Page images
PDF
EPUB

principes de la manière la plus importante. Suivant eux, on ne peut, sans les blesser, laisser suspendre pendant quelque teinps avec la certitude de résoudre conformément à la raison, l'exercice des droits politiques de quelques hommes; mais on peut bien laisser suspendre sans terme la liberté civile, individuelle, de 600,000 personnes. (Murmures prolongés.)

(Quelques minutes se passent dans une vive agitation.)

M. Barnave. Nos adversaires reconnaissent que l'intérêt national et la raison d'Etat ne permettent pas que 600,000 hommes en état d'esclavage dans nos colonies reçoivent leur liberté ; et cependant, ils disent...

Plusieurs membres au centre et à gauche : Ce n'est pas la question! A l'ordre!

M. Barnave. Je suis dans la question; je le prouverai en peu de mots et je soutiens qu'il n'y à contre nous aucun intérêt réel et qu'il y a pour nous l'accomplissement des promesses et des volontés nationales. (Murmures.) Si l'on ne veut pas m'entendre, je vais me retirer. (Il quitte la tribune.) (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Parlez! parlez!

M. Lanjuinais. Je demande la parole.

M. Barnave remonte à la tribune. Je vous prie de mettre aux voix, Monsieur le Président, si l'Assemblée veut m'entendre; si elle veut m'entendre, je suis à ses ordres.

M. Tuaut de La Bouverie. MM. les secrétaires ont écrit le décret; je demande que leurs registres soient lus. On nous entraîne à déchirer le premier feuillet de notre Constitution; le peuple déchirera l'autre.

M. Pétion de Villeneuve. Je veux bien entendre, à condition qu'on pourra répondre. (Quelques minutes se passent dans une vive agitation.)

M. Barnave. Je répète...

M. Delavigne. Posez donc la question, Monsieur le Président!

M. le Président. Elle est posée.

M. Pétion de Villeneuve. Posez-la tout haut!

M. le Président. Je vais interroger l'Assemblée...

M. Barnave. Un moment! Je déclare que je suis dans la question dans ma manière de voir. (Murmures.)

M. l'abbé Maury (s'adressant à la gauche). Vos querelles vont mettre le peuple de notre côté; car il ne sait plus qui choisir parmi vous.

M. Pétion de Villeneuve continue à interrompre et à demander la parole.

M. François de Beauharnais. 42 heures d'arrêts seulement pour M. Pétion.

[blocks in formation]

M. Roederer. Si M. Emmery demande que la discussion soit rouverte pour tout le monde, j'appuie sa motion, et c'est celle-là que l'on doit mettre aux voix.

(L'Assemblée, consultée, décide que la discussion n'est pas ouverte de nouveau sur le fond de la question.)

M. l'abbé Maury. Quand la discussion est fermée, il ne faut pas permettre que l'on parle sur le fond; sans cela, on rentrera nécessairement dans la question du fond.

M. Barnave (1). Je dis que toute manière de poser la question, autre que celle qui vous est présentée par le comité, c'est-à-dire que celle qui consiste à accomplir ce qui a été promis par l'Assemblée nationale relativement à l'initiative des assemblées coloniales déjà existantes avant votre décret du 8 mars et, par conséquent, à étendre les droits d'activité à ceux qui n'en jouissaient pas encore; je dis que toute autre manière de poser la question est une inconséquence de ce qui a été déjà prononcé et un grand mal national, parce que c'est une marche destructive de toute confiance de la part des colonies en nous, parce que c'est un moyen imprudent d'arriver à un résultat qui peut être juste et raisonnable, mais auquel on peut également atteindre par la marche prudente et sage qui vous est propo-ée et qui a au moins le mérite d'être essentiellement conforme à ce qui a déjà été annoncé et promis par vous.

