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honneurs rendus à ses chefs; Robespierre venait d'être porté en triomphe, et l'on désignait Pétion pour la première magistrature de la capitale (1), tandis que les clubs applaudissaient au vœu (2) d'enlever de la grande salle de l'Hôtel de Ville les bustes de Bailly et de Lafayette, que la reconnaissance publique y avait placés aux premiers jours de la liberté,

C'est sous ces auspices que la France vit se réunir ses députés à l'Assemblée législative; et voici sous quel aspect se présentent les membres composant la majorité de cette Assemblée.

Ils paraissent; déjà on les a devinés; leur seul maintien semble dire ce qui est ne peut rester; nous ferons mieux ! On applaudit leurs aînés, présens à la séance d'ouverture : ils se croient insultés. Un hommage solennel est offert aux auteurs de la Constitution : ils le contestent. Le roi va paraître au milieu d'eux : ils ne peuvent sans effroi mesurer le reste de grandeur que la Constitution lui laisse. Les représentans du peuple, les délégués du souverain doivent-ils reconnaître une autre majesté que celle de la nation? Quand des législateurs s'honorent du titre de citoyen doivent-ils apeler sire le mandataire chargé de l'exécution des lois ?... (Voyez plus loin, page 24.) Cependant c'est par la Constitution qu'ils existent : elle reçoit leur serment, et, comme s'il était dans la marche de l'esprit humain d'offrir des contradictions, ce serment est prêté avec franchise, réitéré avec enthousiasme : les esprits cédaient alors à tant d'impulsions diverses, tant de mouvemens étaient reçus, augmentés, diminués ou perdus ! C'est ici que l'on peut dire que chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance,

\ (1) Pétion fut nommé maire de Paris le 16 novembre 1791; sur dix mille six cent trente-deux votans, six mille sept cent huit se prononçèrent en sa faveur : Lafayette eut trois mille cent vingt-six voix. Bailly avait fait accepter sa démission depuis trois mois environ, sous le prétexte « d'une santé délicate, encore affaiblie par de grands travaux littéraires et par l'agitation des affaires publiques.

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(2) Ce vou, longtemps nourri, fut enfin converti en une proposition directe, faite au conseil général de la commune dans sa séance du 24 mars 1792; le conseil la rejeta, mais à une faible majorité.

En effet, l'Assemblée législative, souvent jugée avec sévérité, avec passion même, est justifiée par la force des choses. Dans l'Assemblée constituante on admire, on doit admirer le génie, la grandeur, la force dans les volontés, la persistance dans les intentions : mais ne légua-t-elle pas à la législature l'invincible désavantage de la position, obstacle insurmontable qui naissait de la qualité de pouvoir constitué? L'une était libre dans ses conceptions; l'autre est bornée dans ses travaux : l'une frappe ou absout selon qu'elle le juge utile, et sans crainte de censure; l'autre atteint les rebelles, et le veto les sauve : le pouvoir constituant avait fait trembler la cour, que d'un mot il pouvait dissoudre; ses membres y étaient accueillis avec respect : au contraire, les députés à la législature chargés de présenter les décrets à la sanction ne reçoivent aux Tuileries que le mépris et l'insulte : sous la première Assemblée l'espoir de posséder une Constitution était plus que la Constitution même; sous la seconde cette Constitution ressemble à un édifice que chacun admirerait, mais dans lequel personne ne voudrait entrer : l'une, soutenue d'abord par l'opinion, ensuite par la force, avait pu commander aux événemens; privée des moyens de les maîtriser, l'autre est contrainte de se laisser entraîner par eux : l'une enfin avait fait d'un trône despotique un trône constitutionnel; chargée de maintenir la métamorphose, l'autre l'essaya vainement ; un trône ébranlé peut-il jamais se raffermir? Le nouvel ordre de choses réclamait des hommes nouveaux. S'il eût été possible à l'Assemblée constituante de donner à la France, avec sa belle Constitution, une nouvelle dynastie, là peut-être se serait terminé la révolution.

Disons pour terminer que la seconde Assemblée eût compté autant que l'autre des hommes d'état et de grands législateurs si elle eût pu prétendre aux mêmes titres de gloire, si elle eût pu comme elle déployer le génie de la création : mais quand les partis l'agitent; quand la foule des hommes nuls ou hypocrites sème la défaveur sur ses pas; quand la cour s'arme contre elle des mépris, du mensonge et de l'intrigue, de sa liste civile et de la corruption; quand des prêtres factieux

portent dans les départemens les torches du fanatisme; quand des rebelles émigrés tarissent dans l'intérieur les sources de confiance et de richesses, et appellent du dehors tous les fléaux sur leur patrie; quand les puissances, conjurées à leurs prières, menacent la France d'un envahissement; quand toutannonce la ruine, l'Assemblée législative ne désespère pas du courage national; elle se refuse à toute transaction honteuse; elle décrète la guerre! Et si quelques revers inévitables suivent cette grande décision, l'injustice seule peut l'en rendre responsable; reconnaissons plutôt qu'elle a sauvé la France du réasservissement, et donné le signal de triomphes immortels!

