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nismes nouveaux la confiance générale ne suffit pas, il faut l'adhésion universelle.

Le patriote clairvoyant et décidé qui croit à l'assignat parce qu'il croit à la Révolution, et qui croit à la Révolution parce qu'il est résolu à la servir, ne peut pas être exposé, dans le hasard des transactions multiples, à subir, pour l'assignat qu'il offre, le refus d'un ennemi de la Révolution ou d'un calculateur tenace et sordide. Il faut qu'il soit assuré, à toute heure et toute occasion, de placer

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aisément l'assignat qu'il a reçu en confiance, et le mouvement de la monnaie exige un accord absolu, unanime des volontés, il exige, par conséquent, quand il s'agit d'une monnaie nouvelle, organe d'un ordre nouveau encore combattu, l'intervention souveraine de la loi.

Ainsi le cours forcé n'est pas un acte de défiance envers soimême, c'est une précaution nécessaire contre l'ennemi, et M. de Boisgelin, le subtil archevêque d'Aix, commettait un sophisme trop aisé à percer quand il disait au rapporteur : « Pourquoi donc décrétez-vous le cours forcé ? Si votre nouvelle monnaie est solide, elle aura cours naturellement par la confiance spontanée des citoyens; si votre nouvelle monnaie a une base de valeur incertaine, vous n'êtes pas sûrs de pouvoir un jour la convertir par la réalisation du gage, et c'est une banqueroute de détail, une banqueroute innombrable, multipliée par tous ces signes incertains et par tous les déplacements de ces signes, que vous commettez. >>

Ah! le beau raisonnement et la belle tactique! L'Eglise organisait autour de l'assignat la défiance, la grève d'une partie du peuple fanatisé, et quand ces refus, ces résistances d'une minorité de la

Nation auraient arrêté la circulation des assignats, comme des pierres placées par intervalles dans un canal arrêtent la circulation de l'eau, elle se serait écriée avec triomphe : « Vous voyez bien que votre nouvelle moniaie est impossible, et comme sans cette monnaie nouvelle la vaste opération de vente est impraticable, il faut renoncer à aligner, le domaine ecclésiastique.

Le cours forcé déjouait cette manœuvre, et quand un véhément orateur de la droite s'écriait : « Décréter le cours forcé du papiermonnaie, c'est voler le sabre à la main », il se trompait d'un mot, car la Nation ne volait pas, elle arrachait à des oisifs et à des indignes un bien qui fructifierait mieux en d'autres mains, mais elle avait raison d'armer la Révolution de la loi comme d'une épée, et de donner à l'assignat une vertu conquérante et une force de pénétration qui pût déjouer toute résistance.

Mais, au moment où la Révolution allait donner le caractère de monnaie et le cours forcé aux quatre cents millions d'assignats créés en décembre 1789, et dormant encore dans la Caisse de l'extraordinaire, une question se posait: fallait-il maintenir un intérêt à ces assignats? A première vue, et dans le calcul abstrait, il semblait bien que l'assignat, une fois devenu monnaie, devait, comme toute monnaie, ne porter aucun intérêt. Quand, en décembre, l'Assemblée avait décidé que les assignats recevraient un intérêt de 5 p. 100, elle n'avait pas donné cours forcé aux assignats. Elle les avait destinés surtout à faire patienter les créanciers de l'Etat jusqu'à ce qu'on pût les rembourser par la vente du domaine ecclésiastique. Or, comme il leur était dû un intérêt pour leur créance, il était naturel que l'assignat, qui donnait un corps nouveau à cette créance, portât un intérêt comme elle.

Le créancier n'était pas sûr de pouvoir céder à d'autres l'assignat, il fallait donc, s'il le gardait dans son tiroir, qu'il ne perdit pas l'intérêt du capital représenté par cet assignat. Et l'intérêt attaché à l'assignat pouvait aider d'ailleurs le porteur de l'assignat à le négocier. N'ayant pas la circulation forcée et étendue de la monnaie, il pouvait du moins avoir une sorte de circulation de banque, et il devenait en quelque mesure un instrument de transaction.