Je dis que l'on ne connaît pas les faits lorsque l'on allègue que, par l'article 4 du décret du 28 mars, on a decidé ce que l'on met en doute en ce moment; qu'alors on a dit formellement qu'on envoyait un mode de convocation provisoire pour former des assemblées coloniales dans le cas où il n'y en aurait pas de formées, ou bien dans le cas où celles qui existaient, n'auraient pas le vœu des citoyens; que par le même décret du 28 mars, il fut dit que les assemblées coloniales, votant sur la Constitution, proposeraient tout ce qui est relatif aux citoyens actifs. Donc l'on n'avait jugé aucune question; on avait moins jugé encore relativement aux hommes de couleur, puisqu'on n'avait fait que prendre le texte de la forme de convocation qui avait été employé à la Martinique, où de fait les hommes de couleur n'avaient pas le droit de citoyen actif, et n'avaient aucun exercice des fonctions politiques.

Il est donc vrai qu'à cet égard les choses sont

(1) Cette opinion est très incomplète au Moniteur.

[Assemblée nationale.]

dans leur entier; que si elles y sont et qu'on ait promis l'initiative, on ne peut pas la retirer; qu'il ya à cela manque de foi; et que tout manque de foi envers les colonies est la destruction des liens qui les unissent à nous et qu'aucun autre lien ne peut remplacer la confiance; qu'il est absurde, lorsqu'on consent pour des raisons d'Etat, pour des raisons d'utilité publique, à laisser 600,000 hommes dans l'esclavage, de ne vouloir pas suspendre pendant quelque temps par une marche prudente et conforme aux promesses de l'Assemblée nationale l'exercice des droits politiques pour un petit nombre d'hommes qui ne seront que momentanément privés.

Je dis que la proposition contraire porte sur une ignorance profonde des faits; qu'il est faux par l'expérience et par l'état des choses qu'une suspension relativement aux hommes de couleur puisse avoir aucune espèce de danger; qu'il est réel au contraire, profondément vrai, qu'un prcnoncé actuel contre l'initiative promise aux colonies aura des dangers immenses, des dangers dont les résultats seraient des désastres; qu'il est absolument faux que ce soit par la balance de force entre les hommes de couleur et les blancs qu'il ait existé des troubles dans les colonies, puisqu'il est constant que les troubles qui ont existé n'ont eu lieu qu'entre les blancs; que le seul mouvement des hommes de couleur, la seule guerre entre les blancs et eux est le triste événement qui a amené la fin tragique du malheureux Auger; que vous n'avez point vu dans cet événement-là, dans cet événement funeste, mais dont les suites n'ont pu être continuées, puisque tous les mulâtres ont été désarmés depuis, que vous n'avez point vu dans ce malheureux événement la balance de force qu'on suppose; que cette balance est absolument fausse; que mon argument ne détruit pas des raisons de justice, mais qu'il anéantit les réflexions politiques qu'on oppose, tandis qu'il est vrai que toutes les raisons politiques, que toutes les raisons de prudence sont de notre côté; que c'est un misérable caprice, indigne de l'Assemblée nationale, que de s'exposer à perdre des possessions qui font la prospérité française. (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres : Aux voix! aux voix !

[ocr errors]

M. Delavigne. Je demande qu'il soit une fois bien constant que quand deux décrets ont décidé que la discussion est fermée, sous prétexte de poser la question, on ne revienne pas la rouvrir; c'est ce qu'a fait M. Barnave.

M. Lavenue. Il y a deux manières de poser la question préalable; je demande qu'elle soit posée sur tout le projet, sauf le renvoi de celuici au comité. (Mouvement.)

M. l'abbé Sieyès. Je demande la parole pour poser la question et je prie M. Barnave de vouloir bien nous donner un éclaircissement sur un point qui nous paraît le véritable point de la question. L'Assemblée a accordé l'initiative aux colonies sur la constitution à faire pour les colonies et même sur l'état des personnes; elle donné cette initiative à des hommes quelconques. Il s'agit de savoir à qui nous prétendons que l'initiative a été accordée; or, je crois que c'est à tous les hommes libres et non à une simple portion des hommes libres. (Applaudissements.)

Puisque l'Assemblée nationale accorde l'initia

tive aux colonies, il faut savoir quelles personnes elle veut consulter; elle veut consulter, disons-nous, les hommes libres. Qui sont les hommes libres? L'Assemblée ne nous a pas laissé la peine de chercher cette explication; elle-même l'a donnée dans l'article 4 de son décret du 28 mars : « Toutes personnes âgées de 25 ans accomplis, domiciliées, propriétaires et contribuables, seront admises aux assemblées paroissiales. (Applaudissements.)

