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« Le roi m'ordonne de vous communiquer quelques observations sur l'article 38 du décret sur l'organisation du pouvoir exécutif. Cet article est ainsi conçu:

"

Le pouvoir exécutif ne pourra faire passer ou séjourner aucun corps de troupes de ligne << en deçà de 30,000 toises de distance du lieu des « séances du Corps législatif, si ce n'est sur sa réquisition, ou avec son consentement exprès. » Il existe aux environs de Paris, à une distance plus rapprochée que celle indiquée dans l'article, plusieurs endroits où les troupes sont dans l'usage de loger, tels que Saint-Denis, Pontoise, Melun, Senlis, Luzarche, etc. L'exécution rigoureuse du décret forcerait de les abandonner, parce que dans le mouvement journalier des troupes, il serait impossible d'interrompre les travaux du Corps législatif pour obtenir son autorisation sur le simple passage douné par forme à un régiment qui change d'emplacement.

« Cependant ces gites d'étapes sont lacés sur des directions très fréquentées, et servent aux mouvements qui font porter les troupes des départements maritimes sur ceux du Nord, de la Moselle et du Rhin; leur suppression nécessite des détours considérables, qui augmenteraient les routes, ainsi que la dépense, et augmenteraient considérablement les opérations qui demandent une grande célérité.

« On pourrait obvier à ces inconvénients, en se bornant à instruire l'Assemblée nationale du passage des troupes en deçà de la distance désignée, lorsqu'elles excéderaient 100 hommes, par une note officielle qui indiquerait le nombre des troupes, la date de leur passage et la route qu'elles suivent; mais comme le décret porte qu'il laudra une autorisation expresse du Corps législatif, et par conséquent antérieure à l'envoi des ordres, cette mesure, que Sa Majesté m'a charge de vous indiquer, ne peut avoir lieu que lorsque l'Assemblée nationale aura prononcé si elle l'adopte.

«Je vous prie donc, Monsieur le Président, de vouloir bien lui soumettre cette proposition. Le roi m'ordonne en même temps d'instruire l'Assemblée nationale que dans ce moment des corps de troupes sont placés en demeure en deçà de 30,000 toises de Paris. A Versailles, un régiment d'infanterie et un détachement de cha-seurs, qui fournit également des détachements dans les environs; à Rambouillet, un régiment de chasseurs, qui fournit des détachements aux environs; à Saint-Germain, un détachement de chasseurs. Ces troupes ont été rassemblées par la nécessité de maintenir la tranquillité publique, et sont reconnues très utiles par les corps administratifs, qui en désirent la conservation.

« Je me bo ne donc, aux termes de l'article ci-dessus, à demander que l'Assemblée nationale veuille bien autoriser leur séjour ultérieur dans les emplacements qu'elles occupent. Je suis avec respect, etc...

Signé DUPORTAL. »

M. Prieur. Je demande le renvoi au comité de Constitution. (Murmures.)

M. Démeunier, au nom du comité de Constitution. J'ai l'honneur d'observer à l'Assemblée

que le décret sur l'organisation du Corps législatif, dans lequel se trouve la disposition rappelée par le ministre, dans sa lettre, n'est pas complet, qu'il n'a pas encore été présenté à l'acceptation du roi et que, par conséquent, la loi n'est pas encore faite. C'est le zèle du ministre de la guerre qui le détermine dans ce moment-ci à demander une autorisation, puisque le temps de l'exécution de la loi qui a été rendue n'est pas

encore venu.

Une autorisation n'est donc pas encore nécessaire et le ministre de la guerre peut, sur ce point, ordonner les arrangements qui lui paraîtraient utiles au service public.

Je ne m'oppose pas d'ailleurs au renvoi de la lettre au comité qui présentera de suite à l'Assemblée son avis sur la question; quant à moi, personnellement, je pense qu'il suffira d'en instruire le Corps législatif.

(L'Assemblée décrète que les remarques de M. Démeunier seront insérées au procès-verbal; elle ordonne de plus le renvoi de la lettre et des observations du ministre de la guerre au comité de Constitution pour en rendre compte.)

M. Fréteau-Saint-Just, au nom du comité diplomatique. Messieurs, lorsqu'à la mort de Benjamin Franklin vous décretâtes que l'Assemblée porterait le deuil, vous chargeâtes votre Président d'écrire au Congrès pour lui faire part de votre décision. Le Président du Congrès, M. Washington, vous répondit dans le temps par une lettre qui a été rendue à l'Assemblée nationale.

