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signaler les suites funestes, et la défaveur de pareilles institutions; mais bien plutôt d'arracher du cœur de l'homme la dissolution, la cupidité, l'insatiable avarice, qui le poussent dans l'abîme par un ascendant plus fort que l'horreur même de sa ruine. Il est bien douloureux sans doute de voir les gouvernements spéculer ainsi sur la corruption de quelques hommes; mais, d'un autre côté, n'est-il pas vrai de dire que les gouvernements, en ouvrant un asile aux vices les plus infâmes, les concentrent par là même, et les empêchent de couvrir la face entière de la société de leurs plaies dégoûtantes ? Ce sont donc les cœurs qu'il faut guérir, et non les esprits qu'il faut redresser; et ce but dépasse la limite des attributions de la Société de la morale chrétienne.

Cette Société doit aussi, avons-nous dit, diriger tous ses efforts vers l'amélioration du régime des prisons. Oui, sans doute, il est bien pénible de songer à l'état moral de tant de détenus, qui souvent sortent des prisons plus criminels qu'ils n'y étoient entrés. Mais d'où vient que les prisons ne sont pour ceux qu'elles renferment que l'école même du crime? C'est qu'il n'y entre que des hommes qui, plus ou moins criminels aux yeux de la justice humaine, sont tous également démoralisés par l'irréligion la plus profonde; et dont le cœur, au lieu d'être disposé à s'ouvrir au repentir, à la vue de toute la laideur du vice, est au contraire disposé à en contracter toutes les souillures. Ce n'est donc point se placer à la source de la démoralisation, que de vouloir y remédier dans les prisons; et s'il est encore temps de prévenir le mal, lorsqu'il a déjà fait de si effroyables progrès, est-ce par l'amélioration du régime des prisons qu'il faut espérer d'y réussir, ou par les moyens qu'emploie la religion, lorsque chaque jour elle descend au fond des cachots, pour y porter le repentir dans les cœurs des coupables? La Société de la morale chrétienne est donc frappée d'impuissance, en ce qu'elle ne sauroit guérir le mal là où elle

l'attaque; elle est convaincue d'imprévoyance en ce qu'elle ne l'attaque point dans son principe. Et en effet lorsque les récits des plus horribles forfaits viennent effrayer chaque jour la société; lorsque les tribunaux retentissent d'accusations inouïes jusqu'alors; lorsque la dissolution de la famille menace d'amener la dissolution de l'état, est-ce à l'amélioration matérielle des prisons qu'il importe le plus de remédier, ou bien à cette corruption effroyable, à cet athéisme pratique qui mine la base de la société dans ses dernières profondeurs? Maintenant donc que le crime ne redoute plus que les lois humaines, que la justice éternelle n'a plus d'autre ministre que le bourreau, il ne manque plus à la société, pour disparoître dans l'abîme, que de laisser prévaloir au milieu d'elle les sóphismes insensés de ces philosophes qui lui contestent le droit de vie et de mort sur un de ses membres.

Je m'arrête, et, sans entrer dans de plus longs développements, il est déjà facile d'apercevoir les caractères distinctifs de la philanthropie et de la charité. L'une est d'abord tout orgueil, et l'autre tout humilité. Le philanthrope embrasse tous les hommes dans sa bienfaisance cosmopolite; il entretient tout l'univers de son humanité : la charité ressemble à ce fleuve dont les eaux fécondent chaque année l'heureux pays qui en ignore la source. Tandis que le philanthrope, du fond de son cabinet, s'emporte en déclamations stériles contre la violation des préceptes de la morale chrétienne, au même moment peutêtre des missionnaires de la religion expirent aux extrémités de l'univers, au milieu des supplices affreux que leur charité a bravés pour la propagation de la foi.

En second lieu, s'agit-il de réformer les maux qui affligent la société ; la philanthropie voudra toujours y parvenir par les procédés d'une administration toute matérielle, la charité saura toujours en tarir la source en guérissant les cœurs. Veut-on s'occuper de l'instruction de la classe in

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digente; la philanthropie mettra dans les mains de l'enfance une pierre muette, à la place de ce livre si simple et si sublime qui enseigne les grands comme les petits. Faut-il veiller à la subsistance du malheureux; au lieu de lui donner les miettes qui tombent de sa table, la philanthropie appellera » à son aide toutes les sciences physiques, pour arracher à la » nature le secret de quelque aliment, si vil que l'avarice même puisse l'offrir sans regret au nécessiteux; et pour calculer avec » précision la mesure d'angoisse, le degré de besoin au-delà duquel l'homme meurt s'il n'est secouru; tant elle redoute le >> luxe de la commisération (1)!» Voyez enfin cette foule de pauvres et d'affligés qui remplissent nos villes, et qui chaque jour viennent solliciter à nos portes les secours de la pitié : la philanthropie se gardera bien de voir en eux le spectacle le plus utile et le plus touchant pour nos cœurs endurcis, le plus nécessaire à l'exercice de la charité, puisqu'il nous offre JésusChrist lui-même souffrant dans tous ces pauvres et ces affligés; sous prétexte, au contraire, d'assurer leur existence, elle repoussera loin d'elle un spectacle qui l'importune, elle ravira à ces malheureux le dernier bien qui leur restoit, la liberté, l'air pur qu'ils respiroient; elle inventera les dépôts de mendicité.