[ocr errors]

Je dis qu'on peut diviser en 3 classes les personnes qui habitent les colonies : les grands blancs, les petits blancs et les hommes de couleur libres; or, tous sont également compris dans ce décret et l'Assemblée nationale n'a exclu de la liberté et des droits politiques aucune de ces trois catégories. Si on m'objecte qu'il y a une différence entre eux, en ce que les uns exercent les droits de citoyens actifs et les autres ne l'exercent pas, je réponds à cela qu'il est faux qu'avant la Révolution personne exerçât les droits de citoyen actif. (Applaudissements.) Aucune classe n'exerçait alors de droits polítiques; le droit politique est un droit dans lequel nous sommes tous rentrés.

Il s'agit donc de déterminer quelles sont les personnes que vous avez en vue; ainsi je demande qu'avant tout l'Assemblée nationale décide quelles sont les personnes à qui elle accorde l'initiative.

M. Barnave. Je suis interpellé; je vais répondre très nettement, et je déclare tout d'abord ici que les événements qui pourront avoir lieu justifieront mon opinion. (Murmures.) J'avais déjà prévu le fait sur lequel je suis interpellé et si ce que je dis ne paraît pas clair, l'Assemblée pourra se faire lire ses propres décrets.

L'Assemblée nationale a décidé, par son décret du 8 mars 1790, décret qui a sauvé les colonies, décret dont le rétrait les anéantirait, l'Assemblée nationale a décrété le 8 mars que chaque colonie émettrait son vou sur la Constitution et la législation qui lui était propre; que dans les colonies où il existait des assemblées coloniales élues par les citoyens, elles étaient admises et déclarées capables d'émettre ce vou; que dans les colonies où il n'existait pas d'assemblées coloniales formées, il en serait convoqué pour émettre le même vou, suivant le mode de convocation qui serait adressé incessamment.

Le 28 mars, l'Assemblée nationale établit le mode de convocation provisoire, destiné à faire des assemblées coloniales dans les colonies où il n'en existerait pas pour énoncer le vœu colonial.

Or, il existait des assemblées coloniales, formées, élues, avouées par les citoyens, dans toutes les colonies,. de sorte que la convocation provisoire du 28 mars a été entièrement sans effet.

Quand nous fimes cette convocation provisoire, nous dimes en même temps dans les instructions que les assemblées coloniales soit existantes, avant notre décret, soit convoquées en vertu de notre décret, exprimeraient leur vœu sur la Constitution, sur les qualités de citoyens actifs et d'éligibilité. Ainsi il est bien véritablement légal que les assemblées coloniales existant actuellement émettent leur vœu sur ce point; cela était déjà décrété; elles étaient autorisées légalement à émettre le vœu colonial sur toute la Constitution. et notamment sur les qualités de citoyens actifs. Et quand il serait vrai que dans le mode de convocation provisoire destiné à établir des assemblées coloniales là où il n'en existait pas, les gens

libres de couleur eussent pu être admis aux assemblées, il n'en serait pas moins vrai que les assemblées coloniales existantes ayant été déclarées valables et légales par vous, ayant été autorisées par vous à émettre le vœu sur la Constitution, sur la qualité de citoyen actif, en sont également capables aujourd'hui; que leur retirer ce droit, ce serait rétracter un décret rendu, ce serait revenir sur une disposition déjà formellement décrétée. (Murmures et applaudissements.)

J'ai déjà dit à l'Assemblée que sachant dès lors tous les inconvénients de préjuger la question sur les gens de couleur, et sachant que, de fait, elle ne se trouverait pas préjugée dans les instructions, vous prêtes le mode de convocation adopté pour la Martinique, mode duquel il ne pouvait résulter aucun préjugé; mais toujours est-il constant que les assemblées coloniales existantes ont été reconnues capables par vous d'émettre le vœu de la colonie sur la Constitution, et ces mêmes assemblées coloniales ont été depuis reconnues légales par vos décrets. (Murmures et applaudissements.)