Aussitôt que le Congrès a repris ses séances, il a chargé le ministre des affaires étrangères de l'Amérique de vous donner une nouvelle preuve des sentiments de fraternité qui l'unissent à ce royaume et du désir sincère de voir continuer la paix et l'union qui règnent entre eux et vous.

Le ministre écrivit donc une nouvelle lettre. C'est cette lettre qui a été envoyée au comité diplomatique et dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture; elle est accompagnée d'une lettre particulière des représentants de l'Etat de Pensylvanie, dont je vous donnerai également lecture.

Voici la lettre de M. Jefferson :

« Monsieur,

« Je suis chargé, par le président des Etats-Unis de l'Amérique, de communiquer à l'Assemblée nationale l'expression de la sensibilité du Congrès pour l'hommage que les représentants libres et éclairés d'une grande nation ont rendu à la mémoire de Benjamin Franklin, par leur décret du 11 juin 1790.

« Il était naturel que la perte d'un tel citoyen excitât de vifs regrets parmi nous, au milieu desquels il vivait, qu'il avait si longtemps et si éminemment servis, et qui sentions que sa naissance, sa vie et ses travaux avaient été intimement liés aux progrès et à la gloire de sa patrie; mais il appartenait à l'A-semblée nationale de France de donner le premier exemple d'un hommage publiquement rendu par le corps représentatif d'un grand peuple au s mple citoyen d'une autre nation; et en effaçant ainsi des lignes arbitraires de démarcation, de réunir, par les liens d'une grande fraternité, tous les hommes bons et grands, quel qu'ait été le lieu de leur naissance ou de leur mort.

Puissent ces démarcations disparaître entre. nous, dans tous les temps et dans toutes les cir

constances, et puisse l'union de sentiments qui mêle aujourd'hui nos regrets, continuer à cimenter les liens d'amitié et d'intérêt qui unissent nos deux nations! Tel est le vœu constant de nos cœurs, et personne ne le forme avec plus d'ardeur et de sincérité, que celui qui, en remplissant l'honorable devoir de transmettre l'expression d'un sentiment public, se félicite de pouvoir en même temps offrir l'hommage du profond respect et de la vénération avec lesquels il a l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

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Signé: TH. JEFferson. › Philadelphie, 8 mars 1791. (Applaudissements à gauche.)

Avant de vous donner lecture de la lettre des représentants de l'Etat de Pensylvanie, permettezmoi de vous donner connaissance de l'extrait de leurs délibérations :

« Nous, députés de la République de Pensylvanie, chambre des représentants, vendredi 8 avril 1791. "L'adresse à l'Assemblée nationale de France lue le 6 du présent mois, a été lue pour la seconde fois et adoptée à l'unanimité; en conséquence, il a été résolu, que l'orateur signerait ladite adresse par ordre de la Chambre et la transmettrait au Président de l'Assemblée nationale de France ».

La lettre des représentants de l'Etat de Pensylvanie a été envoyée à l'ambassadeur de France en Angleterre qui l'a fait passer à M. le Président de l'Assemblée nationale; la voici :

« Monsieur,

« Les représentants du peuple de Pensylvanie ont unanimement manifesté le désir d'exprimer à l'Assemblée nationale de France les sentiments de sympathie qui les attachent à ses généreux travaux dans la cause de la liberté; ils lui adressent leurs félicitations bien sincères sur ses succès, dont ils ont suivi le progrès avec la plus tendre sollicitude et la plus vive satisfaction.

« Une nation qui, déployant une politique si magnanime, et animée du plus noble enthousiasme, a si généreusement interposé sa puissance, prodigue ses trésors, et mêlé son sang avec le nôtre pour défendre la liberté américaine, a droit sans doute à la plus entière réci procité de nos sentiments pour elle, et aux vœux les plus ardents que l'attachement et la reconnaissance puissent exprimer.

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Profondément pénétrés de ces sentiments, nous regrettions sans cesse qu'un peuple brave et généreux, qui s'était fait volontairement le défenseur de nos droits, ne jouît pas lui-même des siens, et qu'après nous avoir aides à nous placer dans le temple de la liberté, il ne retrouvât dans ses foyers que la servitude. Heureusement la scène a changé, et votre situation actuelle excite en nous tout ce que la sympathie la plus douce peut faire éprouver au cœur humain.

