a sans doute, pour le plus grand nombre des lecteurs, quelque confusion dans ces diverses dynasties de rois, comtes ou ducs de Bourgogne, dont l'histoire nationale fait si souvent mention. C'est là le motif qui nous fait reprendre un peu plus haut, qu'il ne serait absolument nécessaire.

Les Bourguignons, nation d'origine germanique, habitaient vers les bords du Rhin, à l'époque de la grande révolution qui changea la face du monde civilisé. Le christianisme prospérait parmi les hordes qui composaient ce peuple. On est fondé à croire que leur caractère était en général, un peu moins farouche que celui des autres nations voisines.

On était depuis long-temps dans l'usage d'armer les Barbares entre eux, et de se servir des uns pour détruire les autres. C'était une pratique sans danger dans des temps de prospérité, où ces auxiliaires ne pouvaient être que d'aveugles instrumens d'une force supérieure: mais sous des princes faibles et divisés, ils devaient contribuer à la chute de l'empire. C'est ce qui eut lieu lorsque le perfide Stilicon appela les Bourguignons dans la Gaule, au commencement du cinquième siècle. Il reçut, l'année sui

(1) Histoire des comtés de Hollande, in-8. La Haye, 1664.

vante, sur l'échafaud, le prix de sa trahison; mais les Bouguignons, qui s'étaient répandus à sa voix dans tout l'est de la Gaule, s'y maintinrent malgré tous les efforts de ses successeurs.

Ainsi fut fondé le royaume de Bourgogne. Gondicaire, simple chef des Bourguignons, quand ils avaient passé le Rhin en 407, fut proclamé roi en 413 ou 414. Ce royaume embrassa dans sa plus grande étendue, la Bourgogne moderne, la Suisse presqu'entière, la Savoie, le Dauphiné et une partie de la Provence. La race du fondateur règna 120 ans. Elle s'éteignit alors, et le royaume devint la proie de ces monarques francs, qui se disputaient sans cesse, le glaive à la main, les misérables portions de la Gaule, qui leur étaient dévolues en partage. Il y eut néanmoins un interrègne de vingt-sept ans, depuis la mort du dernier monarque jusqu'à Gontran, premier souverain de la race de Clovis; puis après le troisième monarque de cette race, de cette race, le royaume devint en quelque sorte une annexe de celui de France, tantôt divisée, tantôt possédée intégralement. Le titre même de cette royauté se perdit entre les divers partages que subit le territoire, et d'autres le remplacèrent.

En 855, Lothaire fils du faible empereur qui succéda à Charlemagne, ayant partagé ses états entre ses trois fils, Charles, le troisième, eut la plus grande partie de l'ancien royaume de Bourgogne, sous le titre de royaume de Provence. une autre fraction peu considérable, et qui s'étendait vers la Suisse, forma en 888, pendant les troubles excités par la déposition de Charles-le-Gros, le royaume de la Bourgogne transjurane. La réunion de ces deux états en composa un nouveau qu'on appella royaume d'Arles. Rodolphe, deuxième roi de la Bourgogne transjurane, fut en 933 le premier roi d'Arles. Telles étaient à peu près partout les couronnes dans ces siècles malheureux: posées sur le front des chefs les plus. vaillans, par la main tremblante des évêques, elles suivaient les chances de la fortune. La violence renversait toujours,

l'œuvre de la violence; et l'huile sainte ne garantissait pas toujours du glaive. Il faut dire néanmoins qu'on aperçoit toujours, dans la courte existence de ces états, des traces de ce principe respecté en France sous les deux premières races, et que Montesquieu nous paraît avoir établi, le premier, d'une manière formelle. La couronne était à la fois héréditaire et élective, c'est-à-dire qu'on élisait le monarque, mais qu'il devait être élu dans la dynastie régnante; et il y a là sans doute une combinaison, fort remarquable pour ces âges, du principe d'hérédité, qui est une nécessité de la Monarchie à laquelle ces peuples avaient cru devoir se soumettre et du droit d'élection, qui était une conséquence naturelle, de la liberté absolue dont ils avaient joui long-temps.

Un siècle s'était à peine écoulé, que déjà il s'était formé, au sein même du royaume d'Arles, plusieurs souverainetés héréditaires sous la simple mouvance de l'empire; le nombre en augmenta tellement dans la suite, que cet état se trouva réduit enfin à un vain titre dont les empereurs décoraient leur majesté. Voici comment s'effectua ce démembrement: la plupart des prélats, soit par commission des monarques, soit par abus introduits à la faveur des troubles, se trouvèrent successivement investis des droits régaliens dans la ville de leur résidence. C'est de là que l'archevêque de Lyon tira son titre d'Exarque, ainsi que l'archevêque de Besançon et d'autres évêques de France ou de Suisse, ceux de princes ou de comtes de l'empire. Les princes qui portaient le titre de rois d'Arles, ne conservèrent pas même la souveraineté sur les débris de leur monarchie; quelques portions furent incorporées à la couronne de France. Une autre partie adhéra aux ligues de l'Helvétie, le reste, composé de la Savoie, du comté de Montbeillard, et de l'évêché de Bâle fut admis au rang des états de l'empire (1).

Revenons maintenant à une portion de cet antique

(1) Pfeffel, etc.

royaume de Bourgogne, plus anciennement démembrée. Depuis le partage fameux que les fils de Louis-le-Débonnaire firent entre eux, en 843, la partie du royaume de Bourgogne, située en deçà du Rhône et de la Saône, et qui fut réunie à la France comme portion des états de Charles, n'en fut plus distraite. Elle resta donc sous la couronne de France, avec titre de Duché de Bourgogne; les rois la cédèrent d'abord comme fief à des princes de leur maison, puis simplement ensuite comme apanages reversibles à la couronne, à défaut de postérité directe.

Le duché de Bourgogne fut donné par les monarques à divers princes, depuis un Richard-le-Justicier, le premier que l'histoire fasse connaître, et qui vivait à la fin du neuvième siècle. Mais Robert Ier, dit le Vieux, fils de Robert, roi de France, fut en 1032 le chef d'une race qui posséda ce fief héréditairement. Il n'avait été jusque là en quelque sorte qu'un bénéfice conféré aux princes de la maison royale. Ce Robert fut la souche de ce qu'on appelle la première race des ducs de Bourgogne. Le duc Eudes IV hérita, en 1330, par sa mère, du comté d'Artois et du comté de Bourgogne ; c'était à-peu-près l'ancienne Séquannaise ou la FrancheComté, c'est-à-dire un autre démembrement du royaume d'Arles.

Les ducs de Bourgogne étaient donc encore à cette époque comtes d'Artois et de Bourgogne; on voit que leur puissance s'accroissait. Nous allons lui voir prendre de nouveaux développemens.

Philippe Ier, dit de Rouvre, du lieu de sa naissance, succéda en 1350 à son aïeul Eudes IV, dont on vient de parler. La mère de ce prince était épouse du roi de France Jean, lequel dirigea le duché pendant la minorité de Philippe. A peine âgé de douze ans, il fut marié à l'héritière du comté de Flandre, et déclaré majeur à quinze ans ; mais il mourut peu de temps après sans postérité. Jean, roi de France, lui succéda dans le duché de Bourgogne. Les lettres

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