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aux inconvéniens qu'elle produit en faisant languir le commandement des places entre des mains auxquelles il est toujours prêt d'échapper, ne serait-il pas à désirer, et seulement dans ce temps de crise, que ce commandement fût confié à des hommes choisis dans la partie active de l'armée, en leur donnant des lettres de commandement à temps, avec des traitemens qui seraient nécessairement modiques, puisqu'ils n'existeraient que pour le moment du besoin?

» Je prépare les élémens nécessaires au remplacement des officiers, afin de le terminer aussitôt que le travail des revues municipales, ordonné par votre décret du 11 décembre, aura fourni l'état positif des places vacantes au 10 janvier, délai fixé par ce même décret.

» Mais ce décret, en traitant du mode de ce remplacement, qui exige un service dans la garde nationale, n'explique point assez clairement si les citoyens que leur zèle a placés comme volontaires dans la troupe de ligne sont compris dans cette disposition, de même que les frères et parens des officiers patriotes demeurés à leur poste, lesquels sont encore dans les diverses écoles, où les derniers instans de leur éducation militaire étaient autrefois considérés comme un véritable service.

» Il devient indispensable, messieurs, que vous vouliez bien par une décision prompte éclairer mon travail, afin que je puisse me conformer à ce que vous aurez regardé comme le plus utile à son succès, et ne pas perdre un seul instant pour consommer une opération dont dépend la force de l'armée.

» J'ai déjà demandé dans mes différens mémoires à l'Assemblée nationale une augmentation de huit lieutenans généraux, douze maréchaux de camp, quatre adjudans généraux, deux aides de camp généraux attachés au ministre, et huit commissaires des guerres : je renouvelle aujourd'hui la même demande, qui devient plus instante encore; je n'en répéterai pas les motifs, qui sont développés dans mon dernier mémoire.

» La difficulté que le soldat éprouve, surtout dans les garnisons frontières, à échanger les assignats de cinq livres qu'on lui donne sur son prêt, et la perte qui en résulte pour lui, me font un devoir de vous représenter combien il est instant que l'Assemblée nationale vienne à son secours : ja

crois que le seul parti à prendre serait de lui procurer des moyens d'échange soit par de la monnaie de cuivre, soit par des assignats au-dessous de cinq livres : l'Assemblée sentira sûrement que rien n'est plus pressant que cette mesure.

» Si l'Assemblée nationale daigne avoir égard à ces considérations j'ose lui répondre d'une armée redoutable, qui, si elle éprouvait des revers, saurait toujours s'en relever, et ne se croira jamais vaincue, parce que sa cause ne peut pas se perdre! Cette armée n'est pas cependant le seul élément de force sur lequel reposent nos espérances; c'est au sein de cette Assemblée que sont les plus grandes ressources de la France : le décret sur les Brabançons, grand exemple de la justice que la France réclame pour elle, le manifeste que vous avez adopté à l'unanimité, voilà aussi de véritables armes, et si vous étiez condamnés à la guerre c'est par des préjugés détruits que vous marqueriez votre passage!

» Si la paix de l'Europe est troublée il est fortement à désirer que nous formions des alliances: en rétablissant l'ordre vous deviendrez une puissance que toutes les autres rechercheront: quoi qu'on en puisse dire, ce qui leur importe uniquement pour s'unir à yous c'est de compter sur la force et la stabilité de notre gouvernement; la cause de la noblesse est étrangère aux rois comme aux peuples. L'Assemblée constituante a renversé toutes les erreurs; la gloire qui vous reste doit se composer de bienfaits réels : c'est vous qui pouvez par la sagesse de vos délibérations assurer d'avance tous les succès auxquels nous aspirons. Les soldats, les gardes nationales, les départemens que j'ai vus, tous m'ont paru animés du même esprit, tous sont attachés à la Constitution, tous deviendraient ennemis du pouvoir qui voudrait empiéter sur l'autre; et si des esprits exagérés croyaient voir par-delà la Constitution des idées de liberté plus étendues, il importe qu'ils sachent que la Constitution seule peut rallier la France!

» Ceux qui ont eu le bonheur de contribuer à la révolution, ceux dont les noms ont mérité depuis la proscription de vos ennemis, cette armée enfin qui va combattre pour l'inébranlable établissement de la Constitution tout entière, ont le droit de vous demander de consacrer tous vos momens et toutes vos

lumières aux grandes mesures qu'exige le succès de notre

cause.

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Rejetons tous les moyens qui n'ont ni utilité ni grandeur, et faisons perdre deux fois à la noblesse sa cause en nous emparant des vertus généreuses dont elle osait se croire la possession exclusive! Toutefois ne pensez pas, messieurs, qu'en me livrant ainsi à vous exprimer ce que je crois nécessaire à notre triomphe je puisse en douter un instant; tous les efforts réunis l'assureront, et le plus insensé comme le plus coupable des ministres serait celui qui croirait à la possibilité d'une gloire indépendante de la vôtre. Ne soyons donc point effrayés de la grandeur de la circonstance! L'Assemblée nationale et le roi veulent marcher à l'affermissement de la Constitution : la paix ou la guerre se trouveront sur cette route: n'importe; le but est marqué; nous l'atteindrons! Il n'est aucun moment depuis la révolution dans lequel on ait dû trouver autant de bonheur à la défendre : il a pu en coûter peut-être d'être d'un parti tout puissant alors qu'il pouvait abuser de sa force; mais on nous menace d'un assez grand nombre d'ennemis pour faire cesser ce scrupule de la fierté, et quand le danger ennoblit encore une cause elle n'a plus que des soutiens dignes d'elle! »

Des applaudissemens, souvent réitérés et toujours unɛnimes, ne furent pas le seul prix des travaux du ministre de la guerre; l'Assemblée offrit son rapport à la reconnaissance pɩblique en en décrétant l'envoi aux départemens, aux gardes nationales et aux troupes de ligne.

