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de faire grâce, droit que le roi d'Angleterre exerce avec les applaudissements de sa nation; car les anglais désirent que le roi fasse beaucoup de grâces; les jurés savent fort bien qu'il y aura au moins un tiers et souvent la moitié de leurs jugements qui ne seront pas exécutés : ils le savent et ils s'en applaudissent.

Et remarquez, Messieurs, que, par un mouvement dont la promptitude me paraît inexplicable, (Murmures) les mêmes hommes qui ne voulaient pas avant-hier qu'on pût condamner un seul homme à mort, ne veulent plus aujourd'hui qu'on puisse faire grâce à un seul condamné : ou plutôt cette prévention me paraît fondée sur un préjugé qui peut souvent nous égarer.

Si nous représentons sans cesse le pouvoir exécutif comme un hors-d'oeuvre de la Constitution, comme un pouvoir menaçant pour la nation, nous ne pouvons pas trop le détruire. Si nous le considérons au contraire comme le nerf de l'Etat, comme l'unique moyen de faire perpétuer dans le royaume la Constitution qu'on lui donne, nous ne détruirons pas les pouvoirs qui doivent être délégués par la nation et qui ne peuvent tourner qu'à son profit. En matière criminelle, le roi ne peut jamais faire seul l'application de la loi, mais il doit seul juger si la loi peut n'être pas exécutée contre tel ou tel individu.

J'entends dire dans cette Assemblée : mais si le roi est l'exécuteur de la loi, il n'en est donc pas le dispensateur. Voilà, Messieurs, une grande erreur. Il est l'exécuteur de la loi, mais il s'agit de savoir s'il peut dispenser de l'exécution d'un jugement particulier. (Murmures.) L'exécution générale est un devoir du roi. Il doit favoriser, protéger, ordonner l'exécution de la loi; mais je maintiens que le droit de faire grâce est une partie du pouvoir exécutif. Cela est tellement démontré que si vous ne l'accordez pas au roi, bien certainement vous ne l'accordérez à per

sonne.

Enfin, Messieurs, quand on parle aux représentants d'un peuple généreux et sensible.... (A gauche : Ah! ah !)

Plusieurs membres à droite: Cette conduite est indécente.

M. Malouet. Il serait véritablement curieux de savoir quelle est la personne qui s'arroge le droit de censure sur l'Assemblée nationale.

M. Delavigne. C'est l'abbé Raynal.

. l'abbé Maury. Souffrez qu'une partie des citoyens, qui fera en sorte de n'avoir pas besoin de grâce fasse tous ses efforts pour que le droit de grâce soit accordé au roi. Je dis, Messieurs, et la nation ne me dementira pas, que si cette question était agitée au milieu des communes du peuple français, ce même peuple porterait avec acclamation, au trône de son roi, cette belle prérogative de fermer les tombeaux.

M. Gualbert. Il n'est personne ayant quelque connaissance du droit public qui ne sache que c'est la plus belle prérogative de la couronne. Qu'on mette aux voix, par appel nominal, cette proposition, et nous verrons qui osera s'y opposer.

M. l'abbé Maury. Je ne demande pas un pouvoir dont le roi ne puisse pas abuser, car on abuse de tout; on abusera même des Assemblées

:

nationales, et ce n'est pas une raison pour les supprimer. Quelle est belle cette prérogative de pouvoir sauver la vie à son semblable; de pouvoir se dire à soi-même aujourd'hui j'ai empêché un infortuné de terminer, dans la douleur et dans l'opprobre, le cours de sa vie ! Cicéron, qui le savait bien autant que nous, ne cessait d'en vanter les douceurs à César, parce qu'il savait en même temps qu'il importait au bonheur du peuple de nourrir l'âme de son roi de ces sentiments exquis, de ces sentiments d'humanité qui éveillent la sensibilité au fond du cœur des rois, souvent trop éloignés des misères humaines. Il savait qu'il ne fallait pas faire du roi une loi, c'est-à-dire un rocher. Il faut en faire un homme sensible, il faut lui accorder le droit de faire des grâces, il faut lui laisser cette toute-puissance pour le bien; il faut que sur le trône, où il a des peines qui lui sont exclusivement réservées, il ait aussi des douceurs et des consolations qui n'appartiennent qu'à lui seul. (Applaudissements à droite).