« Nous voyons dans ce moment, avec des transports d'affection et de joie, le glorieux triomphe que vous avez assuré à la raison sur les préjugés, à la liberté et à la loi sur l'esclavage et sur le despotisme. Vous avez noblement brisé les fers qui vous attachaient à votre ancien gouvernement, et entrepris, aux yeux del Europe étonnée, une Révolution fondée sur cet axiome pur et élémentaire, que le principe de tout pouvoir réside naturellement dans le peuple, qu'il en est

la source, et que toute autorité doit émaner de lui.

"Cette faine maxime, sur laquelle reposent et dont se glorifient nos constitutions américaines, ne pouvait plus être inconnue ou négligée au milieu du foyer de patriotisme et de philosophie, qui, depuis longtemps, éclairait la France.

« Nous nous félicitons de ce que votre gouvernement, quoique différemment organisé, offre une telle homogénéité de principes avec le nôtre, qu'il ne peut manquer de cimenter l'amitié qui nous unit par des liens encore plus étroits, puisqu'ils seront plus fraternels.

Pour preuve de cette disposition, nous pouvons vous assurer que les suffrages et les sentiments de nos concitoyens se réunissent unanimement dans la plus vive prédilection pour votre cause et pour votre pays. Nous prévoyons avec joie le bonheur et la gloire qui vous attendent, lorsque les ressources dont vous êtes entourés, ces richesses que la nature a répandues sur vous d'une main si libérale, auront acquis toute l'activité que doit leur donner un gouvernement libre.

« Nous nous plaisons à espérer qu'aucune circonstance pénible ou malheureuse n'interrompra votre glorieuse carrière, jusqu'à ce que vous ayez complètement rendu au bonheur d'une égale liberté civile et religieuse, tant de millions de nos frères, jusqu'à ce que vous ayez complètement détruit les odieuses et arrogantes distinctions entre l'homme et l'homme, jusqu'à ce qu'enfin vous ayez fait germer dans l'esprit du peuple l'enthousiaste et généreuse passion de la patrie, au lieu de ces sentiments servilement romanesques, qui concentrent toutes les affections d'une nation dans la personne d'un monarque. (Vifs applaudissements à gauche.)

Mais, tandis que nous considérons avec respect et admiration les principes que vous avez établis, et que nous unissons nos vœux pour qu'ils puissent à jamais braver les attaques du temps, de la tyrannie ou de la perfidie, nous ne pouvons que nous réjouir de ce que, dans les progrès de votre Révolution, vous n'avez éprouvé qu'un petit nombre de ces crises convulsives. (Murmures à droite.) qui se sont si souvent et si fortement renouvelées dans le cours de la Révolution américaine. (Vifs applaudissements à gauche.) « Si notre vif intérêt pour vos succès pouvait s'accroître par quelques motifs étrangers, il suffirait sans doute, pour le porter à son comble, de la réflexion satisfaisante et philanthropique, que, par l'influence de votre exemple, les autres nations de l'Europe apprendront à apprécier et à rétablir les droits de l'homme, et que l'on verra devenir de plus en plus générales ces institutions politiques, dans lesquelles l'expérience aura développé à tous les yeux des principes favorables au bonheur de l'espèce humaine, et convenables à la dignité de notre nature » (Applaudissements.) « Par ordre de la Chambre des représentants :

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Signé W BINGHAM, orateur. »
Philadelphie, 8 avril 1791. »

Plusieurs membres : L'impression!

M. Boutteville-Dumetz. Il faut en envoyer un exemplaire à M. l'abbé Raynal.

M. Goupilleau. Je demande la parole.

Plusieurs membres : Ce n'est pas fini!

M. Fréteau-Saint-Just, rapporteur. Messieurs, vous venez d'entendre les sentiments des Américains et les expressions de leur gratitude et de leur touchante bienveillance pour vous.

La probité de la morale sévère et humaine de ces peuples nous sont de sûrs garants de la sincérité de leur affection. Nos intérêts vont désormais se confondre, et des devoirs plus étroits vont nous unir.