SITUATION DE LA FRANCE AU COMMENCEMENT DE

L'ANNÉE 1792.

On a vu que la note du cabinet autrichien communiquée à l'Assemblée le 31 décembre (voyez plus haut, page 289) troubla la sécurité qu'on avait pu concevoir de la situation de la France à la fin de l'année 1791; cette circonstance provoqua d'abord de la part du roi la proclamation qui suit, et bientôt après un rapport du comité diplomatique.

PROCLAMATION DU ROI concernant le maintien du bon ordre sur les frontières. - Du 4 janvier 1792.

« Le roi a donné connaissance à l'Assemblée nationale de l'office remis le 21 décembre dernier à l'ambassadeur de France près de sa majesté impériale. Cet office exprime la crainte qu'avant la manifestation de la volonté nationale, et même contre le vœu de la nation, le territoire de l'empire germanique ne soit insulté par des Français.

» C'est par ce motif que l'empereur a ordonné à ses généraux dans les Pays-Bas de marcher au secours de l'électeur de Trèves.

» Le roi a senti ce qu'une telle inquiétude pouvait avoir d'offensant pour le peuple français..

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L'Europe est en paix, et certes ce ne sera point aux Français restés fidèles à leur patrie et à leur roi qu'on pourra reprocher d'avoir troublé son repos.

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Qui pourrait croire d'ailleurs que des Français voulussent violer le droit des gens et la foi des traités en considérant comme ennemis des hommes auxquels la guerre n'aurait pas été solennellement déclarée? La loyauté française repousse avec indignation un soupçon si outrageant.

» Il se pourrait néanmoins que des suggestions perfides, que des manœuvres adroitement concertées fissent naître quelques différens entre les habitans et les troupes des frontières respectives, et que des provocations inconsidérées produisissent des actes véritablement hostiles; mais pour déjouer ces manœuvres il suffit de les faire connaître. Le roi recommande donc aux corps administratifs et aux généraux d'employer tous leurs efforts pour prévenir les effets des moyens qui pourraient être employés pour irriter l'impatience du peuple et l'ardeur de

l'armée.

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Français, dans la grande circonstance où nous nous trouvons il dépend de vous de donner un exemple mémorable à l'Europe : forts de la bonté de votre cause, fiers de votre liberté, que votre modération et votre soumission à la loi vous fasse respecter par vos ennemis! Sachez qu'attendre le signal de la loi est pour vous un devoir, que le prévenir serait un crime.

» Le roi poursuit au nom de la nation française une satisfaction que réclament également la justice, le droit des gens et l'intérêt de l'Europe entière. Si le roi a fait des préparatifs militaires c'est parce qu'il a prévu la possibilité d'un refus, et il a dû se mettre en état de vaincre une injuste résistance; mais Sa Majesté ne désespère point encore du succès de ses instances: elle les a renouvelées, elle les suit avec activité, et elle a lieu de croire que des explications plus précises feront naitre des dispositions plus justes. Ceux donc qui oseraient troubler le cours des négociations par des démarches précipitées, par des attaques particulières, seraient des ennemis publics, odieux à tous les peuples, et condamnables par toutes les lois.

» En conséquence le roi mande et ordonne aux corps administratifs, aux officiers généraux et commandans des troupes nationales et de ligne, de veiller avec la plus grande attention à ce que tout le territoire étranger soit inviolablement respecté ; de veiller également à ce que tous les étrangers qui peuvent se trouver en France, de quelque nation qu'ils soient, y jouissent de tous les égards de l'hospitalité et de la protection des lois, en s'y conformant; enfin de prendre les mesures les plus efficaces pour que nulle altercation ne puisse s'élever entre les habitans et les troupes des frontières respectives, et pour qu'elle soit promptement appaisée.

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Enjoint Sa Majesté à tous les corps administratifs de réprimer de tout leur pouvoir et de faire poursuivre tous ceux qui pourraient contrevenir aux dispositions des lois et troubler l'ordre public; ordonne en outre Sa Majesté que la présente proclamation sera imprimée, publiée et affichée dans tout le

royaume.

Fait au conseil d'état tenu à Paris le 4 janvier 1792.

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Signé Louis. Et plus bas B. C. Cahier. » RAPPORT sur l'office de l'empereur, fait au nom du comité diplomatique par M. Gensonné. (Séance du 14 janvier 1792.)

« Messieurs, vous avez renvoyé à l'examen de votre comité diplomatique la note officielle que le prince de Kaunitz a communiquée à l'ambassadeur français à Vienne, et dont la noti

VIII,

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