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entendu dans le sens que, pour compléter une prescription établie par le Code, on ne peut compter le temps écoulé avant sa promulgation. Ainsi, soit une rente perpétuelle ou viagère, constituée par testament: Il est certain que, dans l'ancien droit, les arrérages de cette rente ne pouvaient être prescrits que par trente ans. Si donc, au moment de la promulgation du Code, il s'était déjà écoulé 24 ans sans demande de la part du créancier, il n'y aura pas lieu à la prescription, quoiqu'aux termes du Code, le délai de cinq ans suffise maintenant pour l'acquérir. Mais si le silence du créancier a duré encore cinq ans depuis le Code, la prescription pourra lui être opposée pour tous les arrérages échus antérieurement aux cinq ans. En deux mots, veut-on profiter du temps écoulé avant le Code? il faut alors, pour acquérir la prescription, tout le temps requis par les anciennes lois. Mais si l'on ne compte le délai que depuis le Code, alors il suffira que le délai requis par le Code soit expiré, pour que la prescription soit acquise. L'ancienne jurisprudence était, au surplus, conforme à cette doctrine. Avant l'ordonnance de 1510, les arrérages de toutes les rentes ne se prescrivaient que par trente ans. Cette ordonnance établit la prescription de cinq ans pour les rentes constituées à prix d'argent; et il fut décidé par des arrêts de règlement, que les arrérages échus avant l'ordonnance, étaient prescrits par cinq ans écoulés depuis l'ordonnance. (THEVENEAU, Comment. sur les Ord., Liv. 2, Tit. 14, art. 3.)

:

De même, l'ordonnance du commerce avait établi la prescription de cinq ans pour les lettres-de-change, qui ne se prescrivaient auparavant que par trente ans: et les arrêts du Parlement de Paris, cités par Savary sur cette question, ont constamment décidé que la prescription était acquise par cinq ans écoulés depuis l'ordonnance.

Quant à la Jurisprudence actuelle, elle est assez dívergente sur cette question. Je connais, sur ce point, deux arrêts de la Cour de Cassation qui ont jugé contre les principes que nous venons d'établir. L'un, du 18 décembre 1813, est rapporté dans SIREY, 1814, 1re partie, page 92.

1

L'autre du 12 juin 1822 est rapporté au Bulletin, no 49. Mais la Cour Royale de Paris a jugé dans un sens contraire par son arrêt du 2 mai 1816, rapporté par SIREY, 1817, 2o partie, page 63; et la Cour de Cassation ellemême paraît avoir adopté des motifs différens dans son arrêt du 6 juillet 1812, rapporté dans la Jurisprudence du Code Civil, tome 19, page 233, et dans un arrêt beaucoup plus récent, du 4 avril 1823, rapporté au Bulletin, no 32.]

Cependant les prescriptions qui étaient commencées à l'époque de la promulgation du 24 ventose an 12, et pour lesquelles, suivant lesdites lois, il fallait encore plus de trente ans, seront accomplies par le laps de trente ans, à partir de l'époque de la promulgation de la loi actuelle. 2281. [En vertu de la loi 7, Cod. de Præscript. 30 vel 40 annorum, qui était suivie dans plusieurs provinces de droit écrit, et notamment dans celles du ressort du Parlement de Paris, l'action hypothécaire ne se prescrivait que par quarante ans, quand elle était jointe à l'action personnelle, c'est-à-dire tant que l'immeuble hypothéqué à la dette n'était pas sorti de la main du débiteur. C'est cette espèce de prescription que le législateur a eu principalement en vue dans l'article 2281.]

Il faut observer 2o, que les règles relatives à la fixation du temps nécessaire pour prescrire, s'appliquent également à l'État, aux établissemens publics, et aux communes, qui sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et qui peuvent également les invoquer ou les opposer. Mais ce principe ne s'applique qu'aux choses 2227. qui sont dans le commerce, ou qui sont susceptibles de devenir propriété privée. (Voyez les art. 538, 539, 540 et 541.) Les autres ne pouvant être aliénées ne peuvent davantage se prescrire.

Et sous les conditions déterminées, etc. Comme ces conditions sont différentes, suivant qu'il s'agit de la prescription considérée comme moyen d'acquérir, ou comme moyen de se libérer, nous les exposerons séparément; et nous traiterons, en premier lieu, des règles particulières

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à la prescription comme moyen de se libérer, qui a un rapport plus direct avec le Titre que nous venons de terminer.

CHAPITRE II.

De la Prescription comme moyen de se libérer.

Le laps de temps est la seule condition nécessaire pour cette prescription; et le principe général à cet égard, est que toutes les actions qui ne sont pas déclarées imprescrip2262. tibles par la loi, sont prescrites par trente ans. [ On a jugé, à Metz, le 28 avril 1819 (SIREY, 1820, 2o part., p. 12), que, 'dans une rente viagère, il n'y a de prescriptible que les arrérages; mais que le fonds de la rente n'est pas soumis à la prescription. L'on s'est fondé sur ce que la rente viagère n'a point de fonds ou de capital; mais que les arrérages sont eux-mêmes tout le principal, tout le fonds de la rente qui s'acquitte et s'éteint par partie, à mesure que le créancier l'a servie; que ces arrérages échoient à jour fixe, et que la prescription ne pouvant courir à l'égard d'une créance à terme, que du jour de l'échéance du terme, il en résulte que la prescription ne peut atteindre les arrérages à échoir. Mais il me semble que cette doctrine est contraire aux principes du Code, et notamment à celui qui a dicté l'art. 588. Voir le 2o vol., page 370.]