Il faut vous rappeler que c'est à nous, représentants amovibles de la nation, qu'est réservée toute la rigueur de la législation. C'est bien assez pour nous, Messieurs, d'être obligés, par les grandes considérations de l'intérêt du bien public, de décréter la peine de mort, sans que dans notre Code nous prenions la précaution barbare de prémunir des hommes contre la grâce même du chef suprême de l'Etat. Non, Messieurs, cette précaution n'est pas digne de vous; cette condition ne convient point à des législateurs: elle serait la plus barbare de toutes les lois, elle serait une loi inouïe dans l'histoire des nations.

On a accordé à des généraux d'armée le droit de faire grâce vous le leur accorderiez vousmêmes, si vous signiez aujourd'hui la patente de leur commandement; et le roi, le chef suprême de l'Etat, sera privé de ce beau droit qu'il ne pourra jamais diriger contre la nation, de ce droit dont l'abus même serait excusable, parce que tous les abus de clémence et de miséricorde trouvent leur excuse au fond de toutes les âmes sensibles. Vous avez assez limité la prérogative royale, vous avez cru devoir prendre des précautions contre les erreurs et les infidélités des ministres; mais, dans ce moment, vous attaqueriez une grâce qui tient essentiellement au fond du cœur de tous les bons rois, une prérogative dont ils doivent être infiniment jaloux, une prérogative dont vous ne sauriez les priver sans les déshériter du sentiment le plus doux qu'ils puissent goûter sur leur trône, sans les dénoncer aussitôt à la nation comme des gens que vous avez crus assez peu dignes de sa confiance pour ne mériter pas même d'exercer ce droit.

Non, Messieurs, je le répète, des Français, des hommes, des législateurs, n'opposeront pas cette barrière à la clémence du roi; ils ne lui contesteront pas le droit de faire grâce; ils ne s'imagineront pas servir la cause publique en enlevant au pouvoir exécutif tous les pouvoirs qu'ils ne peuvent exercer eux-mêmes; en anéantissant tous les pouvoirs dont ils ne peuvent pas s'emparer. (Applaudissements à droite.)

J'excepterais, Messieurs, très volontiers les crimes de lèse-nation, et contre lesquels le Corps législatif aura décrété qu'il y a lieu à accusation. Remarquez que, dans les occasions où les coupables sont très multipliés, dans l'insurrection d'une ville, d'un régiment par exemple, on eût bien fait d'accorder grâce par des lettres d'amnistie. Vous ne pouvez pas l'anéantir ce

droit-là, parce qu'il est impossible, dans plusieurs circonstances, d'exécuter les lois à la rigueur.

M. Duport. Si je voulais opposer déclamations à déclamations, je dirais que la prérogative du droit de faire grâce, remis entre les mains du roi, ne serait vraisemblablement, comme tous les autres actes qui émaneront du pouvoir exécutif, que l'expression de ceux qui l'entourent habituellement. (Applaudissements à gauche; murmures à droite.)

M. l'abbé Maury. Je demande que cette question ne soit pas jugée aujourd'hui.

M. Duport. Je disais donc que, de la manière dont on envisage les choses et les personnes dans l'atmosphère du pouvoir exécutif, je doute que la cause du peuple, celle des citoyens, fût la mieux écoutée. (Applaudissements.)

On a dit que la clémence était un devoir des rois; on a cité à cet égard tous les rois qui existent et notamment celui d'Angleterre. On devrait se borner à cette seule citation, car c'est dans ce pays seul qu'il existe une Constitution dans laquelle les droits des hommes ont été plus ou moins respectés, mais où du moins ils ont été reconnus; il est temps de faire cesser le prestige qu'on a voulu nous imposer à cet égard.