Mais du jour où le porteur de l'assignat a en mains, non plus une créance à terme sur l'Etat, mais une monnaie, c'est-à-dire une créance à vue sur le public, du moment qu'il est assuré, par le cours forcé, que ni ses créanciers, ni ses fournisseurs ne pourront refuser l'assignat et qu'il peut ainsi se rembourser lui-même, par des achats où l'assignat a force libératoire, du capital jadis prêté à l'Etat, il n'y a plus aucune raison de lui servir un intérêt, car les assignatsmonnaie représentent, non plus une promesse de remboursement, mais un remboursement.

Petion, qui, dès décembre, était intervenu pour dissocier le crédit de l'Etat du crédit, ou mieux, du discrédit de la Caisse d'Escompte, et qui, sur toute cette question des assignats a eu des vues très hardies et très nettes, a fait valoir avec force les raisons de retirer tout intérêt aux assignats transformés (16 avril 1790):

DOMAINES NATIONAUX

Hypothéqués au remboursement des Affignats decrétés par l'Affemblée Nationale,
Les 19 & 2 Décembre 1789, 16 & 17 Avril 1790, fandtionnés par LE ROI.

LOUIS XV

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Deux Cents liv.

ASSIGNAT DE

DEUX CENTS

IL

fera payé, à l'ordre du ficur

Avy

DEUX CENTS LIVRES, à la Caille de l'Extraordinaire, conformément aux difpofitions

du Decret des feize & dix-fept Avril mil fept cent quatre-vingt-dix.

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H N.° 6037

INTERET par jour,

QUATRE DENIERS.

ASSIGNAT DE DEUX CENTS LIVRES

(D'après un document de la Bibliothèque nationale)

«Il est facile de concevoir, dit-il, pourquoi l'assignat ne doit porter intérêt. C'est par la raison que les écus qui sont dans la circulation n'en portent pas; aussitôt que vous rendez l'assignat une monnaie, qu'il est reçu dans tous les échanges à ce titre, il doit en conserver tous les caractères. Si, lors de la première émission des assignats, vous avez consenti à leur attacher un intérêt, c'est que vous avez cru donner un attrait puissant à un effet auquel les esprits n'étaient pas encore familiarisés, que les préjugés et l'ignorance pourraient repousser; mais, en principe, il est absurde qu'un assignat-monnaie porte intérêt.

<< Il y aurait même, sous un rapport, une véritable injustice, car cet assignat ayant en lui-même la valeur de la monnaie, si vous y

en ajoutez une autre, par cela même vous dépréciez la monnaie qui est en circulation, vous la faites perdre contre l'assignat.

་་

<< Aux principes de raison et d'équité se joint ici un grand motif d'utilité publique. Les assignats ne portant point intérêt, vous allégez le fardeau des impôts sous lequel le peuple est écrasé. Si vous remboursez 2 milliards, vous déchargez la Nation de 100 millions de rente. Est-il une considération plus puissante, plus propre à toucher ceux qui s'occupent à soulager les malheurs d'une nation si longtemps opprimée ".

<«< Si les assignats portaient intérêt, on ne pourrait plus les regarder comme monnaie, et alors je ne verrais pas de raison pour que cet intérêt ne fût pas fixé sur le taux ordinaire et courant. Qu'arriverait-il alors? C'est qu'une grande partie des biens nationaux ne serait pas vendue. Le porteur d'un assignat préférerait la jouissance tranquille d'un intérêt de 5 p. 100 à la possession d'une terre dont le revenu ne lui produirait pas au delà de 3 1/2; revenu qui est même sujet à des vicissitudes, à des non-valeurs.

« Ainsi, l'objet intéressant, l'objet essentiel que l'Assemblée se propose pourrait échouer en attachant des intérêts aux assignats. Les biens nationaux, qu'il est si important de vendre et de vendre promptement, trouveraient un moins grand nombre d'acquéreurs. La gestion en serait très onéreuse à la Nation, et elle ferait un intérêt de 5 p. 100, lorsqu'elle n'en retirerait peut-être pas 2 p. 100 de ses fonds. >>

Et Petion, préoccupé ainsi de faire de l'assignat purement et simplement une monnaie, demandait avec beaucoup de logique que l'assignat de mille livres, créé par le vote de décembre, fût subdivisé en assignats de moins de valeur pour se prêter à une circulation de détail.