Je m'arrête, et je m'abstiens de pousser plus loin un parallèle qui pourroit blesser des hommes dont nous ne voulons point noircir les intentions, et dont nous désirons uniquement d'éclairer la conscience. Que la Société de la morale chrétienne nous permette seulement une dernière réflexion. Supposons un instant qu'un chrétien fidèle, un ardent apôtre de la charité, arrivant d'une mission lointaine, et apprenant qu'au sein de la capitale s'est élevée une société rassemblée le par zèle d'une commune bienfaisance, s'empressât aussitôt d'en solliciter l'accès. Il entre: il s'étonne d'abord d'apercevoir

(1) Essai sur l'indifférence en matière de religion, tome I,

parmi ceux qui l'entourent les chefs connus de toutes les húrésies qui ont déchiré le sein de l'Église. Comment en effet appliqueront-ils les mérites du Sauveur, ceux qui, dans la licence de leurs opinions, sont libres de nier jusqu'à sa divinité? Le missionnaire de la charité écoute cependant. Son étonnement redouble, lorsqu'au lieu des noms du Christ, de la foi et de la charité, ceux de morcie, de philanthropie, viennent seuls frapper son oreille. Il entend dérouler les plus vastes projets de bienfaisance, mais se plaindre en même temps de l'extrême modicité des moyens d'exécution d'une Société qui est composée depuis trois ans des personnages les plus influents par leurs noms et leurs richesses: eh, quoi! lui, pauvre missionnaire, a fait plus en quelques années pour l'humanité souffrante, que ne le pourroient tous ces philanthropes réunis ! C'en est assez il reconnoît son erreur, et, douloureusement désabusé, il se retire en disant : La charité n'est point ici! H***

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Jamais il ne fut plus aisé d'apercevoir que de nos jours, et jamais il ne fut plus important de faire remarquer les rapports nécessaires qui existent entre tous les objets sur lesquels s'exercent la pensée et la volonté de l'homme. Le centre auquel viennent aboutir toutes les vérités et la chaîne qui les unit se découvrent; et il n'est plus possible de méconnoître la loi qui lie entre elles toutes les parties de l'ordre moral, aujourd'hui que nous voyons le monde politique et le monde religieux agités par les mêmes combats, dans les lettres comme dans la philosophie, partout deux doctrines, deux peuples, et la cause

qui les divise la même. Étendu à toutes ses conséquences, un seul principe d'erreur ébranle parmi nous toutes les vérités, s'applique à tout, et pervertit sur tous les objets les pensées de l'homme, déprave le goût comme la raison, entraîne dans un même mouvement les institutions et les arts, porte au sein de la littérature les mêmes germes de révolution que dans la réligion et dans la société.

Sous ce point de vue vraiment important, l'état actuel de notre littérature est digne de fixer toute notre attention. Que si l'on nous accusoit de chercher ici des analogies imaginaires, notre réponse seroit aisée. La révolution, n'ayant pas dans le monde littéraire les mêmes raisons de conspirer en secret que dans la société politique, annonce aussi plus hautement ses projets. Voici ce qu'on lisoit il y a peu de jours dans le Mercure, journal littéraire de la gauche, car il y a aussi un côté gauche en littérature : « La littérature, comme la politique, » est aujourd'hui plus que jamais divisée en deux partis: l'un » mécontent du présent, craignant l'avenir et redoublant d'ef» forts pour rétrograder sur le passé ; l'autre qui pense que tout >> est susceptible d'améliorations, que l'esprit humain ne peut » décroître, et que la vérité, compagne inséparable de la raison, >> ne sauroit avoir trop d'interprètes ni trop de défenseurs » pour répandre ses maximes et ses bienfaits. Celui-ci, sans dé>> crier l'époque actuelle, ne considère les temps anciens que >> comme des objets d'étude et de méditation qui doivent servir » à nous diriger vers des temps meilleurs. D'un côté, c'est la » vieillesse chagrine qui veut tout arrêter, la décrépitude im» puissante qui voudroit tout rendre stérile; de l'autre c'est la » jeunesse qui veut tout comprendre, c'est l'âge viril qui veut >> tout féconder. » Si cette déclaration du Mercure, répétée par le Constitutionnel, et que nous avons lue dans ce journal (car qui lit le Mercure ?) vous paroît un peu embrouillée, vous en trouverez une plus claire dans un article curieux, inséré dans les Tablettes universelles, sous le titre de la Nouvelle année

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