Je demande si, lorsqu'il ne s'agit que de l'émission d'un vou, vœu sur lequel le Corps législatif prononcera comme il lui paraîtra convenable, il peut y avoir à balancer entre le maintien de vos précédents décrets et une marche absolument subversive, qui consisterait à faire de nouvelles conVocations, qui consisterait à préjuger la question que l'on veut renvoyer à juger, qui consisterait à faire détruire toute espèce de confiance, qui consisterait à faire croire à vos colonies que vos décrets ne sont que des jeux, qui consisterait enfin à mettre bien véritablement les armes à la main au parti que vous exciteriez alors, au lieu de réunir tous les partis par la marche qui vous est proposée.

Il est impossible, Messieurs, il serait coupable de séparer l'intérêt national de la question qui s'agite.

M. l'abbé Maury monte à la tribune.

M. l'abbé Grégoire. Je demande la parole pour un fait. (Aux voix ! aux voix !)

M. Malouet et plusieurs membres à droite réclament contre la demande de M. l'abbé Grégoire. (Bruit.)

M. Arthur Dillon. M. l'abbé a parlé six fois (Aux voix !); je suis député des colonies et je n'ai pas encore pu obtenir la parole. (Aux voix! aux voix !)

M. le Président. Je n'ai pas de moyen pour empêcher que l'on fasse du bruit.

M. l'abbé Grégoire. Messieurs, voici le fait. (Murmures et interruptions.)...

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

M. Arthur Dillon. Mais, Monsieur le Président, je vous ai demandé la parole.

M. l'abbé Grégoire. Messieurs, c'est simplement un fait que je veux rétablir. (Murmures à droite Aux voix! aux voix!)...; un fait essentiel et indubitable (Nouveaux murmures à droite)... Ce fait est important, il est nécessaire de le rappeler à l'Assemblée. (Murmures: Aux voix ! aux voix !)...

MM. Arthur Dillon et Malouet s'élèvent contre l'opinant.

M. l'abbé Grégoire. Il n'est question que d'un fait relatif à ce qu'a dit M. Barnave. Le 28 mars, quand les instructions furent présentées, c'est moi, Messieurs, qui ai demandé que, dans l'article 4, les gens de couleur fussent expressément compris, nominativement exprimés. Et pourquoi le demandai-je ? C'est que je savais Toutes les vexations, toutes les injustices qu'ils allaient éprouver; c'est que je savais très bien que, constamment opprimés dans ce pays-là, on cherchait encore à leur ravir les droits de citoyens actifs. On me répondit à cela que ma demande était inutile, puisque, les termes étant généraux, ils comprenaient les gens de couleur comme les autres. Ce fut M. Barnave lui-même qui me fit cette réponse. (Applaudissements.)

M. de La Galissonnière. Le procès-verbal porte que l'on passa à l'ordre du jour; la discussion même ne fut pas ouverte aussi le fait avancé par M. Grégoire est faux.

M. Barnave paraît à la tribune. (Aux voix ! aux voix !)

M. le Président. Les observations et les interpellations qui ont été faites n'ont point changé la manière de poser la question; on a demandé deux sortes de questions préalables, l'une sur le premier article, l'autre sur la totalité du projet de décret. Celle-ci doit être mise la première aux voix, puisqu'elle embrasse plus d'objets. Je mets aux voix. (Murmures)...

M. Dupont. Nous avons perdu deux jours, parce que l'Assemblée n'a pas voulu expliquer si elle entendait comprendre les gens de couleur. (Aux voix !)

La seule question est de savoir si les gens de couleur sont compris dans l'initiative. Si vous voulez les comprendre, vous direz oui; si vous ne voulez pas les comprendre, vous direz non. (Aux voix ! aux voix !)

La loi est faite, si vous avez voulu les comprendre; sinon, il faut faire la loi.

Ainsi je demande que la question soit posée en ces termes : L'Assemblée nationale, par son décret du 12 octobre, a-t-elle entendu comprendre les gens de couleur, oui ou non ? Voilà la seule manière de la poser. (Applaudissements.)

M. Nairac. Monsieur Dupont, vous avez déjà failli perdre le commerce par le traité de commerce avec l'Angleterre, par votre opposition aux assignats; vous voulez l'achever dans la question des colonies.

