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sein de cette église éternellement pleine de vie, qui la ranimeroit en l'embrassant.

Quant à la Russie, sa position est connue; sa religion, protestante dans son principe, puisqu'elle rejette l'autorité catholique, n'avoit point éprouvé de variations sensibles, tant que ce peuple, étranger aux mouvements de l'esprit humain, n'avoit pas subi l'action des discussions européennes. Mais depuis qu'elles y ont pénétré, la religion nationale, entrant en dissolution, se précipite dans le protestantisme (1). Cela arrive, parceque cela étoit nécessaire : l'autorité religieuse, qui s'y réduit de fait à la suprématie civile, étant parfaitement nulle, même dans l'opinion russe, il n'y reste, il n'y peut rester que le jugement particulier, indépendant comme chez les protestants; et comme chez ces derniers, l'anarchie des opinions, après s'être développée dans l'ordre religieux, passera dans l'ordre politique, et y consommera la révolution. Qui sait toutefois si son souverain, qui voit d'assez haut pour découvrir de loin ce qui se prépare, ne cherchera pas à prévenir la chute, en s'appuyant, non pas sur un vague christianisme, qui n'est qu'un mot, mais sur le christianisme réel, qu'il chercheroit en vain hors de l'église catholique. Déjà plus d'un de ses augustes prédécesseurs avoient formé des vœux, favorisé des projets de retour à l'unité religieuse, rompue, au huitième siècle, par l'orgueil d'un misérable; et cependant ils n'avoient pas vu ce que nous voyons, pour apprendre que l'autorité catholique est la base même du christianisme. Plus heureux que ses ancêtres, il étoit réservé à cette grande leçon : les préjugés, qui leur cachoient cette vérité, ont dû bien s'éclaircir aujourd'hui; c'est la révolution même qui a déchiré le voile, et s'il n'est peut-être qu'entr'ouvert à ses yeux, du moins des intentions droites, dignes de la vérité tout entière, permettent déjà l'espérance."

(1) Voyez le second volume de l'ouvrage intitulé Du pape, par M. de Maistre.

Toutefois, il faut l'avouer, les gouvernements séparés de l'unité se tranquillisent peut-être, en songeant que la révolution, qui a éclaté dans la plupart des états catholiques, a cependant respecté jusqu'ici la plupart des états protestants; mais cette espèce de phénomène, lorsqu'on en approfondit la principale cause, ést au contraire ce qui doit les effrayer davantage. Dans les états catholiques, les doctrines anti-sociales se trouvant en présencé de l'autorité spirituelle, qui les repoussoit inexorablement dans tous leurs principes et toutes leurs conséquences, sans exception, la lutte s'est engagée, pour ainsi parler, corps à corps, et l'ébranlement a dû suivre. Au contraire, dans les états soustraits à l'autorité spirituelle, les doctrines anarchiques, qui reposent sur le même principe que le protestantisme, se développent sans résistance dans les esprits; elles tolèrent des institutions qui protégent leur base. Patientes, pour ainsi parler, parcequ'elles s'y sentent immortelles dans leur principe, elles comprennent que rien ne les presse de compromettre, par une révolution trop prématurée, la certitude de leur triomphe; elles affermissent paisiblement leur empire, jusqu'au moment où, toute croyance étant détruite, l'ordre social, miné dans ses fondements, s'écroulera de lui-même. Aussi, après les secousses d'une révolution, les gouvernements catholiques retrouvent, dans la doctrine sur laquelle ils reposent, une base pour se relever; tandis que les gouvernements protestants, une fois soumis à l'épreuve d'une révolution, ne retrouveront plus aucun principe de restauration, parceque la révolution ne s'y sera opérée que par la destruction complète du christianisme (1). Sous ce rapport, les peuples catholiques actuels

'(1) L'Angleterre, qui a survécu à sa révolution, ne peut fournir une objection à cet égard. De quoi s'agit-il? De savoir si la société, dans les états protestants, ne tombera pas dans une dissolution complète, lorsque le protestantisme, pleinement développé, y aura aboli le christianisme. Or, la révolution de l'Angleterre n'a pas été produite par le protestantisme pleinement développé, mais par le protestantisme naissant, et encore plein de croyances,

peuvent être comparés à un malade vigoureux qui ressent des crises violentes, parceque le principe vital lutte avec force contre le mal qu'il peut vaincre; et les peuples protestants ressemblent à un infortuné, dont une maladie de consomption épuise doucement la vie, et qui, tranquille sur son état, la veille même de sa mort, ne sera détrompé que dans les convulsions de l'agonie.

