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» compositions de la loi, et celui d'exiger les amendes de » la loi (1). »

Il est bon d'observer toutefois que, si la couronne perdit sa plus belle prérogative, elle en conserva du moins le titre originaire: elle ne rendit plus la justice; mais elle dut veiller à ce qu'elle fût rendue : elle put obliger les seigneurs à remplir cette espèce de servitude de leur fief.

Ainsi fut fondé un ordre qui, après avoir été pendant plusieurs siècles un fléau pour les peuples, laissa informe et confus tout notre système judiciaire, jusqu'au temps où il fut frappé dans ses racines.

S X.

Du Clergé.

Le clergé catholique avait admis les Francs; et plusieurs de ses membres avaient favorisé leur conquête, parce que, abandonnés des empereurs, ils redoutaient beaucoup moins la domination de ces païens que celle des Ariens du midi. La raison en est toute simple; les premiers n'étaient point persécuteurs, et on pouvait avoir l'espoir fondé de les convertir au Catholicisme. Il y a même des raisons de penser que les lumières de la foi avaient déjà éclairé plusieurs des Barbares, avant la conquête.

L'Eglise conserva, dans les premiers temps, l'usage des lois romaines. Les évêques, saints vieillards qui offraient d'éclatans exemples de charité chrétienne, en imposaient aux rois barbares. Ils respectaient, avant leur conversion, ces dignes prélats. Devenus chrétiens, ils en firent des conseillers; ceux-ci s'étaient servi de leur influence auprès des rois pour protéger les malheureux vaincus, et exercer une espèce de patronage utile. Quelques-uns, abusant de leur crédit, le changèrent, dans la suite, en une tyrannie odieuse. Grégoire de Tours parle d'un évêque d'Auvergne, qui, dès le premier siècle de la monarchie, liv. xxx, chap. 20.

(1) Montesquieu,

enlevait avec violence des terres qui confinaient son domaine, et faisait mettre en prison un prêtre qui refusait de lui donner son bien.

Mais ce serait tomber dans une grande erreur que de voir dans la violence la principale cause de l'accroissement rapide des richesses du clergé. Il eut une origine plus pure, les donations ne furent pas toujours extorquées, l'ignorance de ces temps les fit regarder comme des expiations par ceux qui les acceptaient, comme par ceux qui les faisaient : c'était le prix des péchés, est-il dit dans une loi de Carloman. Divers monumens attestent aussi que les vertus des ecclésiastiques furent souvent une heureuse compensation des maux de ces temps désastreux. L'humanité trouva plus d'une fois des pasteurs dans les rangs de l'Église. Peut-on être surpris que les peuples les aient comblés de bienfaits dont ils faisaient un si louable usage!

Les ecclésiastiques reçurent de la munificence royale des fiscs ou des bénéfices. Ils eurent donc aussi des vassaux, comme les laïcs. Ils les menaient pareillement à la guerre ; mais ce soin était quelquefois confié à leurs advocati (avoués). Ce ne fut que vers le commencement de la deuxième race qu'ils purent se dispenser du service militaire qu'ils devaient comme

vassaux du roi.

A mesure que tout décrut, et que la barbarie s'étendit, les membres du haut clergé, seuls hommes à peu près qui conservassent quelques vestiges de l'ancienne civilisation, acquirent un nouveau degré d'influence. Nous indiquerons plus tard d'autres causes et d'autres circonstances qui amenèrent une révolution totale dans l'état du clergé, qui en firent ce qu'il n'avait jamais été sous les Romains, un corps politique.

TOME I.

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S XI.

Des Assemblées nationales.

Il est remarquable qu'on trouve également chez les Gaulois et chez les Francs, l'antique usage de ces grandes assemblées où la nation était appelée à délibérer de ses plus importantes affaires, et exerçait une haute souveraineté. Mais on le comprend facilement quand on se rappelle que ces deux nations n'avaient été probablement dans leur état primitif que deux branches de la grande tige celtique.

Les assemblées des Francs, dont nous devons surtout nous occuper, se tenaient, chaque année, dans les mois de mars ou de mai; ce qui leur a laissé le nom fameux de Champ-deMars. Tous les hommes libres y venaient avec leurs armes; le roi y était entouré de ses leudes : c'était à la fois une revue et une diète (1).

