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CHAPITRE IV.

L'ancienne Monarchie française.

Trois puissances, la liberté, la religion et la philosophie, les communes, Grégoire VII, Abailard, attaquèrent presque en même temps la féodalité, cette société unique dans l'histoire, comme l'a remarqué Montesquieu, et qui rendit le service au monde de poser un point d'arrêt entre la conquête et les temps modernes. Mais les peuples étaient trop enfans pour se conduire euxmêmes. La papauté avait une spiritualité trop générale et des passions trop italiennes pour rallier long-temps à elle les intérêts politiques de chaque nation; la philosophie, trop impopulaire et trop suspecte, épuisait d'ailleurs toutes ses forces à se défendre des persécutions de la théologie et d'Aristote.

Parut alors la royauté moderne qui trouva dans la monarchie française son développement le plus complet et le plus efficace. Si aussitôt

après la mort de Karle le Grand, l'Allemagne s'empare du premier rang, si le pape et l'empereur constituent le véritable moyen-âge, dès que l'Europe devient adulte et plus moderne, la France se lève à son tour; elle puise dans son unité géographique et dans son unité constitutionnelle la force nécessaire pour ne plus trouver à travers des fortunes diverses quelqu'un qui puisse la remettre à la seconde place.

L'audace et la persévérance font la grandeur de la royauté française comme celle de la papauté romaine. Un seigneur féodal, possesseur d'un fief plus central que les domaines de ses égaux, conçoit la pensée de conquérir peu à peu sur la noblesse une autorité monarchique; pensée qui est dans l'ordre politique ce que le dessein de Grégoire VII fut dans l'ordre religieux, et qui mit les rois à la tête de la société française depuis Hugues-Capet jusqu'au moment où Louis XIV entra dans la tombe.

Les premiers successeurs des comtes de Paris avaient senti confusément ce qu'ils pouvaient devenir; mais avant Philippe-Auguste rien de grand ne fut conçu ni tenté; et de même que Rome triompha par une succession de pontifes illustres depuis Hildebrand jusqu'à Boniface VIII, la royauté française poussa ses entreprises, grâce au génie différent de trois hommes, Philippe-Auguste, saint Louis et Philippe le Bel : ils inaugurèrent la mo

narchie et la firent asseoir sur des fondemens solides. Il ne saurait échapper que les deux rois qui ont travaillé les premiers à constituer la France ont passé une partie de leur vie dans l'Orient, et se sont montrés chevaliers héroïques et chrétiens : les grandes pensées croissent ensemble et confondent leurs fruits et leurs rameaux. C'était encore une manière de contredire le génie local de la féodalité que de guerroyer pour un sentiment religieux, pour une idée générale. Philippe-Auguste songe à élever et à concentrer le pouvoir : il rend une ordonnance sur l'université qui ne la crée pas proprement, mais la constitue et la régularise *. Il requiert les seigneurs de faire exécuter ses propres lois dans leurs domaines, discute avec eux ses ordonnances, et leur en fait jurer l'observation. Voilà une justice et une administration générale; voilà véritablement un roi de France. Mais notre plume n'aura pas assez d'éloges pour un homme dont le royal génie est sans contredit ce que le christianisme a produit parmi ses enfans qui ont passé sur un trône de plus harmonieux et de plus pur. Louis IX croit à son Dieu avec toute la candeur et la foi naïve d'un enfant; il réchauffe dans son cœur les intérêts de son peuple avec toute la charité d'un père; il

*Voyez le livre Ix des Recherches de Pasquier, chapitres 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13. Les premiers temps de l'université de Paris y sont mis dans tout leur jour.

y travaille avec le bon sens d'un grand roi; il sait résister aux ambitions temporelles de Rome au moment où il en adore l'autorité divine. Eh! qui serait plus chrétien que saint Louis? qui croirait mieux que lui à Jésus-Christ et à son pontife? mais rien ne peut déconcerter et faire dévier du vrai cet excellent caractère qui seul dans son siècle sait accorder la raison et la foi : c'est lui qui eût été dignement pape et qui méritait de parler aux rois en père et en maître. Poursuivant la pensée de Philippe-Auguste, il rend la justice plus générale encore en établissant les cas royaux, en déterminant les circonstances et les occasions où les lois de sa terre de France deviendront des lois pour les autres fiefs; il abolit le combat judiciaire, c'est-à-dire qu'il frappe au vif l'esprit guerroyant et barbare de la féodalité qui exprimait d'une manière un peu grossière et matérielle la croyance en la protection de Dieu pour le bon droit. Sous ce rapport le combat judiciaire pouvait être une idée spirituelle et religieuse inconnue à l'antiquité, mais saint Louis lui fit céder la place à la justice même et à ses paisibles controverses. Ses établissemens recueillirent les procédés de la pratique, quelques notions de droit romain et quelques essais de réforme. Ils sont, après les assises de Jérusalem, fruit des croisades, importation de la loi chrétienne en Asie, le pre

mier monument de la législation française; car Charlemagne et ses capitulaires appartiennent autant à l'Allemagne qu'à la France. On dirait que Philippe le Bel se chargea de faire payer au pontificat romain les injures de l'empereur Henri IV; Boniface VIII n'a pour se défendre du gantelet de Sciara Colone que l'insolente entremise de Nogaret, et il meurt vaincu par un caractère encore plus altier que le sien. Il est remarquable que la théocratie papale suscita elle-même les deux institutions qui devaient la réprimer et devenir pour elle un obstacle insurmontable. Philippe le Bel rendit le parlement sédentaire, et composa les premiers états-généraux, cette assemblée dans laquelle Mirabeau devait un jour expliquer l'Evangile au clergé de France. Nous allons bientôt examiner à part ces deux fondemens de l'ancienne monarchie.

Après Philippe le Bel, des rois peu significatifs occupent le trône; Louis le Hutin, Philippe le Long, Charles le Bel. Je passe sur les règnes désastreux de Philippe de Valois et de Jean. Je cherche les grands hommes, ces rois types de la monarchie, et qui semblent par la variété de leur caractère répondre à la variété des circonstances. Charles le Sage délivre la France des Anglais par l'épée de Duguesclin, restaure les finances, établit une bonne police et corrige par la persévérance

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