Nous les avons aidés à vaincre et à s'affranchir. Ils nous instruisent, à leur tour, à être tolérants, justes et humains.... (A droite: Oui! oui !) à respecter la foi des serments... (Murmures à droite; applaudissements à gauche. A gauche : Qui ouil) et l'obéissance due aux lois, à honorer dans l'homme la dignité de l'homme et à préférer à toutes les qualités brillantes, même aux dons du génie dans la politique, et aux faveurs du sort dans les combats, l'horreur du sang de nos semblables, et pour les propriétés, enfin, la soumission aux autorités légitimes. (Vifs applau→ dissements.)

Un peuple animé de ces sentiments peut se glorifier d'être plus que le conquérant du monde; il en est l'instituteur et l'exemple. C'est donc dans ses ports, c'est dans ses places maritimes, c'est dans ses heureuses et paisibles contrées qu'il habite, qu'il est à désirer que nos négociants aillent de préférence s'instruire dans le commerce, se former aux vertus qui le font fleurir: l'économie, la simplicité et la pureté des mœurs, la droiture et la probité.

Par ces considérations, le comité pense que l'Assemblée nationale doit chercher à multiplier, le plus qu'il lui sera possible, ses relations commerciales avec l'Amérique.

Louis XVI, avant d'obtenir le titre de restaurateur de la liberté française, mérita celui de bienfaiteur du Nouveau-Monde. Ainsi, loin de porter atteinte à sa prérogative royale, en lui exprimant vos désirs à cet égard, c'est entrer dans ses vues, c'est coopérer à ses plus glorieux projets, c'est déférer au vou de son cœur, que de resserrer les nœuds qui unissent la nation française au sort de ces braves insurgents, dont la vigilance et généreuse équité, fut, après la justice de leur cause, l'énergie de leurs efforts, et leur inflexible courage, le plus ferme appui, comme elle est encore le sur garant de leur indépendance.

Le comité diplomatique, Messieurs, a l'honneur de vous proposer le projet de décret suivant :

"L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture d'une lettre du ministre des Etats-Unis d'Amérique, adressée à son president, signée Jefferson, et de celle des représentants de l'Etat de Pensylvanie en date du 8 avril dernier, par eux adressée au président de l'Assemblée, ensemble le rapport de son comité diplomatiqué,

« Ordonne que les 2 lettres sus-énoncées seront imprimées et insérées dans le procès-verbal de sa séance;

Charge son président de répondre à la lettre des representants de l'Etat de Pensylvanie et d'exprimer au ministre des Etats-Unis d'Amérique qu'elle désire voir se resserrer de plus en plus les liens de fraternité qui unissent les 2 peuples;

Décrète, en outre, que te roi sera prie de faire négocier avec les Etats-Unis un nouveau traité de commerce qui puisse multiplier entre les 2 nations des relations égaleinent avantageuses à l'une et à l'autre.» (Applaudissements à gauche.) (Ce décret est adopté.)

L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de Code pénal (Travaux forcés) (1).

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur, soumet à la discussion la question suivante :

"Les condamnés à des peines afflictives serontils employés à des travaux publics, ou seront-ils enfermés dans des maisons particulières? »

Il rappelle succinctement les principes de morale et de justise qui ont déterminé les comités de Constitution et de législation criminelle à adopter la seconde opinion.

M. de La Rochefoucauld-Liancourt. Sans m'arrêter aux différentes considérations qui vous ont été soumises dans le rapport, par le comité lui-même, indépendamment encore du spectacle dégradant, pour l'humanité, de voir des hommes chargés de chaines, traités ignominieusement et arbitrairement dans leurs ateliers, il est une autre considération plus puissante je crois, qui vous déterminera à rejeter cette proposition; cette considération vient de ce que ces gens-là seraient occupés à des travaux publics, et que les travaux publics sont l'apanage de la classe laborieuse et indigente qui a besoin de ce travail pour sub

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Plusieurs membres: Aux voix! aux voix!

M. Malès. Je demande que M. le rapporteur veuille bien nous dire si le comité entend que les chaînes de Toulon, de Marseille soient conservées ou supprimées.

M. Le Pelletier - Saint-Fargeau, rapporteur. Il faut distinguer entre les condamnés et ceux qui le seront par la suite. Les condamnés qui sont à présent sur les galères subiront leur peine, jusqu'à ce que le temps soit expiré ; quant à ceux qui le seront par la suite, ils seront punis suivant le Code pénal nouveau, et ne seront pas conduits aux galères.