Il est bien vrai que le roi d'Angleterre a le droit de faire grâce, que les Anglais lui ont en général divisé l'administration de la justice en justice exacte et rigoureuse et en justice d'équité et de clémence. Ils ont bien senti que non pas la clémence, mais l'équité est une portion nécessaire de la justice elle-même. Ils n'ont donné à leurs jurés que le droit de dire purement et simplement leur opinion sur le crime et non sur des circonstances très évidentes qui l'atténuent. Ils ne leur ont donné que le droit pur et simple de déclarer que l'accusé est coupable ou non.

M. Menonville de Villiers. Je demande la parole.

M. Dufraisse-Duchey. Il n'y a qu'à feuilleter tous les registres de la chancellerie sur les grâces accordées. M. Duport, qui est un ci-devant conseiller au parlement, sait bien que sur 100 lettres de grâce, il y en a 90 accordées à la classe la plus malheureuse du peuple. (Murmures.)

M. Duport. Je rends grâce à l'opinant qui m'a interrogé pour me dire d'abord que, sur un très grand nombre d'arrêts qui ont été rendus au parlement, les grâces ont été accordées à la classe du peuple, je vais lui répondre catégoriquement. Il est constant que, tant que l'usage des lettres de cachet a subsisté, l'on ne donnait pas même au peuple cette apparence de justice que les hommes considérables commençassent une instruction criminelle. (Applaudissements à gauche. Murmures à droite.) Votre comité des lettres de cachet peut vous l'attester s'il était nécessaire, car je ne crois pas qu'il y ait un homme de bonné foi qui puisse douter que, dans l'ancienne manière dont la justice était administrée, les hommes prétendus comme il faut, les hommes qui avaient des moyens de fortune ou de crédit, ne trouvassent celui de se soustraire aux premières poursuites de la justice.

J'atteste encore que, dans la manière dont la justice était administrée, il y avait effectivement,

non pas seulement des lettres de commutation, mais étonnamment de sursis qui étaient accordés aux différents criminels et cela surtout au parlement de Paris, par cette raison que les accusés avaient plus aisément accès auprès des hommes puissants qui distribuaient les sursis je ne dis pas que ce soit en faveur des hommes considérables que ces sursis avaient été accordés, car je répète qu'à de très petites exceptions près, jamais un homme considérable n'a été mis en jugement. (Applaudissements à gauche.)

M. de Montlosier. Et M. le duc de d'Aiguillon, au parlement de Bretagne ?

M. Duport. Ce n'était pas sur de simples malheureux que le droit de grâce s'exerçait, c'était en faveur de ceux, de quelque classe qu'ils fussent, qui savaient les intéresser en leur faveur. Cela même a été un objet constant de réclamation de la part des anciens tribunaux, parce qu'ils s'étaient aperçus que l'administration de la justice était extrêmement partiale, et qu'elle ne présentait plus au peuple le seul, le véritable et le plus utile exemple qu'elle puisse leur accorder; une application impartiale de la loi pour tout le monde.

Je reprends mon observation et je dis que la justice des Anglais est divisée, qu'ils ont donné aux jurés le droit pur et simple de déclarer si l'accusé a véritablement commis tel crime; mais quelquefois, par un verdict spécial, ils s'en rapportent aux juges pour savoir si véritablement l'accusé est coupable. Les Anglais ont attribué au roi en général le jugement des circonstances atténuantes, et c'est sur ce jugement qu'est fondé principalement la nécessité du droit de faire grâce attribué au roi ce droit s'exerce par le ministère même des juges qui viennent des sessions; ils rapportent au roi la liste des différents condamnés, et la note des circonstances qui peuvent déterminer une commutation, ou même l'abolition de la peine; et c'est sur cela que le roi exerce un droit nécessaire dans la jurisprudence anglaise voici un autre fondement de ce droit.

