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ils entraient assez dans mon point de vue et me pressaient de m'associer à leurs efforts pour travailler moi-même au but que je me proposais. J'y consentis trop promptement, car, une fois entré dans la société saint-simonienne, je ne respirais plus à l'aise sous la responsabilité d'une religion nouvelle : je trouvai encore quelques paroles dans deux ou trois conférences philosophiques; mais, en assistant parmi les saint-simoniens à leurs prédications, j'étais hérétique, et je sentais que jamais à leur chaire je ne trouverais une parole puissante. Cette gêne d'esprit et d'âme ne pouvait durer. Je résolus de me retirer en silence et de m'éloigner avec rapidité. J'annonçai un soir mon départ à un parent qui m'est cher, et le lendemain j'étais sur la route de Lyon, après avoir chargé un de mes amis, que surprit la promptitude de ma résolution, de m'expédier à Marseille un passe-port pour l'Italie. J'oubliai bientôt la religion nouvelle sur ce théâtre de l'histoire et de l'art; il Ꭹ avait pour moi quelque charme à passer du fracas de juillet au silence du Forum.

Voilà toute l'histoire. Je n'eusse jamais songé

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à conter ici ces petites circonstances, sans la publicité que les saint-simoniens ont donnée, je ne sais pourquoi, à mon adhésion et à ma retraite. On peut tous les jours se réunir à une conférence, à une société, et se retirer, si l'on aperçoit des causes graves de dissentiment. Les saint-simoniens ont imaginé de répandre qu'en m'éloignant d'eux j'avais cédé aux suggestions de l'amitié; j'avouerais non-seulement sans peine, mais avec joie, cette influence, si elle eût existé mais personne n'a pris part à ma détermination; seul j'avais abordé le saint-simonisme, j'en ai pris congé seul des intentions généreuses m'avaient attiré, la solidarité insoutenable d'une doctrine bigarrée où se trouvent accouplés De Maistre et Bentham, le mysticisme et l'économie politique, m'inspira la pensée de reprendre ma liberté. Concevoir et exécuter cette résolution fut pour moi même chose. Il a quelque temps, les saint-simoniens ont jugé convenable de m'adresser quelques injures, et m'ont arraché, au milieu de mes études, une courte et vive réponse. Il est sans doute trèsflatteur pour moi que ces messieurs aient eté assez sensibles à ma retraite pour faire succéder

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aux éloges dont ils m'avaient environné, des invectives d'assez mauvais goût. Ils auraient dû se rappeler seulement que je ne leur dois rien, et qu'ils me doivent quelque chose; car ils ont exploité ma présence parmi eux, car je n'ai pas peu contribué à leur ouvrir les colonnes du Globe et à tourner l'attention de plusieurs sur leur école.

Mais laissons ces misères pour ne plus parler que des intérêts généraux de la philosophie. La science de la législation devient plus importante que jamais pour la France à une époque où toutes les conditions de la sociabilité sont pour ainsi dire révisées.

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Dicamus leges.

Foederis æquas

Il est nécessaire que le pays qui a l'initiative dans les révolutions, ne soit pas médiocre dans la connaissance des lois sociales.

Appelé à un enseignement supérieur par un gouvernement libre et national, je devais définir la nature de la législation, son but, poser toutes les questions, contribuer à en résoudre

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quelques-unes, mettre en saillie quelques principes dirigeans, et placer la science des lois au centre du mouvement de la philosophie européenne. C'est ainsi du moins que je conçus ma tâche. Un premier essai m'en facilitait un peu l'accomplissement. Déjà, dans un ouvrage intitulé: Introduction générale à l'Histoire du Droit, j'avais essayé de tracer une théorie du droit positif, et de démontrer que le droit subsiste à la fois par l'élément philosophique et l'élément historique j'avais, de ce point, de vue, écrit une histoire de la jurisprudence en Europe depuis le xe siècle jusqu'à nos jours, et tiré de ce tableau des enseignemens et des conséquences. Cette introduction était animée d'une pensée spécialement scientifique mon dessein était surtout d'y montrer le progrès et le caractère tant historique que philosophique de la jurisprudence européenne. Les philosophes n'étaient pas oubliés, mais les jurisconsultes y primaient ainsi l'unité du plan avait exigé que je laissasse dans l'ombre la figure de Hobbes pour ne peindre que Grotius, Rousseau pour mieux faire ressortir Montesquieu : c'était un essai d'histoire philosophique de la jurispru

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dence, et non pas une philosophie du droit, dont je remettais la tentative à une autre époque, aujourd'hui arrivée.

On trouvera le plan de la philosophie du droit que je présente aujourd'hui au public, dans le premier chapitre de l'ouvrage, je n'en tracerai pas de nouveau l'esquisse : je dirai seulement les intentions qui m'ont dirigé.

J'ai désiré d'abord mettre sur le premier plan la puissance et la dignité de la pensée humaine, montrer dans l'esprit humain la raison des choses et célébrer Dieu par l'homme. C'est ma foi la plus intime que l'homme ne peut être grand et fort que par la conscience énergique de tout ce qu'il peut; qu'il est constamment appelé, dans sa lutte de tous les jours, à être volontaire ; que, dans ce siècle qui se débat pour s'enfanter lui-même, et qui perce déjà de torrens de lumière les nuages qui disparaissent de plus en plus pour nous en laisser voir et la face et la cime, l'homme ne reviendra à l'intelligence efficace de la Providence que par sa propre liberté, de la religion que par la philosophie, de Dieu

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