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La Grèce avait donné à l'Europe la philosophie, mais son génie causeur, brillant et logique ne pouvait aller au-delà de la spéculation. Xénophon dans ses Memorabilia nous montre chez Socrate lui-même une ironie caustique et babillarde qui atténue un peu la dignité de ce réformateur. La religion devait naître au sein d'une nation plus grave, héritière de l'Orient et déjà douée de l'esprit occidental, nourrie dans une discipline religieuse qui gouvernait ses mœurs, sa politique et ses sentimens; et c'est du mosaïsme, au milieu du concours de trois sectes philosophiques et religieuses, des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens, que devait sortir un véritable fondateur de religion, Jésus de Nazareth. Ouvrez le

plus élémentaire et le plus simple des quatre évangiles, secundùm Mattheum; parmi les premières paroles qui s'échappent de la bouche de Jésus, vous lirez celle-ci : Nolite putare quoniam veni solvere legem aut prophetas ; non veni solvere, sed adimplere. (Ch. 5, vers. 17.) Ainsi il n'est pas venu briser quoi que ce soit; mais il est venu compléter, développer, et abstraire du mosaïsme des nouveautés fécondes.

Après lui, douze hommes, qui l'ont toujours environné et suivi, se mettent à répandre la doctrine de leur maître, et avec la propagation commence une ombre de gouvernement. Dans ces temps primitifs du christianisme tout fut insensible, libre, spontané, successif; on n'y voit pas ces impatiences hâtives qui tendraient à précipiter l'allure naturelle des choses. Une inaltérable foi vivifie d'une chaleur douce et paisible les premiers chrétiens. Après saint Paul la hiérarchie s'affermit de plus en plus; administration à la fois spirituelle et positive, iɛpa äpyn, elle remet naturellement aux plus pieux et aux plus dignes le gouvernement de la société naissante; les fidèles réunis proclament les hommes qu'ils veulent pour guides, et, par ce mélange de démocratie et d'aristocratie, l'épiscopat devient pour toutes les églises un pouvoir à la fois religieux et politique.

Les évêques (car nous laissons le fond du christianisme pour ne considérer que son institution politique) se trouvèrent successivement en présence des empereurs romains, des rois barbares, de Pépin et de Charlemagne. Les rapports de l'épiscopat avec les successeurs de Constantin furent presque toujours amiables et paisibles. L'Empire ne songeait pas à troubler la liberté de l'Eglise, et ne demanda quelquefois qu'à confirmer les évêques, à ne laisser convoquer les conciles que sous son autorité, et dans certains cas sous la présidence de l'empereur. Quand les Barbares arrivèrent, tout-à-fait préparés à se convertir et à apprendre puisqu'ils n'avaient rien à oublier, l'entremise de l'épiscopat entre les vainqueurs et les vaincus fit du sacerdoce une magistrature morale. Hommes d'état, philosophes, lettrés, prêtres saints et pieux, les évêques pendant quatre siècles furent vérita blement les instituteurs de la société moderne.

En examinant les principales révolutions qu'a subies la propriété dans l'histoire, nous avons vu que le spiritualisme chrétien eût été impuissant si on ne l'eût investi des droits positifs de la propriété. Mais ces richesses mêmes faillirent dénaturer tout-à-fait le christianisme et l'étouffer dans les rouages de l'organisation féodale. Cela veut être observé.

Quand les Barbares établis sur le sol, convertis et chrétiens, pénétrèrent dans les rangs mêmes de l'Eglise et arrivèrent à l'épiscopat, ils y portèrent leurs mœurs violentes, entreprenantes et militaires; ils trouvèrent naturel de continuer à servir les rois de leur personne, d'autant plus que leur condition de possesseurs de bénéfices les y obligeait. Peu à peu le caractère de l'évêque disparut sous l'investiture féodale; le prêtre fut baron ou comte, et il perdit sensiblement son indépendance et son autorité religieuse.

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Heureusement pour l'épiscopat, il put se sauver lui-même en se donnant un chef, et en transformant la constitution de l'Eglise. Dès les premiers temps l'évêque de Rome s'était concilié une sorte d'autorité sur ses égaux. Il semblait prêtre chrétien dont le siége spirituel était la métropole du monde ne devait pas disparaître. sous le niveau d'une égalité commune. Dès le Ie siècle Tertullien reconnaissait la supériorité morale de l'évêque romain, et M. de Maistre a rassemblé dans son pape tous les témoignages qui attestent la reconnaissance volontaire de cette suprématie de la part des pères et des docteurs *. Si à cette autorité, d'autant plus forte qu'elle était consentie, venait se joindre quelque consistance

*Liv. 1, chap. 6.

politique, il est clair que l'épiscopat trouvait dans l'Eglise romaine un centre, une tête. Or les véritables puissances, loin de s'entre-détruire, se devinent et s'appellent. Pépin le Bref eut besoin de consacrer par une influence morale son usurpation sur les débris de la race mérovingienne; il s'appuya de l'évêque de Rome et lui donna des terres. Charlemagne constitua le pape, en même temps qu'il se créa empereur, et il voulut faire planer sur la couronne impériale l'esprit même de la religion; véritable grandeur du génie qui sent ne pouvoir mieux enraciner le trône qu'en le soumettant à Dieu, et qui dédaigne les appréhensions d'un étroit égoïsme.

Quand le traité de Verdun eut, en 843, démembré l'empire de Karle, les deux puissances dont ce grand homme avait posé les fondemens ne purent se concilier; leurs discordes occupent le premier plan de la scène du moyen-âge. Le pape et l'empereur, ces deux pouvoirs également électifs que faisaient les électeurs et les cardinaux, voilà le Janus à deux faces qui retient encore dans une laborieuse unité cette civilisation moderne qui veut s'éparpiller et s'épa

nouir.

Après Louis le Germanique la couronne d'Allemagne devint élective, et trois maisons combattirent successivement le sacerdoce, la maison

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