TITRE VI. De la Prescription. CHAPITRE PREMIER. Dispositions générales. La sixième et dernière manière d'acquérir, est la prescription; et comme c'est en même temps un moyen d'éteindre les obligations, le Titre qui y est relatif se trouve naturellement placé après le Titre des Obligations. La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer, par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi. Un moyen d'acquérir ou de se libérer : Il existe néanmoins une différence essentielle entre la prescription et la plupart des autres manières d'acquérir ou de se libérer, dont il a été question jusqu'à présent. Cette différence consiste en ce que, par la prescription, la propriété n'est acquise, ni l'obligation éteinte, de plein droit. De là il résulte : 1°. Qu'il faut que la prescription soit opposée ou invoquée par celui qui veut en profiter; et en conséquence, que les juges ne peuvent en suppléer le moyen d'office; [La prescription peut être invoquée par les deux parties; mais elle n'est opposée que par le défendeur. Les juges ne peuvent en suppléer le moyen d'office. DUNOD prétend cependant que, lorsqu'il y a un terme fixé par la loi, pour la durée d'une action, le juge peut et doit suppléer le moyen tiré de l'expiration du délai; putà, s'il s'agit d'une action rescisoire, et que les dix ans soient 2219. 2223. écoulés. On pourrait soutenir cette opinion, d'après la distinction suivante : Dans les prescriptions ordinaires, l'action n'est pas éteinte ipso jure: elle subsiste toujours, quoiqu'elle puisse être rendue inutile par la prescription; mais il faut que la prescription soit opposée; et si elle ne l'est pas, les juges ne peuvent la suppléer, plus que toute autre exception. Mais, dans les actions rescisoires, l'action est éteinte, ipso jure, par l'expiration du délai. L'action dure dix ans, dit l'article 1304. Donc, après les dix ans, il n'y a plus d'action; et par conséquent, il ne peut y avoir de condamnation, par suite d'une action qui n'existe plus. Il en serait de même de l'action en réméré. ( Articles 1660, 1661 et 1662.) Nota. On a jugé en Cassation que la disposition qui défend aux juges de suppléer le moyen tiré de la prescription, ne s'applique pas aux matières criminelles, correctionnelles, et de simple police. Arrêts des 26 février 1807, 28 janvier et 12 août 1808, rapportés dans SIREY, 1813, 1re part., page 464]. 2°. Que l'on peut y renoncer; mais pour que cette renonciation soit valable, il faut qu'elle n'ait lieu qu'après la prescription acquise; car ce moyen étant fondé sur des motifs d'utilité générale, l'intérêt public exige que 2220.l'on ne puisse y renoncer d'avance. Une pareille renonciation deviendrait de style dans tous les contrats, et anéantirait les résultats bienfaisans de la prescription. La renonciation à la prescription peut être tacite, c'està-dire résulter d'un fait qui suppose clairement l'abandon 2221.du droit acquis; comme si, postérieurement à la presSescription acquise, le débiteur a demandé terme et délai pour le paiement, ou si le possesseur de l'héritage prescrit, l'a pris à loyer. Il en est de même, si, depuis la même époque, la dette ou le droit de l'ancien propriétaire, ont été reconnus par le débiteur ou par le possesseur, ou s'il est intervenu contre eux une condamnation passée en force de chose jugée. [Nous avons vu, ci-dessus, ce qu'on doit entendre par ces expressions. Quid, si le débiteur a payé un à-compte? La prescription est couverte pour le tout, si toutefois il a payé comme à-compte : Secùs, s'il a déclaré, en payant, qu'il entendait user de la prescription pour le surplus, ou si la somme payée paraît l'avoir été, comme étant la totalité de la somme due.] Nous disons passée en force de chose jugée: car, jusque là, la prescription peut être opposée; elle peut l'être en tout état de cause, même en appel, à moins, comme nous l'avons dit, que les circonstances ne doivent faire évidemment présumer que la partie y a renoncé. [La chose jugée ne peut être invoquée ni opposée en Cassation, si elle ne l'a pas été auparavant. Et en effet, on ne peut casser un jugement, parce qu'il n'a pas statué sur un moyen qui n'a pas été opposé, et qui ne pouvait être suppléé par le juge. Sic jugé en Cassation, le 9 octobre 1811. (Journal de la Jurisp. du Code Civil, tome XVII, pag. 219.) La défense au fond emporte-t-elle renonciation à la prescription? Je pense qu'il faut distinguer: Si la défense est péremptoire, c'est-à-dire de nature à détruire entièrement l'effet de l'action, on ne peut en faire résulter la renonciation à la prescription; comme si, par exemple, l'on a opposé l'exception du dol, de la violence, etc. En effet, j'ai, ou je crois avoir, plusieurs moyens pour paralyser l'effet de l'action intentée contre moi. Je répugne à employer le moyen de la prescription; et en conséquence je le néglige, dans l'espérance que les autres seront