Les Francs s'étant dispersés, après la conquête, dans toute l'étendue du sol, soit comme dépositaires du pouvoir, soit comme possesseurs de terres, il devint difficile de les réunir. Les assemblées devinrent dès-lors rares et incomplètes; elles furent même bientôt à peu près remplacées par des conseils composés de leudes et de prélats. On y appellait bien, à la vérité, quelques autres personnages qui n'appartenaient à aucune de ces deux classes; mais comprenons bien que, quand même tous les Francs disséminés sur le sol eussent été convoqués, il n'en est pas moins évident que l'assemblée avait changé de nature. Tous les hommes libres en faisaient partie ancien nement; alors il s'était formé une distinction entre ceux-ci. Les propriétaires d'alleux, qu'ils fussent d'origine romaine ou barbare, formaient une classe nouvelle entre les maîtres et les esclaves: or, cette classe ne fut point appelée dans l'assemblée qui réglait les affaires d'Etat avec le roi.

Le Gouvernement avait donc changé de face: la nation

(1) Legendre, Mours et Coutumes. Règne de Pepin.

assemblée avait précédemment dicté des lois; elle en devait dès-lors recevoir du souverain aidé d'un conseil formé par lui. Le principe démocratique était détruit; il n'y avait plus à redouter qué les excès de l'aristocratie ou du despotisme.

Ces nouveaux conseils sont désignés par les divers auteurs, sous les noms de placita, conventus, parlamenta, etc. Quelquesuns ont voulu rapporter là l'origine du parlement : ce point est difficile à éclaircir; mais ce qui ne l'est pas, c'est que ces assemblées constatent que dan's tous les temps de la monarchie l'autorité des rois reçut quelques limites. Elles décidaient des grandes affaires d'administration, jugeaient les grands, déféraient la régence, etc. Cum fidelium nostrorum consensu atque consilio, lit-on en tête de quelques édits de cette époque. Elles peuvent être considérées comme l'intermé diaire entre le Champ-de-Mars et les états-généraux.

S XII.

Des Maires.

qui

Le maire n'était, dans l'origine, que l'un de ces officiers qui portaient le titre de domestici regis. Il présidait à l'ordre devait régner dans le palais, et son pouvoir n'en dépassait pas le seuil.

Cette charge devint insensiblement la plus importante de la maison royale; puis elle fut concédée pour plusieurs années fixes, puis pour la vie du possesseur; puis elle devint héréditaire comme la couronne.

Tant que le maire n'avait été qu'un oficier du palais, c'était le roi qui l'avait nommé; devenu le second personnage du royaume, il fut élu par la nation', c'est-à-dire par l'assemblée des principaux seigneurs et ecclésiastiques qui la repré

sentaient.

Alors fut offert un spectacle fort extraordinaire: on vit à la fois deux dynasties également respectées, l'utie pour porter le diadême de la royauté, l'autre pour tenir le sceptre du pouvoir. La postérité du maire fut sacrée comme le sang des

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rois. « Le délire de la nation pour la famille de Pepin, dit Montesquieu (1), alla si loin qu'elle élut pour maire un de » ses petits-fils qui était encore dans l'enfance; elle l'établit » sur un certain Dagobert, et mit un fantôme sur un faņ» tôme. » J'emprunte souvent à l'Esprit des lois, parce qu'il me semble qu'il y a encore quelque mérite à savoir citer Montesquieu.

Les maires, sous les noms de ducs des Francs, furent premiers ministres et premiers généraux. Investis de la toutepuissance, ils étaient rois, au titre près. Pepin d'Héristal prépara les voies à ses descendans pour acquérir aussi ce titre, pour remplacer ces monarques de palais dont le peuple ne connaissait que le nom, l'avènement et la mort.

Sans doute l'indolence des successeurs de Clovis, et l'habileté de quelques maires concoururent puissamment à établir ce singulier gouvernement; mais il est une autre cause qu'il faut signaler. Les leudes et les prélats durent probablement favoriser l'extension d'une dignité qu'un de leurs pairs exerçait; les uns, parce qu'ils pouvaient également y prétendre ; les autres, parce qu'ils y trouvaient un moyen d'arracher de nouvelles largesses. Enfin il semble qu'on put considérer quelque temps le maire comme une espèce de tuteur placé par le corps national auprès du monarque, pour le suivre jusques dans ses actes les plus secrets, et diriger toutes ses volontés.

S XIII.

Charles-Martel. (8e siècle.)

L'épée victorieuse de Charles-Martel accéléra la révolution que devait nécessairement amener la situation des choses. Il prit une autre marche que ses prédécesseurs. Il ne s'arrêța point à de vains ménagemens à l'égard des grands; il ne songea qu'à s'attacher les compagnons de ses triomphes. Les

(1) Liv. XXXI.

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