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l'industrie commence ; l'idée et le respect de la propriété foncière doivent faire place à l'idée et au respect de la production. Cette vue est profondément philosophique; elle n'a d'autre tort que de ne pas l'être encore assez. Quelle est la véritable source de la propriété? la pensée de l'homme. Son moyen d'exécution? la volonté. Ses trois théâtres? la nature, la famille et l'Etat. La conquête, que les philosophes condamnent, n'est autre chose que le développement de l'activité humaine ; l'industrie n'est elle-même qu'un mode de cette activité, qui, venu le dernier, frappe plus vivement les esprits, mais qui n'est pas la pensée elle-même, et n'est pas destiné à rester sur le premier plan de l'histoire ; comme la féodalité, l'industrie est un passage à autre chose.

Le christianisme, qui a développé dans l'homme la conscience individuelle, a fortifié nécessairement le sentiment de la propriété, loin de vouloir le combattre et l'anéantir; et ici je parle du christianisme social, et non pas d'un mysticisme secret et illuminé.

Vouloir supplanter l'idée de propriété par l'idée de production, c'est confondre deux ordres de choses différens, l'économie politique et la législation. Sans doute, il serait commode, pour arriver à une distribution plus égale et plus aisée

des produits, de supprimer despotiquement les sentimens, les droits et les délicatesses de la nature humaine; mais la société ne saurait être une manufacture pas plus qu'elle n'a été un couvent ni une caserne. Pourquoi la vie militaire nous paraît-elle si héroïque? parce qu'elle demande le sacrifice le plus complet de l'individualité à une règle, à une discipline, un dévoûment de tous les instans à une mort, toujours présente. Mais c'est un état exceptionnel. La société peut avoir une armée; mais elle ne saurait être une armée. La vie monastique s'élève également sur les débris de la liberté humaine qu'elle étouffe et qu'elle crucifie. Les manufactures, ces arsenaux de l'industrie, n'obtiennent souvent un plus grand nombre de produits qu'en faisant de la liberté humaine une machine dont elles abusent à merci.

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Si l'individualité, dans ses rapports avec l'association, attachait son existence à une condition nécessaire, il serait précieux de la reconnaître or elle existe; c'est l'héritage. Un enfant est mis au monde par ses parens; est-ce un pri. vilége? Deux êtres lui ont donné la vie ; sans eux il n'existerait pas, et dès-lors soutient avec eux des rapports perpétuels et sacrés. Je consens à ce qu'on abolisse l'héritage à une condition: de m'indiquer la manière de se procurer

des hommes, sans qu'ils aient un père et une mère.

L'héritage n'est pas une idée conventionnelle, mais naturelle, qui se reproduit partout. Eh! si nous sortons de la famille, l'histoire n'est qu'un immense héritage de joies et de misères, de ruines et de triomphes. Nous ne faisons que nous transmettre les uns aux autres le sang, la vie, les idées et les progrès. Mais, pour revenir à l'enfant, il hérite de son père naturellement par une loi nécessaire que la législation civile doit reconnaître et ne peut changer. Un poète a peint admirablement un sage cachant sa vie au fond d'une vallée, seul, mais gardant toujours les liens qu'il n'est pas permis à l'homme de briser.

<< Mais il eut, sans goûter une science amère,

» La loi de ses aïeux, et le Dieu de sa mère;

» Reçut, sans la peser à nos poids inconstans,
» Dans un cœur simple et pur la sagesse des temps,
>> Comme des mains d'un père on prend un héritage
>> Avec l'eau qui l'arrose et l'arbre qui l'ombrage *. »

Oui, il y a pour l'homme un héritage indélébile, des sentimens maternels, des pensées de son père, de la maison et de la terre où il s'est

* M. DE LAMARTINE, Harmonies poétiques et religieuses.

élevé, patrimoine à la fois de souvenirs et de richesses qui ne se laissera jamais envahir. Nous conseillons aux théories téméraires de s'y résigner; c'est l'ultimatum de la nature.

CHAPITRE V.

De la succession naturelle et testamentaire. Des contrats.

J'appelle l'attention sur une distinction fondamentale entre l'hérédité domestique en ligne directe et l'hérédité politique.

Le pouvoir philosophiquement considéré ne saurait se distinguer de la société; il est un ministère public institué au profit de tous, et qui par un progrès nécessaire et successif s'exercera non-seulement pour tous, mais par tous à des degrés différens. Il ne saurait avoir d'autre titre que son utilité, d'autre légitimité que l'assentiment général. Il n'y a donc pas pour lui d'hérédité en soi et naturellement nécessaire par droit du sang; mais il peut être profondément utile que ce ministère public soit stipulé héréditaire. Alors l'hérédité politique puise sa raison

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