M. Malouet. La peine des galères, telle qu'elle avait été instituée anciennement, n'existe plus. Il n'y a plus de chiourme; ainsi, quoique la dénomination soit conservée, il n'existe plus, dans nos ports, qu'une maison de force dans laquelle sont renferniés les condamnés. Les travaux des ports reçoivent des secours évidents de cette réunion de condamnés. 6,000 forçats sont distribues dans les ports de Brest, Toulon et Rochefort. Ces 6,000 forçats coûtent à l'Etat 1,600,000 livres. D'après les calculs faits, il y a à peu près un million de gagné, par le travail de ces hommes; et cependant leurs vêtements, leur nourriture, et ce qu'ils peuvent ajouter par leur travail même à leur nourriture, les mettent absolument hors de l'état des hommes qui souffrent physiquement: ils sont très empressés à demander eux-mêmes a être compris dans les distributions de corvée.

Je sais que c'est une punition nouvelle que de les soustraire aux travaux des ports. Il s'agit donc de savoir si, en proscrivant les travaux publics pour les condamnés, vous voulez ôter aux arsenaux cette ressource. Il y a plus d'un incon

(1) Voy. ci-dessus, séance du 1er juin 1791, p. 683.

vénient à craindre dans les ports une aussi grande quantité d'hommes, au moins suspects, et dont plusieurs sont des criminels, qui auraient mérité la mort.

Plusieurs grands accidents étaient résultés du séjour des forçats dans les ports; et cependant l'utilité qu'on en tire pour les travaux les plus fatigants est telle, que l'administration des ports est intervenue plus d'une fois, lorsqu'il a été question de changer la peine des galères. Je crois que c'est une considération très importante, que celle de savoir si vous supprimerez ou si vous conserverez cette institution, en l'améliorant; tel est mon avis.

M. Delavigne. L'Assemblée nationale a décrété hier, qu'après l'expiration de la peine, si le condamné se conduisait bien, il pouvait espérer une réintégration dans ses droits de cité et de citoyen. Je demande, Messieurs, que vous ayez la bonté de peser jusqu'à quel point la délibération que vous avez prise hier est incompatible avec le régime des galères. (Murmures.)

M. de Saint-Martin. On lit dans la Constitution de la Pensylvanie l'article suivant :

« Pour détourner plus efficacement de commettre des crimes par l'aspect des châtiments et de longue durée et soumis à tous les yeux, et pour rendre moins nécessaire des supplices sanglants, il sera établi des maisons de force, où les coupables, convaincus de crimes non capitaux, seront punis par des travaux rudes. Ils seront employés à travailler à des ouvrages publics pour réparer le tort qu'ils auront fait à certains particuliers. Toutes personnes auront, à certaines heures convenables, la permission d'y entrer pour voir ces prisonniers au travail. »

Messieurs, le même châtiment des travaux publics se trouve dans plusieurs codes pénaux de divers Etats de l'Europe; le roi de Suède, le margrave de Bade, le grand-duc de Toscane, l'empereur l'ont adopté; et sa sagesse, sa moralité a été vantée par presque tous les écrivains qui, dans les derniers temps, se sont occupés de la réforme de nos lois criminelles. Le seul Filangieri s'y est refusé. Ce nom, réuni à celui de vos comités de Constitution et de législation criminelle, forme sans doute une autorite imposante.

Lorsqu'on a tant soit peu médité les raisons respectives, on trouve que la peine des travaux publics a en effet de grands avantages; elle remplit, comme l'ont reconnu plusieurs législateurs de la Pensylvanie, le principal objet de la punition des crimes, qui est de les prévenir par la terreur; pour cela les coupables ne doivent pas être entassés dans les galères, il faut établir des maisons de force dans les différents départements: c'est l'oisiveté, c'est la fainéantise qui engendrent la pente au crime; quelle peine mieux proportionnée, mieux réprimante qu'un travail rude et journalier? Les travaux publics présentent une grande facilité à bien graduer la peine suivant la nature du délit; le châtiment peut être ou augmenté ou diminué soit par sa durée, soit par la nature et le genre des travaux.