Les Anglais ont admis cette doctrine générale de peines, ils ont condamné presque tous les crimes à la peine de mort; ainsi un simple voleur qui vole au-dessus d'un schelling est condamné à mort par la loi. Mais voilà comment ils ont cru qu'il était nécessaire d'établir cette peine, en se réservant de l'atténuer dans les circonstances; ils ont pour principe cette maxime que Cicéron a exprimée, et qui est que la crainte doit aller à tous, et la peine à un petit nombre: metus ad omnes, pana ad paucos. Voilà la base du code pénal anglais. Mais vous concevez que ce serait un système atroce qui ne pourratt subsister dans aucun pays, s'il n'était pas exercé avec miséricorde, et voilà pourquoi dans le sacre du roi d'Angleterre où il est dit qu'il exercera la justice, il lui est imposé de l'exercer avec miséricorde. Ainsi le système anglais est complet, il veut d'une part la peine de mort pour tous, metus ad omnes; et ensuite que les circonstances puissent être choisies, et que le jugement de ces circonstances soit réuni dans les mains du roi, qui est pæna ad paucos. C'est par là que dans de certaines circonstances l'on ordonne une commutation de peine, et que la peine de mort est comme en France à peu près réservée à des crimes atroces.

Voilà le double système des Anglais, et comme vous voyez il résulte évidemment de ce double système la nécessité absolue que le roi d'Angle

terre ait droit de faire grâce. Mais chez nous cette nécessité existe-t-elle ? Non. Le droit de grâce doit-il exister? Je ne le pense pas, parce que selon nous les fonctions des jurés ne se bornent pas seulement à examiner le fait matériel, mais à examiner le fait intentionnel. C'est en examinant les témoins; c'est en confrontant les preuves; c'est en rassemblant les différentes circonstances d'une affaire que l'on est parfaitement instruit du fait.

L'examen du fait appartient nécessairement aux jurés; il serait ridicule de le transférer au roi : comment le roi serait-il mieux instruit du fait que les jurés? Je sens bien comment il le ferait; plus mal, parce que la vérité ne parvient presque jamais jusqu'à lui. (Applaudissements à gauche.) Il est donc évident que les jurés peuvent d'abord examiner le fait dans toutes les circonstances, et ensuite il est évident qu'ils ont une aptitude bien plus grande à connaître la vérité du fait dans toutes ses circonstances, que le roi qui ne peut les savoir que par des gens placés hors du lieu où le délit a été commis, et intéressés en général à lui cacher la vérité.

Cependant, Messieurs, je vous prie de saisir cette distinction qui me paraît très juste; c'est que si vous séparez du droit de faire grâce cette nécessité de tempérer la loi par l'équité, c'est-à-dire que dans telle circonstance la loi ne puisse être rigoureusement appliquée, que restera-t-il du droit de faire grâce? Il ne restera qu'un droit arbitraire, de caprice, qu'il est absolument indigne d'hommes libres d'établir et de souffrir, c'est-à-dire un droit que les despotes n'osent pas avouer; car ils établissent toujours le droit de faire grâce sur les motifs que je viens de vous dire, et si vous les séparez, le droit de faire grâce n'est plus que celui de déterminer sans aucun motif à qui l'on accordera ou à qui l'on n'accordera pas une faveur injuste puisqu'elle est contraire à la loi; voilà ce qui résulte du droit de faire grâce bien décomposé. (Vifs applaudissements.)

M. Dufraisse-Duchey. Le jugement doit être libellé.

M. Duport. On dit que le jugement doit être libellé; je ne sais pas si l'on pense bien à ce qu'on dit, car on vous dit bien qu'il faut que l'application de la loi au fait soit libellée; mais comment cela instruit-il celui qui ultérieurement doit avoir à décider si les circonstances peuvent atténuer le délit? Rappelez-vous, Messieurs, que la procédure par devant les jurés ne se fait pas par écrit. Ainsi il vous faudrait donc, comme en Angleterre, que le roi soit instruit des circonstances par les juges.

En Angleterre cela peut se faire ainsi pour deux raisons; d'abord parce que les juges sont institués par le roi, parce qu'ils reviennent à Londres, après avoir jugé dans les comtés, et ensuite par le respect qui vient du temps, qui vient encore d'autres circonstances, et qui entoure la qualité de juge. Mais je vous demande, Messieurs, quelle sûreté il y aurait pour votre liberté, si les juges en France avaient le droit de déterminer presque nécessairement la volonté du roi, sur tel ou tel individu. Car remarquez bien que les jurés, éparpillés pour ainsi dire, aussitôt après le jugement, il n'y a qu'eux qui pourraient déterminer le roi à faire grâce ou non; or, cela est évidemment_absurde. Ainsi, je pense, Messieurs, qu'en France vous avez pour l'intérêt public, l'équité confondue avec la justice.