On citera les orateurs de l'Assemblée constituante; on nommera l'immense Mirabeau; mais Mirabeau fut l'homme unique : les Thouret, les Barnave et les Duport, les Lameth, les Beaumetz et les Chapelier, les Cazalès et les Maury ont-ils donc laissé veuve la tribune nationale en la cédantà Vergniaud, Guadet et Gensonné, à Brissot et à Isnard, aux Pastoret, aux Vaublanc, à Condorcet enfin ? Eux aussi ils vont lancer les foudres de l'éloquence!

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1er. Octobre 1791. Il est dix heures; le peuple remplit les tribunes, impatient d'accueillir et d'encourager les nou

(1) L'ère de la liberté prit naissance sur les ruines de la Bastille; le patriotisme l'adopta. Cependant l'ère vulgaire continuait d'être seule

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Octobre 1791. — Troisième année de la liberté. (1)

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1er. Octobre 1791.-Il est dix heures; le peuple remplit les tribunes, impatient d'accueillir et d'encourager les nouveaux dépositaires de ses droits. D'honorables citoyens, qui la veille encore étaient membres de l'Assemblée constituante, viennent se perdre dans la foule; mais le peuple les a vus; ils ne peuvent se dérober à sa juste reconnaissance. A ces applaudissemens succèdent ceux que provoquent la confiance et l'espoir; les citoyens députés à l'Assemblée législative ont le sanctuaire des volontés nationales. paru; ils occupent M. Camus, ex-membre de l'Assemblée constituante, avait été nommé par elle archiviste des législatures: en cette qua

(1) L'ère de la liberté commence au 14 juillet 1789; cependant l'ère vulgaire continua d'être seule indiquée sur la plupart des actes et papiers publics jusqu'au jour de la première Fédération; ce n'est qu'à partir du 14 juillet 1790 qu'on imprima en tête du Moniteur: seconde année de la liberté. Dès cette époque la nouvelle ère se trouva souvent unie à l'ancienne; mais l'usage n'en devint général que lorsque enfin l'Assemblée législative le consacra par son premier procès verbal, dont la date joint au vieux style l'ère de la liberté.

Le défaut d'uniformité qu'on remarque d'abord dans l'indication de ce grand souvenir provient d'un oubli des premiers législateurs, qui ne la prescrivirent ni par une loi ni par l'exemple; les décrets des 4 et 11 août 1789 (voyez tome I) proclament bien Louis XVI le restaurateur de la liberté, mais rien n'indique de la part de ses véritables fondateurs le moyen de rappeler chaque jour au peuple, de perpétuer à jamais le souvenir de cettc renaissance.

VIII.

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lité il se présente au bureau; il donne lecture du décret de convocation et des dispositions constitutionnelles qui règlent les premières formes à remplir dans la circonstance; il fait les que ensuite un appel nominal, dont le résultat est bres présens sont au nombre de quatre cent trente-six : on applaudit; ce nombre dépassait de soixante-trois celui voulu l'Assemblée se constituât. Aux termes par la loi pour que du même acte les députés se forment en assemblée provisoire sous la présidence du doyen d'âge, afin de procéder à la vérification des pouvoirs. M. Batault, de la Côte-d'Or, est le membre qui compte le plus d'années; il a soixanteneuf ans; M. Batault est proclamé président. MM. Dumolard, de l'Isère, et Voisard, du Doubs, n'ont que vingt-cinq ans; ils sont nommés secrétaires. L'Assemblée se partage en bureaux pour la vérification des pouvoirs.

Du 2.-Les bureaux font leur rapport. D'après des difficultés élevées sur quelques nominations le nombre des députés présens est réduit à trois cent quatre-vingt-quatorze ; mais il n'en faut que trois cent soixante-treize pour que la Législature se constitue l'Assemblée se déclare Assemblée nationale législative. Par un mouvement spontané tous les membres se lèvent, et prononcent d'une voix le serment de vivre libre ou mourir; il est répété par les tribunes au bruit de vifs applaudissemens; on entend quelques cris de vive le roi; ceux de vive la nation sont nombreux.

Cependant la prestation du serment, soit en masse, soit individuellement, ne devait avoir lieu qu'après l'entière formation de l'Assemblée : les représentans se retirent dans les bureaux pour nommer au scrutin les président, viceprésident et secrétaires.

Du 3.—Sont élus au scrutin et proclamés : président, M. Pastoret, député de Paris; vice-président, M. Ducastel, député de la Seine-Inférieure; secrétaires, MM. François de Neufchâteau, député des Vosges; Garan-Coulon, Cérutti, Lacépède, Condorcet, députés de Paris; Guyton-Morveau, député de la Côte-d'Or.

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