Il est également possible d'empêcher que la réunion de plusieurs coupables consomme leur corruption. On pourra, comme l'a observé M. Pastoret, séparer le scélérat de l'homme qui n'aura commis qu'un délit ordinaire, et ce dernier, du coupable qui n'aurait commis qu'un délit encore plus léger. Réunis d'ailleurs au moment de leurs travaux, mais sous une inspection salutaire, ils

seront isolés avec soin dès qu'ils auront cessé ce travail. Ces avantages sont-ils compensés par ceux qu'on a trouvés dans les maisons de force? Je ne le crois pas. C'est pour cela que je conclus contre l'avis de vos comités; et je crois que les condamnés à des peines afflictives doivent être dévoués à des travaux publics.

M. Ménard de La Groye. Si vous voulez continuer l'envoi des gens aux galères, il faut que vous renonciez à les réintégrer dans les droits de citoyen; en effet je soutiens qu'un homme pervers, qui peut se coaliser, devient nécessairement plus pervers encore; que ce n'est point aux galères, que ce n'est point dans les prisons, que ce n'est point dans les lieux où les scélérats sont seuls ou ensemble, que jamais ils ne peuvent se corriger le moyen unique de les corriger, c'est de les renfermer seul à seul.

M. Malès. C'est un mot que celui de galères. Les galères ne sont pas à proprement parler une peine, mais seulement un lieu de détention. Rien n'empêche que les maisons de force ne soient principalement établies dans nos ports afin qu'on puisse au besoin appliquer les condamnés qui seront enfermés aux travaux de ces ports et des arsenaux, surtout dans les temps où les ouvriers viendraient à manquer ou seraient d'un salaire trop dispendieux. Au surplus, je ne m'oppose pas à la proposition de vos comités.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Je réponds d'abord à M. Malouet que le comité ne propose pas de dissoudre les ateliers qui sont employés dans les ports: dissolution qui pourrait dans ce moment opérer un grand danger pour la chose publique. Il s'agit de savoir si, quant à l'avenir, il est absolument utile à la chose publique de fixer dans les ports les travaux pour les galériens (Oui! Oui!), s'il est de l'intérêt public d'envoyer à l'extrémité de la France, les condamnés de tous les départements de la France, c'est-à-dire d'éloigner l'exemple du lieu où le délit a éclaté.

M. de La Rochefoucauld-Liancourt. Il n'est pas ici question de savoir si l'on pourra ou non faire travailler les condamnés, mais de savoir si les condamnés seront voués aux travaux publics, ce qui est bien différent. Je pense qu'éloignant à présent la question de savoir dans combien de départements vous mettrez des maisons de peine, vous devez prononcer qu'ils ne seront pas condamnés aux travaux publics.

M. Rabaud-Saint-Etienne. Au lieu des mots travaux publics » qui ont été employés par le rapporteur, je propose que l'on se serve de l'expression « travaux forcés » par opposition aux travaux liores, qui appartiennent exclusivement aux hommes libres. Et comme l'exécution des décrets entraîne toujours beaucoup de longueur, je propose de décréter actuellement le principe qu'ils seront condamnés à des travaux forcés, et de renvoyer à la prochaine législature pour les détails du décret.

M. Démeunier. La discussion est embarrassée par deux causes. La première, c'est que dans la séance d'aujourd'hui on n'a point posé la question sur laquelle on devait prononcer. La seconde, c'est qu'on a oublié le point qui nous occupe. Il me semble donc, pour réduire la déli

bération à son véritable point, qu'en adoptant le changement proposé par M. Rabaud, il faut poser ainsi le question : « Conservera-t-on oui ou non les travaux forcé comme base du Code pénal?» Pour ma part je demande que l'Assemblée décide qu'il y aura une peine d'un travail forcé.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. La manière dont M. Démeunier vient de poser la question, change absolument toute l'opinion, tout le système de votre comité.

Un membre à gauche. Il n'y a pas de mal à cela.

M. Le Pelletier - Saint-Fargeau, rapporteur. Or, si vous voulez changer ce système, il faut au moins le discuter; et si vous adoptez pour système pénal les travaux forcés, en voici l'inconvénient qu'un homme condamné ne veuille point travailler, on ne peut l'y forcer qu'à coups de bâtons... (A droite : Oui! oui!.) Alors vous le soumettez à l'arbitraire du conducteur, ce n'est plus la loi qui prononce la peine, c'est le conducteur qui la rend ce qui lui convient.

Plusieurs membres. Aux voix! aux voix !