On vous a dit qu'on abusait de toutes les institutions, cela est vrai; mais quel est le moyen d'éviter les abus du pouvoir, c'est de remettre le pouvoir dans la main de celui qui n'a aucun intérêt d'en abuser or, il est évident que les jurés qui auront des imperfections, parce que ce sont des hommes, n'ont d'ailleurs aucun intérêt à l'injustice; au contraire, ils ont par eux-mêmes l'intérêt le plus grand à la justice, par la raison qu'ils en font tous les jours l'objet et quant au roi, on se méprend bien, ce me semble, dans la manière dont on en a parlé tout à l'heure. Qui est-ce qui rend le roi nécessaire à notre Constitution? Qui est-ce qui le rend inviolable? C'est qu'il est plutôt un pouvoir qu'un individu. Ainsi ce n'est pas la sensibilité d'un roi, d'un homme, qui doit servir de base à la liberté d'un pays, mais l'exercice régulier d'un pouvoir légal. (On applaudit à plusieurs reprises.) Je pense donc que l'on cherche à égarer la sensibilité de l'Assemblée.

Enfin, l'on vous a dit que, si le peuple français était assemblé en comices, il donnerait unanimement au roi le droit de faire grâce. Tel est l'avantage des gouvernements représentatifs, que le peuple choisit pour le représenter un petit nombre de personnes, afin de se prémunir contre ces mouvements oratoires, avec lesquels, du haut d'une tribune, on pourrait l'égarer. (Nombreux applaudissements.)

M. Menonville de Villiers. La dernière phrase du préopinant m'a beaucoup soulage; je me sentais forcé de commencer par une expression fort dure, mais il m'a rendu libre à cet égard.

Je dois donc dire qu'il n'y a que la plus profonde ignorance de la forme de la législation anglaise, qui ait pu lui faire dire ce qu'il a dit dans cette tribune. Il vous a dit que, dans la forme anglaise, la justice était divisée en 2 branches, dont l'une était livrée aux jurés et l'autre remise au roi. Je réponds que les jurés anglais jugent suivant l'équité en matière criminelle, et j'en cite une preuve à laquelle je défie le préopinant et tous ceux qui l'ont instruit de répondre; c'est le texte même de l'institution du juré anglais. Il y verra que ce n'est pas sur le fait pur et sim le que le juré doit prononcer, mais bien, si le fait a été commis malicieusement; et cela est si rigoureux, que si le mot malicieusement n'était pas compris dans l'acte d'accusation, il serait nul. Les jurés anglais jugent, comme les vôtres, de la moralité des actions; et malgré cela, la nation anglaise a cru devoir laisser au roi le droit de faire grâce avec la plus grande latitude et je crois qu'il faudrait la restreindre en France.

On vous a dit qu'on avait été forcé de lui laisser ce droit, parce qu'à des crimes très peu condamnables, on appliquait toujours la peine de mort; mais on a oublié de vous dire que tous ces crimes-là sont effacés indépendamment de la grâce du roi par le bénéfice du clergé, tellement que dans 136 espèces de félonie, c'est-à-dire de crimes capitaux, il y en a 128 qui sont remises par le bénéfice du clergé.

Ainsi, ce n'est pas d'après le véritable tableau des lois anglaises, que vous devez vous décider, puisqu'il ne vous a pas été présenté. Conservez au roi la prérogative de faire grâce; car enfin il faut la placer chez le roi ou ailleurs.

M. l'abbé Maury. Mais si un coupable est

dans le cas de la mériter, si vous la lui avez promise, à qui la demandera-t-il ?

M. Leleu de La Ville-aux-Bois. A qui Charlemagne l'a-t-il demandée lorsqu'il fut question du prince bavarois ? N'est-ce pas au peuple français assemblé ?

Plusieurs membres: L'ajournement!

M. Charles de Lameth. Je demande que la discussion soit fermée et qu'on mette aux voix l'article du comité; car cette question ne peut faire la plus légère difficulté; il n'y a pas de Constitution si on met quelqu'un au-dessus de la loi.