Plusieurs membres: Ce n'est pas là la question.

M. Tronchet. Je vais répondre très sommairement: 1 à l'objection faite par M. Grégoire ; 2. à la proposition que vient de faire M. Dupont.

A l'observation faite par M. Gregoire, je réponds que le fait ne résout pas l'observation qu'on vient de faire. En effet, Messieurs, je l'avouera, il y a deux jours que j'étais étonné que jamais on n'eût abordé le point de la difficulté. Je n'étais malheureusement pas inscrit sur la liste; même tous mes voisins peuvent attester que je leur ai dit que le véritable point de la question était, ainsi que M. Barnave vient

de le répéter, que, d'après vos décrets des 8 et 28 mars, il y avait deux choses à distinguer : les assemblées qui étaient déjà formées et celles qui pourraient se former de nouveau.

Pour les assemblées qui étaient déjà formées, vous les avez expressément confirmées, et c'est à elles que vous avez déféré l'obligation on la commission de vous émettre leur vœu sur leur constitution.

Pour celles qui n'existaient pas, vous avez dit qu'elles seraient formées et convoquées suivant un mode déterminé, mode que vous avez fixé dans vos instructions; et c'est à elles seules que s'appliquent les instructions du 28 mars et par conséquent l'article 4 de ces instructions.

Il est évident que les assemblées qui existent ont un droit que vous leur avez transmis irrévocablement; si cela est vrai, la difficulté n'est pas résolue. Par la citation de M. l'évêque de Blois, il ne résulte pas du fait cité que vous puissiez aujourd'hui rendre un décret dont la conséquence serait qu'il faudrait anéantir les assemblées existantes, ce qui est impossible...;

M. l'abbé Sieyes. Je demande la parole.

M. Tronchet..... car si l'on demandait aujourd'hui, en vertu de la déclaration que propose M. Grégoire, et qui est vraie pour les assemblées à former, si l'on demandait aujourd'hui à revenir et à réformer une assemblée ancienne, tous ceux qui sont dans cette asssemblée et les électeurs vous dira ent: c'est une chose inconcevable, car vous avez confirmé ces assembléeslà e', aujourd'hui, vous voulez les anéantir.

Quant à la proposition de M. Dupont, j'y réponds en un mot. Il est impossible de poser la question comme il le propose; car, si on la posait ainsi, il faudrait répondre tout à la fois oui et non oui, pour les assemblées formées; non, pour les assemblées à former. (Murmures et applaudissements.)

Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée.

D'autres membres demandent que l'abbé Sieyès soit entendu.

M. l'abbé Sieyes. Vous ne pouvez, Messieurs, fermer a discussion sur l'Assemblée nationale elle-même; ce n'est pas pour moi, c'est pour elle que je demande la parole. (Aux voix !)

M. Barnave a proinis de répondre à mes observations; s'il n'a pas tenu sa parole en ce moment, il l'a tenue d'avance. Voici ce qu'il disait le 28 mars et sur quoi l'As emblée nationale a rendu son décret Pour connaître le vœu des colonies, il est indispensable que l'on forme des assemblées coloniales, soit dans celles où il n'en existe pas encore, soit dans celles où les assemblées existantes ne seraient pas autorisées par la confiance des citoyens ».

J'argumente de là et je demande si les assemblées déjà existantes étaient autorisées par la confiance des citoyens lorsqu'une très grande quantité de citoyens n'ont pas été appelés à les former. (Murmures et applaudissements.)

J'ajoute que, dans les assemblées existantes, il faut distinguer trois choses: it faut considérer les personnes qui y ont été appelées, et qui s'y sont trouvées; les blancs qui ne s'y sont pus trouvés; et les hommes de couleur, également libres, ayant les mêmes droits que les blancs qui n'y ont pas été appelés.

1" SERIE. T. XXVI.

Je demande si, en fermant la porte à tous ceux qui, de fait, ne s'y sont pas trouvés, vous excluez également et les blancs qui n'y ont pas été, et les hommes de couleur qui avaient tous autant de droit d'y être. (Applaudissements.) Ceux qui ne se sont pas trouvés aux assemblées n'ont-ils done plus le droit de concourir à l'émission du vœu des colonies ?