M. Brillat-Savarin. Je suis étonné que sur une question aussi intéressante personne ne se soit donné la peine d'examiner ce que le comité vous propose de substituer aux travaux publics. Je trouve que son opinion aura non seulement les inconvénients des galères telles qu'elles existent, mais encore des inconvénients particuliers. Premier inconvénient la dépense de construction des maisons de force dans 83 départements; second inconvénient, la corruption, car tout le monde sait que les hommes détenus, dans ce qu'on appelle maison de force, s'inoculent leurs vices.

Ensuite voici des inconvénients particuliers à l'opinion du comité: le premier c'est que vous accoutumerez à l'oisiveté les criminels qui seront dans les maisons de force; il y a des criminels qui aimeront mieux vivre de pain et d'eau que de travailler; c'est leur caractère commun. Čes travaux, dit-on, serviront d'exemple: eh bien! Messieurs, de deux choses l'une ou le peuple qui les ira voir les soulagera par ses largesses, alors la peine cesse avec l'exemple; ou il ne les soulagera pas, alors le peuple est méchant, parce qu'il s'accoutume à voir souffrir ses semblables, et l'exemple est nul, tandis que les ports vous présentent des travaux qui demandent un très grand nombre de bras, tandis qu'il vous reste des landes immenses à défricher, tandis que vous avez des canaux à ouvrir et des marais à dessécher. Envoyez là vos condamnés, et ils seront utiles à la société; ils deviendront meilleurs car ils contracteront l'habitude du travail. Je demande donc qu'il soit dit que les travaux forcés publics seront conservés.

M. Démeunier. Je demande qu'on décrète le principe tel que je l'ai proposé.

M. Duport. La question ne me paraît pas très bien posée. Je crois que les motifs du préopinant ne sont pas justes, ou plutôt qu'il oublie les véritables motifs de la question: il s'agit de savoir si la condamnation à des travaux forcés est utile ou non, si elle présente aux condamnés un moyen d'amélioration. Je ne le crois pas; car au

lieu de faire contracter l'amour du travail, vous inspirez l'horreur du travail. On vous l'a déjà dit et je vous le répète: vous ne pouvez faire travailler les condamnés qu'en les faisant assommer de coups, et qu'en laissant leur sort à l'arbitraire. De là résulte un inconvénient très grave; c'est que vous avilirez, que vous déshonorerez aux yeux de l'homme indigent mais vertueux, le travail, cette tâche vraiment noble et respectable de l'humanité, si vous en prostituez la nécessité à l'expiation du crime et de la scélératesse. Je voudrais donc qu'on adoptât un genre de punition capable de rendre l'homme meilleur au lieu de le faire plus dépravé. (Applaudissements à gauche.)

Je demande que l'Assemblée décrète qu'il n'y aura pas de travaux forcés, ou bien que prenant les articles du Code pénal tels qu'ils lui sont présentés par le comité, elle examine si les peines proposées sont proportionnées aux délit; cet ajournement de la question jusqu'après l'examen des articles laisserait toujours à l'Assemblée la liberté d'appliquer les travaux forcés aux délits qui seraient jugés les plus graves.

M. de Folleville. Je demande qu'on mette aux voix la proposition de M. Démeunier, afin qu'au moins nous ne perdions pas le fruit de notre délibération. (Murmures.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'observe que si l'Assemblée décrète qu'il y aura des travaux forcés, il faut qu'elle nous accorde quelques jours pour réformer notre travail.

M. Démeunier. Plusieurs orateurs, en entrant dans des détails d'exécution, prolongent excessivement la délibération; il n'est actuellement question que de consacrer le principe. On peut charger le comité de déterminer les crimes auxquels cette peine sera applicable, puisqu'elle ne sera pas la base fondamentale du Code pénal dans toutes ses parties, quand même elle serait adoptée.

Ma proposition est simple: Conservera-t-on la peine des travaux forcés ? Si l'A-semblée décrète qu'il y aura des travaux forcés, il est clair que cela ne préjuge rien; mais que l'Assemblée aura seulement voulu qu'il y ait des circonstances où l'on puisse prononcer cette peine. (La discussion est fermée.)

L'Assemblée adopte le principe suivant:

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L'Assemblée nationale décrète qu'il y aura des travaux forcés, auxquels les condamnés à des peines afflictives seront employés, dans le cas et de la manière déterminés par la loi. »

M. le Président lève la séance à trois heures et demie.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY.
Séance du vendredi 3 juin 1791 (1).

La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

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