Plusieurs membres : L'ajournement!

M. Lanjuinais. Il faut savoir auparavant si l'Assemblée renonce elle-même au droit de faire grâce.

Plusieurs membres : La question préalable sur l'ajournement!

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'ajournement.)

M. Charles de Lameth. Il est permis de parler sur l'ajournement... (A droite: Non! non !)... Il y a une tactique à droite qui fait que l'on élève des doutes sur les questions les plus simples, par des demandes ingénieuses d'ajournement. Il n'est jamais entré dans l'esprit d'un seul des membres de l'Assemblée, composant la majorité qui a fait la Constitution. d'accorder au roi le droit de faire grâce. Je soutiens, et il est prouvé que ce sera toujours contre les intérêts du peuple, que ce droit arbitraire sera exercé.

Si ce que je viens de dire est démontré, il est inutile d'ajourner cette question et de perdre du temps. Il n'est pas question de rien enlever au roi, il n'est question que de ne pas lui donner un droit déplorable qui amènerait la destruction du civisme, du patriotisme et de l'attachement à la Constitution... (A droite: Au contraire)... Il sera du devoir de tout bon citoyen de défendre la prérogative constitutionnelle du roi, lorsque nous l'aurons constituée, et ce sera un acte d'incivisme éclatant que de l'attaquer et même de ne pas la défendre, comme doit le faire un citoyen libre, et non pas comme un lâche courtisan.

Je conclus, et je dis qu'il est impossible de mettre le roi au-dessus de la loi. Je ne balance pas à dire que si vous hésitez à prononcer sur une pareille question, vous donnerez à la dernière opinion politique le droit de douter du civisme de la majorité de cette Assemblée. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Malouet. Je demande la parole.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. On ne doit jamais craindre la lumière : le comité est donc bien éloigné de se refuser à une nouvelle discussion sur une question aussi importante. (Applaudissements.)

Plusieurs membres Aux voix l'ajournement! (L'Assemblée, consultée, décide que la suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.) M. le Président lève la séance à trois heures et demie.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du samedi 4 juin 1791, au matin (1).

La séance est ouverte à neuf heures du matin.

M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, d'une lettre du ministre de la guerre, ainsi conçue:

« Monsieur le Président,

« Les instances qui me sont faites chaque jour en faveur du nommé Muscar, sous-officier du 71° régiment d'infanterie, ci-devant Vivarais, détenu en prison depuis l'époque des troubles survenus dans ce corps, me forcent de nouveeu de mettre cette affaire sous les yeux de l'Assemblée nationale.

« J'ai lieu de penser, par le silence que tous les papiers publics ont gardé sur la leitre que j'ai eu l'honneur d'écrire à l'Assemblée le 15 avril dernier, relativement à ce sous-officier, que cette lettre, égarée apparemment dans l'immensité des papiers qui lui sont journellement adressés, n'aura pas été lue.

«Je la transcris ici, et j'ose vous prier de vouloir bien en faire lecture à l'Assemblée nationale.

« Du 15 avril 1791.

Monsieur le Président, des désordres arrivés « dans le 71° régiment, ci-devant Vivarais, à l'époque du mois de janvier 1790, avaient donné « lieu à l'emprisonnement du nommé Muscar, « sous-officier dans ce régiment. L'Assemblée «nationale, par un décret du 16 avril de la même « année, a ordonné qu'il serait sursis à toute procédure.

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Depuis que le ministère de la guerre m'est confié, j'ai toujours désiré que cette affaire pût « être jugée; et dès que les nouveaux tribunaux « militaires entrant en activité m'en ont paru « fournir les moyens, j'ai écrit plusieurs fois à « ce sujet à MM. du comité des rapports. Le co«mité me parait penser que l'Assemblée nationale, en ordonnant un sursis, et en ne décrétant « aucune disposition ultérieure, a eu peut-être « en vue d'ensevelir dans l'oubli des erreurs "commises dans un moment de fermentation et « de troubles. En conséquence, il penche à croire « que le nommé Muscar devrait être mis en liberté; mais il me semble que le décret m'interdit de proposer au roi ce parti.