suffisans. Je perds mon procès en 1re instance; et sur l'appel, j'excipe de la prescription. Je ne pense pas que l'on puisse m'opposer de fin de non-recevoir. Secùs si la défense avait été seulement dilatoire; par exemple, si je m'étais borné à demandér un délai, à prétendre que la créance n'est pas exigible. Jugé à peu près dans ce sens, en Cassation, le 19 avril 1815. (Bulletin, no 27.) : S'il n'est écoulé qu'une partie du temps requis pour la prescription, peut-on y renoncer? La raison de douter se tire de ce que la prescription n'est pas acquise. Mais la 2224. raison de décider est que, dans ce cas, c'est moins une renonciation, qu'une interruption résultant de la reconnaissance du débiteur ou du possesseur. (Art. 2248.)] La renonciation à la prescription pouvant être regardée, au moins pour ce qui concerne le renonçant, comme une aliénation gratuite d'un droit acquis, elle ne peut avoir 2222. lieu que de la part de celui qui peut aliéner. [Nous disons le renonçanť, parce que celui en faveur duquel on a renoncé à la prescription, n'est pas censé acquérir à titre gratuit, ni même en vertu d'un nouveau titre; mais il est censé continuer de jouir au même titre que celui en vertu duquel il jouissait, quand la prescription a commencé. Ainsi, une personne se marie pendant qu'on prescrivait son héritage: le contrat de mariage contient la clause que les biens donnés aux époux pendant le mariage, meubles ou immeubles, tomberont dans la communauté. La prescription s'accomplit: néanmoins il revendique; et, la prescription n'étant pas opposée, l'héritage lui est restitué. Tombera-t-il dans la communauté ? Non. Il est censé le reprendre en vertu de son ancien titre, qui, dans l'espèce, est antérieur au mariage. De même la renonciation à la prescription ne serait pas regardée comme un avantage, sujet à la réduction, ou aux règles d'incapacité, etc.] Par la même raison, elle ne préjudicie point aux créanciers du renonçant [ même chirographaires. La loi ne distingue pas: il suffit que leur titre ait une date certaine antérieure à la renonciation.], qui peuvent toujours l'invoquer ou l'opposer, nonobstant la renonciation de leur débiteur. Il 2225.en est de même de toute autre personne ayant intérêt [tel qu'un usufruitier, celui qui a un droit de servitude. Mais toutes ces personnes, et même les créanciers, ne peuvent opposer la prescription que dans leur intérêt. Si donc celui en faveur de qui la renonciation a été faite, consent à payer le créancier, à laisser jouir l'usufruitier, ou celui à qui il est dû une servitude, la renonciation doit avoir son effet.] Par un certain laps de temps: La durée de ce temps varie suivant la nature de l'action et celle de l'objet à prescrire, ainsi que nous le verrons par la suite. Dans tous les cas, il se compte par jours, et non par heures; et la pres-2260. cription n'est acquise, que quand le dernier jour du terme est accompli. [Ainsi, quoique j'aie acquis le 10 mars 1806,2261. avant midi, la prescription de dix ans ne sera accomplie que le 10 mars 1816, à minuit; jusqu'à cette heure, elle pourra être interrompue.] Dans les prescriptions qui s'accomplissent par un certain nombre de jours [elles ont lieu surtout en matière de procédure), le jour intercalaire de février est compté. Dans celles qui s'accomplissent par mois, février est compté pour un mois, soit qu'il ait vingthuit ou vingt-neuf jours. [Le Code ne dit pas cela textuel-Ibid. lement; mais cela doit s'inférer de l'article 2261, tel qu'il se trouvait dans la première édition du Code Civil, et qui en a été retranché, parce qu'il était relatif au calendrier républicain, qui n'existe plus. Jugé, en conséquence, en Cassation, le 27 décembre 1811, que les délais qui se composent de plusieurs mois, doivent se compter par l'échéance des mois, date pour date, et non par jours. (SIREY, 1812, 1re partie, page 199.)] Il faut observer en général : 1o que les prescriptions commencées à l'époque de la promulgation de la présente loi (24 ventose an 12, promulguée le 4 germinal suivant), ont dû et doivent être réglées conformément aux lois anciennes. [Nous avons vu, cependant, une exception à ce principe, au Titre des Servitudes, chap. III, sect. II, où il est décidé que la prescription, seulement commencée au moment de la promulgation du Code, n'a aucun effet pour l'acquisition de certaines servitudes.] [Relativement aux lois anciennes il faut une explication. Ainsi l'on pensait anciennement que les arrérages des rentes n'étaient sujets à la prescription de cinq ans, que lorsqu'elles avaient été constituées à prix d'argent. Aujourd'hui le Code n'admet aucune distinction. Doit-on en conclure que les arrérages d'une rente constituée pour prix d'un immeuble, qui auraient commencé à être dus avant le Code, ne pourraient encore maintenant être prescrits que par trente ans? Je ne le pense pas. L'art. 2281 doit être |