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conçoivent pas même la possibilité d'une trève; car on peut apaiser une guerre d'intérêt par des concessions réciproques, mais une guerre de doctrines, jamais. Le temps, qui calme toutes les autres dissensions, ne fait que fortifier cette lutte, parceque les doctrines contraires, en se développant, ne font que se diviser davantage; et lorsque enfin, étendues à toutes leurs conséquences, elles se trouvent opposées en tout, comme aujourd'hui, on voit alors se réaliser sur la terre, dans les proportions que comporte l'état présent, cette séparation de l'ordre parfait, et du désordre sans borne, qui reçoit ailleurs sa consommation.

Dès qu'une fois on a compris le principe du choc terrible qui ébranle le monde, on ne peut se faire illusion sur le seul moyen qui puisse y remédier. La guerre règne dans la haute région de l'ordre social, dans le monde des esprits : c'est là que se sont formées les tempêtes: c'est de là seulement qu'on peut faire descendre la sérénité; et la société, qui périt par l'anarchie des opinions, ne sera sauvée que par des croyances.

Or, dans ce combat de doctrines, il n'existe que deux principes réellement opposés, dont plusieurs esprits peuvent ne pas tirer toutes les conséquences, mais qui renferment tout ce qu'il y a de vrai ou de faux, d'utile ou de nuisible dans les pensées humaines. L'un est le principe catholique, qui, soumettant toutes les opinions particulières à l'autorité des croyances générales, établit une société parfaite entre les intelligences, et les met dans l'heureuse nécessité de conserver à la fois toutes les vé

rités : l'autre est le principe philosophique, qui, soumettant les croyances générales aux caprices des opinions particulières, établit l'anarchie entre les intelligences, et leur donne la funeste liberté d'adopter à leur gré toutes les erreurs.

Il suit de là que, si l'on veut protéger avec succès l'ordre social, il faut de toute nécessité se placer sur la base catholique. C'est là seulement qu'on est fort, parceque c'est là seulement qu'on est conséquent. Quiconque, s'appuyant sur une autre base, prétend défendre la société contre la révolution, ne comprend ni ce qu'il défend ni ce qu'il combat: car, en rejetant l'autorité qui peut seule commander aux intelligences, il établit par là l'indépendance de chaque esprit, qui est le principe même de la révolution qu'il attaque. Hors de la foi catholique, il n'existe que des opinions particulières ; et le monde ne périt que parceque les opinions particulières, affranchies de toute règle, minent de toutes parts les croyances générales, sur lesquelles repose la société. Aussi tous ces systèmes qui, avouant au moins implicitement le principe même des systèmes anarchiques, s'efforcent d'être sociaux dans leur application, non seulement n'ont aucune action sur les esprits (car l'erreur conséquente est plus forte que la vérité dont l'inconséquence ruine l'effet); mais, de plus, ils poussent les esprits droits vers les opinions révolutionnaires, dont ils conservent le fond; et, sous ce rapport, quelles que soient les intentions de ceux qui les professent et les talents qui les préconisent, l'ordre social, compromis par cette défense contra

dictoire, doit redouter à l'égal d'une guerre formelle cette funeste protection.

Mais, dès qu'on appuie les vérités sociales sur la doctrine catholique, elles sont inébranlables, parcequ'alors elles reposent sur leur véritable fondement. La société politique ne subsiste que par la soumission des esprits à des croyances et à des devoirs communs ; et le principe de cette soumission ne se trouve que dans la société religieuse universelle, qui seule a le droit de commander aux esprits. Est-il donc si difficile de comprendre que cette autorité spirituelle, qui règne dans tous les temps et dans tous les lieux, est la seule digue qu'on puisse opposer à ce torrent d'opinions indépendantes qui menace de tout renverser? Tant qu'on opposera des systèmes à des systèmes, on ne fera qu'augmenter le chaos, et jamais les opinions individuelles ne reculeront devant d'autres opinions individuelles, qui n'ont aucun droît de leur commander. Pour soumettre les esprits, il faut opposer à leurs pensées particulières, variables et divisées entre elles, l'immuable autorité des croyances générales, dont la société religieuse conserve le dépôt à travers les vicissitudes humaines. Et en vérité, lorsqu'il s'agit de défendre l'ordre établi par le créateur de la société, quiconque n'a que ses opinions est bien orgueilleux, s'il les croit nécessaires, et bien coupable, si, ne le croyant pas, il trouble le monde pour les faire prévaloir. C'est d'après ces considérations qu'on se détermine à publier un ouvrage, organe permanent des doctrines catholi

ques, appliquées à tous les besoins actuels de la société. Pour bien comprendre les raisons qui font naître cette entreprise, et l'action qu'elle peut avoir sur les esprits, il est utile de' se rappeler l'influence qu'ont exercée les écrits périodiques, analogues à celui-ci, qui ont paru successivement depuis le rétablissement de la religion en France, et de considérer l'état des journaux existants, dans leurs rapports avec la propagation des doctrines catholiques.

Dès que la religion, rappelée de son exil, put faire entendre sa voix dans les temples, elle s'ouvrit aussitôt, dans des écrits périodiques, une chaire d'où elle put parler à la société tout entière. Les journaux contribuèrent puissamment à dissiper les préjugés irréligieux qui régnaient à cette époque, et l'on se rappelle encore la vive impression qu'ils produisirent. La philosophie ne soutint que faiblement la lutte: elle était alors toute honteuse d'elle-même. Si de temps en temps elle essayait quelques réponses, ses écrits, tracés d'une main naguère armée d'une hache homicide, semblaient être encore trempés de sang humain; et ses murmures impies étaient comme les derniers bruits des échafauds qui venaient de tomber.

Bientôt un homme qui ne voulait ni de la vérité ni de l'erreur, parcequ'il ne voulait que lui, les força l'une et l'autre de se taire devant son épée. Il les avait laissées libres tant qu'il douta de sa toute-puissance; dès qu'il crut la sentir, il les enchaîna. Cet homme avait compris le pouvoir des doctrines, et c'est pourquoi il le redoutait comme un rival: on

eût dit qu'une armée ennemie lui causait moins d'alarmes que quelques feuilles, qui portaient, à travers la France muette, la confidence de quelques vérités : leur silence fut un de ses triomphes.

La restauration ne fut d'abord en France qu'un songe d'espérance. La révolution était détrônée, on la crut morte; et les pompes qui accompagnaient le retour des princes légitimes semblaient être ses funérailles. Quelques voix s'élevèrent pour dissiper l'illusion; elles se perdirent au milieu de l'ivresse générale. Les peuples avaient encore besoin de leçons terribles pour apprendre que ce sont les doctrines qui ébranlent ou raffermissent les empires.'

Leur puissance ne tarda pas à se manifester lorsque la faction révolutionnaire, déguisée sous les couleurs de la monarchie, entoura le trône sous prétexte de le défendre. Un écrit périodique parut, qui révéla l'opinion royaliste, et détrompa l'Europe. Quoique ses illustres rédacteurs n'eussent peut-être pas une parfaite unité de principes, les vérités sociales y furent défendues avec une vigueur qui atteignit en partie son but. Les hommes qu'il attaquait tombèrent du pouvoir, mais leurs doctrines restèrent; et l'hydro de la révolution avait perdu tout au plus une tête, lorsque l'Hercule de la légitimité termina ses travaux.

Aujourd'hui l'état des journaux fournit des observations remarquables. D'abord, les feuilles révolutionnaires, malgré les nuances qui les distinguent, s'accordent à diriger des at

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