« S'il est, dit-il, un vice qui se soit fait vivement sentir dans les assignats mis jusqu'à ce jour en émission, c'est qu'ils représentent des sommes trop considérables, et qu'ils ne se prêtent pas, dès lors, à une facile et fréquente circulation. Ils deviennent nuls pour les besoins journaliers de la vie et pour tous les objets de détail; ils deviennent nuls pour toutes les opérations de commerce. Ils deviennent tantôt une raison, tantôt un prétexte pour arrêter le cours des affaires. Le débiteur d'une petite somme renvoie sans cesse son créancier qui est dans le besoin en lui offrant ces assignats dont la valeur est de beaucoup supérieure à la dette. Avec de tels assignats les appoints deviennent très difficiles, et nous avons à cet égard une expérience suffisante pour nous éclairer. Les assignats de 50, de 36, de 24 livres entreraient aisément dans toutes les transactions, dans tous les échanges; ils donneraient une très grande activité à la circulation. »

Le système de Petion est cohérent et complet. C'est dès lors celui qu'adoptera décidément la Révolution; des assignats gagés sur les biens nationaux, ayant caractère de monnaie et cours forcé, ne portant pas intérêt et divisés en petites coupures pour pénétrer dans toutes les ramifications des échanges. Et il semble bien que les objections formulées par lui contre l'intérêt attribué à l'assignatmonnaie sont décisives. Pourtant l'Assemblée ne s'y rendit pas encore en avril.

La tentative était si audcieuse, un échec des assignats se heurtant à l'universelle résistance aurait été si grave qu'elle voulut accumuler les précautions. Sans doute, le cours forcé de l'assignat-monnaie semble rendre l'attribution de l'intérêt inutile et injuste, mais n'y aura-t-il pas là un encouragement à ceux qui voudraient faire circuler l'assignat? L'intérêt sera calculé par jour; par exemple, l'intérêt étant fixé à 3 p. 100, l'assignat de mille livres produira 20 deniers par jour, ou 1 sol 8 deniers.

Ainsi, quand un porteur d'assignat l'aura gardé vingt jours, s'il le passe à un autre, il recevra de celui-ci la valeur de l'assignat plus 20 fois 20 deniers, et ainsi dans toutes les transactions. A la fin de l'année, le porteur recevra du Trésor l'intérêt de l'année qui aura été successivement avancé par les acquéreurs successifs de l'assisimples mais, si simples qu'ils fussent, ils empêchaient l'assignat puisqu'il recevra, en le passant à un autre, outre la valeur de l'assignat, une sorte de prime représentant l'intérêt de l'assignat pendant tout le temps qu'il l'a gardé.

Il est clair que cette combinaison n'exigeait que des calculs assez simples mais si simples qu'ils fussent, ils empêchaient l'assignat de se populariser: et il semble bien que l'usage en était ainsi pratiquement restreint aux hommes habitués aux affaires. La clientèle de l'assignat était donc moindre et son rôle était réduit: mais les résistances de la masse, non encore bien informée, n'étaient pas à craindre, et l'acclimatation de l'assignat se faisait sans qu'une chute brusque fût à craindre.

Ah! quel mélange de hardiesse et de prudence supposent les grandes révolutions! et de quelle admirable puissance et souplesse d'esprit firent preuve les Constituants!

Dans chacune de ces séances, où la pédantesque ignorance de Taine n'a vu que des incidents tumultueux ou des déclamations abstraites, il y a eu un effort de pensée, le sublime calcul du marin qui suit le mouvement délicat d'une aiguille dans le désordre immense de la tempête.

Que les emprunts imaginés par Necker échouent, que les impôts anciens ne rentrent pas, que même la nouvelle contribution patriotique ne soit pas immédiatement versée, cela n'atteint pas la Révo

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