Ainsi, en considérant l'état de la société, il est manifeste que les gouvernements de l'Europe, qui veulent sauver l'ordre social par le christianisme, ont à opter entre un christianisme individuel tel que le protestantisme l'a fait, essentiellement indépendant, et par conséquent nécessairement anarchique; et qui après s'être transformé, suivant la disposition des esprits, en un mysticisme turbulent ou une mortelle indifférence, finit par se perdre dans l'athéisme; et un christianisme général, tel que l'église catholique le conserve, éminemment social, parcequ'il soumet les esprits à des croyances et à des devoirs communs, et assure ainsi, par l'obéissance à l'autorité spirituelle, la base de l'ordre politique. Il n'y a point de milieu; il faut de toute nécessité choisir l'un ou l'autre; leur séparation est plus clairement déterminée que jamais; toutes les nuances, qui pouvoient les confondre à certains égards aux yeux des esprits peu clairvoyants, ont disparu; l'un et l'autre se montre tel qu'il est, avec les éléments qui lui sont propres ; la question est réduite à son expression la plus simple, et l'ordre social, devenu aujourd'hui un problème, attend enfin une dernière solution.

X.

qui renversa l'ordre établi pour s'assurer le pouvoir. Depuis cette époque, l'Angleterre, dans le sein de laquelle il marche rapidement à son terme, rentre dans la question générale, commune à tous les gouvernements protestants, et subira la même destinée.

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A mesure que nous nous éloignons des temps funestes où la puissance publique, d'accord avec la corruption du siècle, hâtoit la décadence des mœurs par la législation même, et sapoit la société par ce qui auroit dû être son appui, il semble que le premier soin des hommes attachés au bien de l'état et amis de l'ordre doit être de reporter leurs pensées et leurs méditations sur les vices dont fut flétrie la nouvelle loi française, au moment où elle s'éleva sur les ruines des anciennes institutions.

Dans ces derniers temps, on a dit qu'en France la loi étoit athée, et ce mot effrayant exprime malheureusement une vérité de fait, qu'il eût été inutile de contester. Elle est athée en effet la loi', qui n'a d'autre sanction que celle du bourreau, et qui, négligeant de se mettre elle-même sous la haute protection de la loi divine, abandonne à son tour la loi divine à l'indifférence capricieuse de l'athéisme et au mépris insultant de l'impiété. Tel a été, dès le commencement, le caractère de la loi française. Née au milieu du chaos, dans un moment où la société détruite sembloit n'avoir pas de besoin plus pressant que celui de rassembler ses débris, la législation nouvelle reçut, de l'état violent de souffrance où se trouvoit le corps politique, un caractère particulier, et comme une empreinte de matérialisme, qui alors frappa peu les esprits, tout préoccupés du désir de remettre dans un ordre au moins apparent les diverses parties de la société. Indépendamment de l'indifférence profonde qui avoit dû pénétrer au fond des âmes pour les doctrines religieuses, indifférence qui eût fait repousser la pensée de placer la loi sous l'autorité de Dieu, il dut y avoir alors,

même dans les esprits moins dépravés, un certain mouvement d'admiration pour le pouvoir qui leur paroissoit recueillir les ruines de la législation, leur redonner de l'ensemble et de la vie, et replacer ainsi la société sous les auspices de la loi. On n'avoit pas eu le temps d'examiner si cette œuvre renfermoit en elle-même des conditions de durée; si la loi nouvelle portoit sur son frontispice le nom de Dieu; si elle reposoit sur des doctrines sociales et conservatrices; si la conscience humaine lui servoit de fondement; si, à son tour, elle étoit un appui pour la conscience humaine. Les hommes, devenus grossiers par l'habitude de voir les désordres matériels de la société, s'arrêtèrent aux apparences; l'ordre moral, le seul qui soit en effet de l'ordre, touchoit peu des esprits pressés surtout de mettre fin aux déchirements et aux violences de l'anarchie, et de soumettre la société à l'empire d'une loi quelconque. Par ces causes diverses, la loi qui naquit à cette époque n'eut rien de ce qui distingue d'ordinaire les législations développées dans des temps calmes et véritablement éclairés. Elle régla le désordre; elle fut comme un frein imposé au chaos; et son autorité, née d'un pouvoir qui lui-même n'avoit point de racines dans la société, dut être, comme ce pouvoir, seulement appuyée sur la force; elle fut moins l'expression d'un droit éternel et incontestable, que le produit d'une nécessité dominatrice des choses humaines. Elle n'invoqua donc pas Dieu, parcequ'elle se seroit elle-même condamnée, parceque d'ailleurs Dieu étoit banni de la terre, et aussi parcequ'il n'appartenoit pas à des pouvoirs, utiles peut-être dans l'ordre mystérieux de la Providence, mais toutefois nés de l'usurpation et du crime, de donner au monde l'exemple de cette soumission aux lois éternelles, qui fait la force des puissances de la terre, en donnant aux sujets la raison de leur obéissance. Enfin la loi fut athée, précisément parcequ'elle fut toute matérielle; le pouvoir qui la créa, destiné par Dieu à préparer la résurrection

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