Cependant, comme il est des actions qui, pour des raisons particulières, se prescrivent par un temps plus court, nous diviserons ce chapitre en deux sections, dont la première traitera de la prescription trentenaire; et la seconde, de celles qui s'accomplissent dans un moindre espace de temps.

SECTION PREMIÈRE.

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De la Prescription Trentenaire.

Après un intervalle de trente ans écoulés sans poursuites, on peut raisonnablement présumer qu'une créance est acquittée ou remise; c'est là un des motifs de la prescription trentenaire. Mais ce n'est pas sur cette seule présomption qu'elle est fondée ; et ce qui le prouve, c'est que le créancier ne peut, quand elle est accomplie, déférer le serment au débiteur sur le fait du paiement ou de la remise. Cette prescription est, en outre, et principalement, regardée comme une peine infligée à la négligence du créancier, qui a laissé passer un temps aussi considérable sans demander son paiement. De là il suit qu'elle est suspendue, toutes les fois que l'exécution de l'obligation n'a pu être poursuivie. On ne peut alors, en effet, reprocher de négligence au créancier.

L'impossibilité d'intenter la demande peut provenir, ou de la qualité du créancier, ou de ce que l'action n'est pas

encore ouverte.

A raison de la qualité du créancier, la prescription est suspendue.

1o. En faveur des mineurs et interdits, même pourvus de tuteurs [ Mais cela ne s'applique qu'à la prescription 2252. trentenaire, et à celle de dix ou vingt ans. Toutes les prescriptions plus courtes courent contre les mineurs et les interdits. ];

2o. Entre époux, à l'égard des actions qu'ils pourraient avoir à exercer l'un contre l'autre ;

2253.

3o. En faveur de la femme, pendant le mariage, à l'égard des actions et créances qu'elle aurait à exercer contre des tiers, dans tous les cas où ces actions réfléchiraient contre le mari; par exemple, si ce dernier avait vendu le bien propre de sa femme, sans son consentement. [On 2256. présume que, dans ce cas, la puissance maritale l'a empêché d'agir. Et, d'ailleurs, on a voulu éviter tout ce qui pourrait troubler la tranquillité du ménage. Quid, dans l'espèce suivante?

Un mari, commun en biens, vend un immeuble appartenant à sa femme. Il meurt le premier. La femme accepte la communauté. Pourra-t-elle revendiquer tout l'immeuble, en tenant compte à l'acquéreur de la moitié du prix et des dommages-intérêts; ou ne pourra-t-elle re

vendiquer que la moitié de l'immeuble? Cette question a été controversée sous l'ancien droit. POTHIER lui-même a varié à ce sujet. On peut dire en faveur de la dernière opinion, que l'obligation de garantie, contractée par le mari vendeur est une dette de communauté, dont la femme qui accepte, est, en conséquence, tenue pour moitié. On peut donc lui opposer, au moins pour moitié, la règle, eum quem de evictione tenet actio, eumdem agentem repellit exceptio.

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Je pense que, si le mari a vendu l'immeuble de sa femme comme appartenant à lui mari, alors, aux termes de l'article 1599, la vente est nulle; et, par conséquent, la femme peut revendiquer le tout. A la vérité, le mari est tenu des dommages-intérêts; mais s'il a vendu de mauvaise foi, c'est-à-dire, s'il. savait que l'immeuble appartenait à sa femme, il a commis un stellionat, qui est un délit. (Art. 2059.) Or, la communauté n'est point tenue des obligations résultant des délits commis par les époux. (Art. 1424.) La femme ne sera donc pas tenue, même pour moitié, de ces dommages-intérêts. Mais si le mari était de bonne foi, alors l'obligation de garantie est purement civile, et, comme telle, à la charge de la communauté. La femme en est donc tenue pour la moitié.

Si le mari a vendu l'immeuble comme appartenant à sa femme, et se portant fort pour elle, je pense qu'alors la femme peut encore revendiquer le tout, en tenant compte de la moitié des dommages-intérêts. Je fonde ces décisions sur ce qu'en général, le Code évite, autant que possible, de faire des propriétés indivises, et sur ce que ce serait donner au mari le droit de disposer réellement d'une partie des immeubles de sa femme, sans le consentement de cette dernière; puisque, si la communauté est avantageuse, elle se trouverait dans l'alternative désagréable, ou de perdre la moitié de son immeuble, ou de renoncer la communauté. Voir un arrêt d'Amiens, du 18 juin 1814. (SIREY, 1815, 2e part., pag. 40.]

à

Nous verrons, au Titre du Contrat de Mariage, si, et dans quels cas, peut se prescrire l'immeuble dotal. Dans

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