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CHAPITRE III.

De la Famille. - Du Mariage.

Du Divorce. De l'Education.

Il est quelque chose pour l'homme qui lui sert à la fois de berceau et d'asile, où,il naît, s'élève et se développe, où il puise consolations et forces contre les tempêtes qui l'attendent au dehors, qui est son sanctuaire et l'inviolable confident de ses joies et de ses douleurs ; je veux parler de la famille.

Or la famille et l'Etat vivent ensemble dans de perpétuels rapports. Dès le début de l'histoire et de la législation, on saisit l'Etat imprimant à la famille ses influences, ses règles et ses lois, de telle façon que la famille, dans la sphère qui lui est propre, représente la constitution politique de la société au sein de laquelle elle est enfermée. L'Inde, la Chine, la Judée, nous livrent ce reflet si fidèle

à des degrés différens, avec ces diversités qui font l'intérêt de l'histoire. Si en Grèce la famille est plus libre, c'est en raison même de la liberté plus grande de l'Etat. Ainsi Solon, qui a si efficacement travaillé aux lois athéniennes, à cette législation facile, capricieuse et riante, destinée à naître et à se développer entre les poètes, les philosophes, les sophistes et les rhéteurs, fait descendre la démocratie de l'Etat à la famille. Rome commence par la plus complète sujétion de la famille à l'Etat; mais peu à peu son droit civil se distingue du droit politique, et finit sous les empereurs par s'en séparer tout-à-fait. Le christianisme achève l'émancipation de la famille, qu'attendent d'autres destinées.

Quand, vivant sur la place publique d'Athènes ou de Rome, le citoyen ne retournait dans sa maison que pour y prendre un repos nécessaire, quand la vie tout extérieure se passait entièrement sous le soleil du midi, en réunions politiques, en exercices communs d'esprit et de corps, qu'importait la famille? Mais dès les premiers temps modernes, si graves et si sombres, où l'existence de chacun, assiégée par mille hasards, était comme une conquête de tous les jours; dans le passage de la barbarie à la féodalité, de la féodalité aux temps véritablement modernes ; la vie de la famille devint, au fond des châteaux forts,

sous la protection des hommes d'armes et des tourelles, un asile nécessaire, indépendant, où les sentimens les plus chers à l'humanité, l'amour, la religion, firent à l'homme une destinée inconnue aux temps antiques. Alors changèrent les rapports de la famille et de l'Etat. La famille avait conquis son indépendance; mais toutefois les idées politiques continuèrent de faire invasion à son foyer. Les successions nobiliaires, le droit d'aînesse, les substitutions attestent le triomphe de l'aristocratie. La réaction ne se fait pas attendre; le protestantisme introduit le divorce dans le mariage; et la révolution française règle la famille sur la liberté politique.

Les rapports de la famille et de l'Etat sont indestructibles, car ils ressortent de la nature des choses; mais le progrès accompli consiste dans l'indépendance de la famille qui est devenue, au milieu des révolutions de la liberté politique, comme un royaume à part où l'homme se repose des tourmentes sociales, jouit avec sécurité des plus nobles affections du cœur, peut sauver son bonheur domestique des naufrages de sa fortune publique. La constitution de la famille ne se règle donc plus sur les principes de l'Etat, pas plus que l'État sur les formes essentielles de la famille. Vouloir importer la paternité domestique dans la constitution politique, vouloir en induire la né

cessité philosophique de la monarchie chez tous les peuples, ne pas reconnaître dans la famille et l'Etat deux ordres de choses distincts que le progrès de l'histoire a séparés pour jamais, c'est vouloir ramener l'homme à son berceau.

Quel est le fondement de la famille ? quelle en est la source sacrée? le mariage. Ici se révèle la supériorité de la race humaine sur tout ce qui respire. Si une attraction puissante entraîne les uns vers les autres tous les êtres animés; si tout ce qui est doué de la vie tend à s'unir, se désire et se cherche pour s'aimer et se compléter, les êtres dont l'intelligence et la liberté élèvent et purifient les passions, ne portent-ils pas dans cette union, qui leur est commune avec tout ce qui respire la supériorité, de leur nature? Le mariage humain est au-dessus du mariage naturel de toute l'excellence de l'homme sur l'animal : association de personnes sensibles, intelligentes et volontaires, il met en commun ce que l'homme a de plus sacré, de plus intime et de plus doux. J'en trouve dans la loi romaine une définition admirable que le christianisme n'a pas surpassée:

F

Nuptiæ sunt conjunctio maris et fœminæ, con>> sortium omnis vitæ, divini et humani juris com>>municatio *. » Conjunctio maris et fœminæ:

* MODESTINUS, ff. De ritu nuptiarum, f. 2. 1.

voilà l'acte physique et universel; consortium omnis vitæ : c'est la mise en commun de toute la vie, de toute la destinée; divini ac humani juris communicatio : voilà la participation pour les époux et les enfans de tout ce que le droit divin et humain, de tout ce que la sociabilité et la religion a de sacré, de pieux et d'indélébile.

Il importe de constater comment le droit romain est arrivé à prononcer sur le mariage une sentence si juste et si haute. Les patriciens qui avaient fondé la cité, pères de la sociabilité romaine, étaient seuls dans l'origine citoyens, cives, avaient seuls le secret et le privilége du droit, jus civile, qui comprenait la religion et la politique, les dieux et la cité, et faisait découler la légalité des auspices. En dehors de ce droit à la fois divin et humain, il n'y avait pas de citoyens, mais seulement des hommes; pas de mariages légitimes, juridiques, religieux, civils, mais des unions naturelles. Conquérir les uns après les autres tous les droits de la sociabilité, de la cité; être père de famille, époux comme le patricien ; participer soi, sa femme et ses enfans, au même droit civil et religieux : voilà quel fut l'effort et la conquête du plébéien pendant les premiers temps de Rome; et de cette lutte laborieuse est sorti ce sentiment si profond et cette idée si sainte du mariage.

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