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comme naturelle que comme testamentaire. Alors ce sera la place de la théorie des contrats que le droit romain a si profondément comprise et écrite.

Nous ne saurions quitter la société sans considérer un triste phénomène, le crime. Qu'est-ce que le bien? qu'est-ce que le mal? Quel est le principe constitutif de la pénalité? La législation doit-elle être rémunératoire en même temps que pénale? nous toucherons tous ces points.

Je passe à l'histoire. Si la législation est la philosophie en action, si elle est le développement des idées sociales toujours en progrès, il faut que l'histoire nous fournisse la preuve des principes que nous aurons posés. Non que nous voulions ici l'explorer dans sa variété infinie, mais au moins un tableau rapide et resserré doit nous donner la justification claire des principes et des destinées de la nature humaine. Je ne veux pas ici jeter quelques phrases superficielles sur l'Orient, et je ne gaspillerai pas en quelques traits mal ébauchés le magnifique trésor de la législation orientale. Pas davantage, je ne désire prendre une prélibation, si je puis parler ainsi, sur cette Grèce, si vive, si gracieuse et si variée, où nous nous engagerons plus tard. Rome, qui participe à la fois de l'Orient et de la Grèce, nous suffira pour entrer dans l'histoire.

C'est entre le mont Palatin et le mont Capitole que s'est dessinée en caractères ineffaçables l'opposition jusqu'à présent éternelle du pouvoir et de la liberté, de l'aristocratie et de la démocratie; tellement que tous les historiens l'ont saisie à des degrés différens, suivant la portée de leur intelligence. Nous traverserons la république, l'empire, ce célèbre droit civil qui sépare si profondément la vie privée de la vie publique, le christianisme qui donne au monde une liberté morale inconnue jusqu'alors. Cependant les barbares, apportant du sang nouveau à la vieille Europe, la reconfortent en l'envahissant. Et quel est le caractère de leur loi? Le redressement de la personnalité humaine. En voulez-vous la preuve? La loi suivait partout l'homme sur le territoire étranger; elle ne le quittait pas, tant elle était personnelle.

Voilà donc les barbares déchaînés sur le monde. Le christianisme lui-même serait impuissant pour calmer une domination si âpre. L'ordre se rétablira par une institution originale entre toutes, la féodalité. Opposition tranchée avec la loi barbare, loin d'être personnelle, la loi féodale n'est autre chose que la terre élevée à la souveraineté. Le spiritualisme chrétien eût été sans force; il fallait un ordre matériel, et en cela la féodalité fut utile au monde; nous pou

vons sans danger lui rendre aujourd'hui cette justice. Mais la société féodalement constituée, le christianisme reprend l'empire des idées et la supériorité morale; il domine l'Europe par la papauté italienne, développe sa propre législation, le droit canonique, se réforme et se rajeunit par Luther. Ainsi voici les élémens de la société moderne: la législation barbare, la législation féodale, la législation canonique.

Sur cette triple base, la société européenne se développe sans relâche : la France, par sa constitution monarchique, travaille la première à sa propre unité, par contre-coup à celle de l'Europe; sous le sceptre de Louis XI, de Richelieu et de Louis XIV, la monarchie royale, comme parle Bodin, réprime la féodalité et l'Église, abat l'aristocratie, élève le peuple, sert puissamment la liberté et rend une révolution nécessaire.

A la monarchie royale s'enchaîne un nouveau progrès, la monarchie représentative dont l'Angleterrre est l'éclatant modèle, et qu'elle établit irrévocablement par sa révolution de 1688: alors cette île célèbre donne à l'Europe l'enseignement de la liberté politique; elle en fut l'école au XVIIIe siècle pour tout ce que l'Europe eut de penseurs; Voltaire, Montesquieu et Rousseau l'explorèrent avidement et préparèrent pour

la France un progrès nouveau sur cette transaction si belle en Angleterre entre l'aristocratie, le peuple et le trône, dont aujourd'hui une des parties contractantes demande à changer un peu les conditions.

Mais avant de commencer elle-même une révolution, la France jette la liberté dans un monde nouveau, dont les destinées ne sont pas encore accomplies. Elle envoie à Washington des soldats et un émule; et quand la république américaine aura plus tard porté elle-même les fruits d'une civilisation originale, elle n'oubliera pas que, si l'Angleterre fut son berceau, la France fut son alliée; que, si l'une l'a fondée, l'autre lui a tendu la main pour s'émanciper, et que la première action de la France, quand elle a commencé de tressaillir au nom de la liberté, a été d'envoyer en Amérique des Français pour y faciliter une république.

L'an 1789 ouvre pour la société moderne une époque nouvelle dont la seconde phase a commencé l'an dernier : révolution sociale, mise en jeu de tous les problèmes qui puissent troubler la tête humaine, elle est aujourd'hui le dernier progrès de la société européenne.

Si l'histoire n'a pu nous refuser cette inépuisable série de progrès et de conquêtes, la philosophie sera-t-elle plus avare? C'est à Athènes

que s'ouvre l'histoire raisonnée des problèmes sociaux : c'est au sein de la philosophie grecque, qui est, avec la législation romaine et le christianisme, une des faces les plus saillantes du monde intellectuel, qu'éclate, sous les auspices de Socrate, l'examen des lois de la sociabilité humaine; deux esprits bien différens l'inaugurent, Platon et Aristote.

Platon fut en continuelle opposition avec l'Etat et la constitution d'Athènes. L'Etat était démocratique: Platon avait une intelligence aristocratique et orientale; les lois étaient populaires, parfois bavardes, et sentaient le rhéteur : la politique de Platon était immuable, car elle découlait d'une unité primitive. Le fils d'Ariston nous offre à la fois, dans sa République et dans ses Rois, la réminiscence des doctrines orientales, un choix de faits précieux pour l'étude de la Grèce, et un vague pressentiment du christianisme; vis-à-vis la légalité athénienne, Platon est un penseur factieux entre l'Egypte et le Christ.

Aristote a un autre esprit; il est tout grec et n'a rien d'oriental : c'est à la fois le maître et le disciple d'Alexandre; doué du génie positif des modernes, tandis que Platon est dans les cieux à la condition de s'y égarer et de disparaître à travers les nuages, Aristote observe ce qui se fait sur la terre, c'est comme un contemporain de Ma

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