Ma proposition revient dans toute sa force; il faut que nous sachions que les sont les personnes que nous consultons, à qui l'Assemblée donne le droit d'émettre le vœu sur l'initiative des lois à faire et sur l'état des personnes.

Je vous observe encore que la doctrine que j'avance dans ce moment est non seulement celle de l'Assemblée, mais aussi celle des comités. Le comité de vérification a décidé que les hommes de couleur libres avaient le droit d'être députés à l'A semblée nationale et vous n'avez point infirmé cette décision. (Murmures.)

Plusieurs membres: Elle ne nous a pas été présentée.

M. l'abbé Sieyes. C'est au moins l'opinion du comité de vérification; c'est celle de l'Assemblée nationale qui n'a pas infirmé cette décision. (Nouveaux murmures.)

Je demande si, en principe général, les hommes de couleur ne peuvent pas être députés à l'Assem blée nationale. S'ils ont le droit d'être députés à l'Assemblée nationale, à plus forte raison ont-ils celui d'être députés aux assemblées coloniales.

Au reste, je ne veux pas compromettre mon premier raisonnement par le second et je rentre dans le principe.

Je crois que l'Assemblée n'a rien de mieux à faire que de décréter en ce moment la question prealable sur tout le projet des comités. (Applau dissements.)

Plusieurs membres: Aux voix ! aux voix !

M. le Président met aux voix la question préalable sur la totalité du projet de décret des comités, sauf le renvoi à ces mêmes comités pour qu'ils présentent un nouveau projet. (Une première épreuve est douteuse.)

M. le Président. Je renouvelle l'épreuve.
(Une seconde épreuve a lieu.)

M. le Président. Sur sept personnes qui composent avec moi le bureau, quatre pensent qu'il y a du doute. Je vais faire l'appel nominal. (Il est procédé à l'appel nominal.)

L'Assemblée décrète par 378 voix contre 276 qu'il y a lieu à délibérer sur le projet de décret des comités.

M. le Président annonce l'ordre du jour de demain et lève la séance à cinq heures.

[blocks in formation]
[blocks in formation]

Un grand intérêt politique se présente aujourd'hui à votre décision. Vous devez prononcer sur l'établissement militaire commencé à Cherbourg vers la fin de 1783. Les travaux de la rade touchent à leur terme, et l'opinion publique est encore incertaine sur les avantages que l'Etat doit en attendre.

C'est pour fixer cette opinion que votre comité m'a chargé de faire toutes les recherches qui pourraient conduire à la conviction. Secondé dans ce travail par le ministre de la marine, les dépôts de son département m'ont été ouverts; les officiers militaires et d'administration employés à Cherbourg ont exécuté avec beaucoup de zèle l'ordre de me fournir les renseignements qu'ils pouvaient avoir; et c'est, pour ainsi dire, par le choc des opinions et les leçons de l'expérience, que votre comité s'est confirmé dans les principes que je vous propose de consacrer.

Vous n'attendez pas sans doute, Messieurs, que je rappelle ici toutes les questions qu'il m'a fallu approfondir pour détruire les doutes qui s'élevaient à mesure que je m'instruisais davantage. J'ai toujours pensé que les détails et les discussions qu'ils eutraînent dans vos comités ne doiveut vous parvenir qu'autant qu'ils peuvent influer sur vos décisions. C'est donc par les grands traits qu'il convient de vous convaincre; et ce qui doit inspirer une grande confiance aux hommes chargés de rapports importants, c'est le tact des vérités, c'est le sentiment prompt des convenances qui dominent dans cette Assemblée, toutes les fois qu'elle n'est point agitée par des factions, et qui, par une espèce de commotion électrique, portent au même instant dans tous les esprits la même impression, et ne font qu'une volonté générale de toutes les volontés particulières.

Encouragé par cette observation, j'ai dû réduire à quelques points principaux mon rapport sur la raue de Cherbourg.

Je chercherai d'abord dans l'histoire de la marine française les faits qui ont conduit, après une longue expérience, à la ferme résolution d'avoir dans la Manche un établissement de marine.