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« Je vous prie donc, Monsieur le Président, de « vouloir bien prendre les ordres de l'Assemblée « sur le sort de ce sous-officier, et de me faire connaître ce qu'elle aura jugé à propos de dé« cider à cet égard.

« Je suis avec respect, etc.

« Signé: DUPORTAIL. »

M. Muguet de Nanthou, au nom du comité des rapports. Voici le projet de décret que votre comité des rapports m'a chargé de vous soumettre relativement à l'objet contenu dans la lettre du ministre, dont il vient de vous être fait lecture: « L'Assemblée nationale, après avoir ouï le comité des rapports, décrète que le sieur Muscar

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

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M. d'Aubergeon-Murinais. Le comité militaire ne nous a pas encore fait son rapport sur l'insurrection du régiment de Dauphiné; si cette insurrection reste impunie, la vie même des officiers ne sera plus en sûreté.

M. Voidel. L'objet dont parle M. de Murinais fait partie des mesures générales dont les comités réunis s'occupent sans relâche depuis sept jours.

M. Regnauld d'Epercy, au nom des comités de féodalité, d'agriculture et de commerce, militaire et de marine, fait un rapport sur les privilèges exclusifs ci-devant accordés au corps des bélandriers de Dunkerque, bateliers de Condé. Il propose le projet de décret suivant :

L'Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport qui lui a été fait au nom de ses comités de féodalité, d'agriculture et de commerce, militaire et de marine, décrète ce qui suit :

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réunir ces différents dépôts et leur donner une assiette fixe; on ne peut les exposer à des déplacements sans en compromettre le sort.

On y rencontre des manuscrits qui peuvent être précieux, non pas seulement aux annales de la monarchie qui n'offraient alors pour chaque règne que l'histoire d'un roi, d'un ministre et d'un général, mais à l'histoire des mœurs et des usages.

Beaucoup de savants religieux sont morts, si je puis le dire, dans les mines; il faut conserver les morceaux qui sont laborieusement extraits de la carrière, parce que, dans tout ce cuivre, on peut découvrir des paillettes d'or.

Voici le projet de décret que je suis chargé de vous proposer:

« L'Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d'emplacement, autorise le directoire du district de Provins, département de Seine-etMarne, à acquérir, aux frais des administrés, et dans les formes prescrites par les décrets, les deux aîles de bâtiments dépendant de la maison des bénédictins de Saint-Ayont de Provins, l'une au couchant sur la cour d'entrée, et l'autre au midi pour y placer le corps administratif du district.

« L'autorise pareillement à faire procéder à l'adjudication, au rabais, des réparations et arrangements intérieurs nécessaires, sur le devis estimatif qui en a été dressé par le sieur Herbelot, ingénieur des ponts et chaussées, le 21 avril, pour le montant de ladite adjudication être supporté par lesdits administrés.

« Excepte de la présente permission d'acquérir tous les vieux bâtiments, l'église, les jardins et autres terrains non compris dans les objets cidessus détaillés, pour être, lesdits objets vendus, séparément en la manière accoutumée, à la charge, par l'adjudicataire, de laisser 30 à 40 pieds de large au delà de l'aîle du midi desdits bâtiments, et dans toute leur longueur, jusqu'aux vieux bâtiments exceptés de l'acquisition. » (Ce décret est adopté.)

M. Prugnon, au nom du comité d'emplacement, présente un projet de décret autorisant le directoire du district de Bergerac à faire une acquisition pour l'emplacement du corps administratif et du bureau de conciliation.

Ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d'emplacement, autorise le directoire du district de Bergerac, département de la Dordogne, à acquérir, aux frais des administrés, et dans les formes prescrites par les décrets de l'Assemblée nationale, la maison des jacobins de Bergerac, pour y placer le corps administratif du district et du bureau de conciliation.

« L'autorise pareillement à faire procéder à l'adjudication, au rabais, des réparations et arrangements intérieurs nécessaires, sur le devis estimatif dressé par le sieur Martin, ingénieur des ponts et chaussées, le 4 mai dernier ; le montant de laquelle adjudication sera supporté par les administrés.

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