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>> notre constitution, mais je pense que c'est à » son ensemble et non pas à aucune de ses par»ties séparément que nous la devons. Je crois >> que cela tient beaucoup au soin que nous avons » eu dans nos changemens, dans nos réformes » et dans nos acquisitions, de conserver toujours » avec respect quelque chose de notre ancien» neté. Notre nation trouve que le soin de con» server ce qu'elle possède et de le mettre à l'abri » de la violation, suffit à l'occupation d'un esprit » vraiment patriote, libre et indépendant. Je » n'en exclurai pas non plus quelques change>> mens; mais, même en changeant, je voudrais » conserver, je voudrais n'être conduit à nos ré>> formes que par de grandes nécessités. Dans ce » que je ferais, je voudrais imiter l'exemple de » mes ancêtres; je voudrais que la réparation » fût, autant que faire se pourrait, dans le style » de tout l'édifice; l'esprit de conduite que nos » ancêtres ont toujours manifesté était remar>> quable par la profondeur de leur politique, par » la sagesse de leur circonspection et par une >> timidité qui venait de la réflexion, sans qu'elle » fût dans leur caractère. N'ayant point été illu» minés par les lumières dont ces messieurs en » France nous assurent qu'ils ont reçu une por>>tion si abondante, ils agirent sous l'impression » forte de l'ignorance et de la faillibilité humaine.

» Celui qui les avait créés ainsi faillibles, les ré>> compensa pour s'être conduits conformément » à leur nature. Imitons leur prudence, si nous » souhaitons de mériter les mêmes succès, ou de >> conserver leur héritage. Ajoutons, si cela nous plaît; mais conservons ce qu'ils ont laissé; et, >>> nous fixant sur les bases solides de la constitu

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tion anglaise, bornons-nous à admirer, et ne >> nous efforçons pas de suivre le vol désespéré ->> des aréonautes de la France *. »

Voilà bien le vieux génie anglais, fronçant le sourcil devant les innovations philosophiques; mais, depuis la fin du dernier siècle, Fox, se regardant à la fois comme citoyen de son pays et du monde, a corrigé l'âpreté de ces superstitions nationales. Canning a porté au pouvoir les principes de son illustre maître; il a senti que l'Angleterre devait sortir peu à peu de sa politique insulaire, et qu'en face de la liberté qui occupait le continent, la liberté anglaise ne devait pas rester chagrine et superbe. Evidemment, la patrie de Canning et de Fox se sépare des erremens de Pitt et de Burke; elle tend à devenir plus humaine et presque continentale, à lier entre elle et les peuples plus avancés une solidarité utile à

*Edmond Burke. Réflexions sur la révolution de la France.

tous; elle s'est émue à notre dernière révolution; une noble émulation a précipité sa réforme : à notre tour sachons la suivre dans cette vie politique de tous les jours et de tous les instans, plus difficile à apprendre pour la vivacité française qu'un trône à renverser ou des bataillons ennemis à détruire.

L'avenir décidera si, entre l'Angleterre et la France, il y a encore des haines assez vivaces pour des guerres longues et cruelles. Peut-être les antipathies nationales ne s'épuisent-elles qu'après s'être satisfaites; peut-être la politique européenne a-t-elle d'anciens comptes à régler avant de se rebâtir sur un autre plan; mais il ne saurait être éternellement dans la nature des choses que deux puissances parfaitement égales, car elles sont profondément différentes, que l'Angleterre, qui peut couvrir la mer de ses vaisseaux, qui est chargée de porter aux autres parties du monde la civilisation européenne, et que la France, peuple central de l'Europe, peuple chef, entreprenant, peuple philosophe, peuple agriculteur et soldat, ne finissent pas par s'entendre, s'aimer et se secourir. L'histoire avance et saura bien dans son inépuisable variété imaginer autre chose que V'ancienne antipathie de Rome et de Carthage.

CHAPITRE VI.

La Révolution française.

Depuis la réforme de Luther, depuis que ce moine de Wittemberg a partagé l'Europe, déchiré la papauté, fondé un schisme puissant, jeté le calvinisme en France, en Angleterre une Eglise nationale, rendu plus tard nécessaire la guerre de trente ans ; depuis qu'il a préparé Descartes, Locke, Spinosa, Kant et Voltaire; depuis qu'il a tout remué, idées, sentimens, aristocraties, démocraties, rois, peuples, consciences, tout bouleversé, tout ému, il ne s'est rien passé en Europe d'aussi considérable. L'Angleterre a fait une révolution, mais elle en a renfermé dans son île la grandeur et la fécondité. N'y aura-t-il pas un autre événement qui sera dans son ordre aussi européen que le christianisme réformé?

La nation française mit deux siècles à exercer sa pensée; sans avoir aucune institution politique, elle passa de l'âge de Descartes, de Corneille, de Racine, de Bossuet et de Molière, à celui de Montesquieu, de Jean-Jacques, de Voltaire et de Diderot; des idées, toujours des idées depuis la fin de la Fronde jusqu'en 1789; étonnez-vous encore du caractère philosophique de notre révolution.

Mais il y eut pour l'Europe comme un événement précurseur. L'Amérique en 1775 s'insurgea contre l'Angleterre, et reçut les secours de la France: industrieuse économie de l'histoire qui associe le génie français à la déclaration des droits de l'homme de 1776, et le fait préluder par une expédition nationale, funeste à l'Angleterre, à une révolution cosmopolite.

Quelles étaient sous Louis XVI les divisions politiques du pays? Le clergé, la noblesse, le tiers-état. Le clergé avait eu, dès l'origine de la monarchie, une existence féodale: comme propriétaire, il partageait les intérêts de la noblesse; comme corporation religieuse, il hésitait et flottait entre la papauté et la royauté; tantôt il adhérait aux libertés gallicanes, ouvrage des jurisconsultes français; tantôt il inclinait vers Rome et la théologie ultramontaine : mais il manqua toujours d'une consistance isolée, indépendante; il tint constamment ses grands hommes et ses

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