J'exposerai ensuite les raisons qui ont fait donner la préférence à la situation de Cherbourg.

Fixant alors votre attention sur les différents projets présentés au ministère, je vous dirai comment il se décida pour celui des caisses coniques.

Enfin, après avoir suivi l'exécution de ce projet, et les événements qui ramenèrent au plan d'une digue en pierres perdues, je tâcherai de prouver la nécessité d'achever un établissement commandé par la politique, et qui, malgré quelques imperfections, honorera toujours les hommes de génie qui ont osé l'entreprendre, et sera une époque glorieuse du règne de Louis XVI.

PREMIÈRE PARTIE.

Les malheurs de la Hougue, que tous les ta

lents de Tourville ne purent empêcher, apprirent à Louis XIV, qu'en perfectionnant la défense de ses frontières de terre, il avait trop négligé ses frontières de mer. Ce prince qui savait s'instruire par l'expérience, ne tarda pas à reconnaître que l'Angleterre avait dù sa supériorité aux établissements militaires qu'elle possédait dans la Manche. Il voulut s'assurer les mêmes avantages, et le maréchal de Vauban fut chargé, par ses ordres, de visiter les côtes de Normandie, de mettre à l'abri d'entreprises hostiles tous les lieux favorables au débarquement, et de donner ses projets sur les travaux qu'il jugerait nécessaires.

Ce grand homine, dont le génie embrassait tous les intérêts politiques, ne vit pas seulement les avantages des postes de guerre. Après avoir ordonné des batteries à la Hougue, une tour qui subsiste encore, un hôpital d'une vaste étendue, en forme de lazaret, il parcourut les côtes de Cherbourg. Son inspection fit connaître au gouvernement que la rade de cette ville offrait des moyens d'attaque, de défense et de protection, capables d'influer sur les guerres maritimes, et sur nos rapports_commerciaux avec les puissances du Nord. Ce qui est certain, et ce qui paraît confirmer cette opinion, c'est que le maréchal de Vauban désigna le pré du roi pour y creuser des bassins, et qu'il nomma Cherbourg l'auberge de la Manche.

La France commençait alors à gémir sous le poids des impôts. Louis XIV, affaibli par 40 ans de victoires, avait à soutenir la guerre ruineuse, mais légitime de la succession d'Espagne. Il remit à des temps plus heureux le projet de Vauban ; projet dont l'exécution eût pu sauver à l'Etat les malheurs des guerres maritimes soutenues par Louis XV, et assurer aux forces navales, développées par son successeur, les moyens de réduire l'Angleterre au degré de puissance que comporte cette nation et qui convient à la balance politique de l'Europe.

Quoi qu'il en soit, le règne de Louis XIV s'acheva sans qu'il fût possible de commencer une entreprise aussi utile. La conspiration dirigée par le cardinal Albéroni sous la minorité de Louis XV, la guerre qui en fut la suite et les effets désastreux du système de Law, éloignèrent encore toute idée d'avoir dans la Manche un établissement de marine.

Il appartenait sans doute au ministère économique du cardinal de Fleury d'exécuter ce que les malheurs des temps n'avaient pas permis d'entreprendre mais ce ministre qui laissa tranquillement la France réparer ses pertes, et s'enrichir au milieu de la paix par un commerce immense, ne pensait pas qu'elle eût besoin de marine pour jouer un grand rôle dans le système politique des nations. Cette opinion, funeste dans un homme qui tenait les rênes du gouvernement, fut cause qu'il laissa dépérir nos vaisseaux dans les ports; et lorsqu'en 1738 des hommes habiles voulurent en revenir au projet de Vauban, le cardinal, fidèle à son système, n'approuva que les travaux du port marchand, pour assurer une relâche à des convois escortés par de moyennes frégates.

Près de 20 ans s'écoulèrent encore, et les Anglais, toujours maîtres de la Manche, se permettaient de visiter jusque sur nos côtes les bâtiments qui la traversaient. Le maréchal de BelleIsle, devenu ministre parce qu'il passait alors pour l'homme le plus capable de conduire un Etat, voulut détruire cette espèce de despotisme maritime. Il se rendit en Normandie, accompagné

« PreviousContinue »