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modernes ; quelle sera la première impression qu'éprouvera notre amateur au milieu de ce dédale immense? La surprise. A la surprise succédera l'embarras du choix, et à cet embarras le dégoût; et ce dégoût sera occasionné autant par cette excessive surabondance que par la crainte, s'il porte la main sur un rayon, d'y rencontrer du poison au lieu de l'aliment sain qu'il désire. Voilà certainement ce qu'éprouveroit tout homme qui, connoissant l'état actuel de la littérature universelle, se trouveroit en présence de tous les livres connus.

Mais si, quittant cette mer sans rivage, nous introduisons la même personne dans un lieu circonscrit, où, par suite d'un triage salutaire, seroient réunis les plus beaux génies du monde, où l'on ne rencontreroit que des ouvrages avoués par la Religion et par la morale, que des livres qui, consacrés par l'assentiment de tous les peuples, par le suffrage des hommes de goût, par l'approbation des gens de bien, fortifient l'ame, ornent l'esprit, et mettent à l'abri des séductions de la licence et des atteintes d'une présomption orgueilleuse; de ces écrits, source des jouissances les plus pures, qui entretiennent la paix du cœur et commandent une bienveillance affectueuse envers ses semblables; enfin, de ces productions substantielles dont le but est de

prouver qu'il n'y a point de bonheur individuel sans la pratique de la vertu et l'accomplissement de ses devoirs, et point de bonheur général sans bonheur particulier; il est certain que l'amateur admis dans ce vrai sanctuaire des lettres, n'éprouvera ni inquiétude, ni embarras, ni dégoût; plein de confiance, il aura la douce satisfaction de trouver là tout ce qu'il peut désirer, sans craindre des erreurs dangereuses ou une pénible satiété, résultat ordinaire de l'excès et de la diversité des mets.

C'est l'avantage incontestable que doit présenter le triage dont nous venons de parler, qui nous a suggéré la première idée de nous occuper d'un traité du choix des livres ; les observations ; suivantes nous ont entièrement déterminé. Presque tous les hommes dans l'état actuel de la société, nous sommes-nous dit, ont une manière de sentir, de penser et d'agir, moins d'après l'éducation et l'instruction primitive qu'ils ont reçues, que d'après les lectures dont chaque jour ils nourrissent leur esprit (1); ainsi les livres

(1) Il seroit difficile d'exprimer combien est prompte et dangereuse l'influence d'un mauvais livre, d'un livre licencieux sur un jeune homme, quelle qu'ait été son éducation et de quels bons principes que son esprit ait été primitivement imbu. Le poison est préparé avec tant d'art, on le rend si séduisant qu'il est certain que sur mille jeunes gens qui ont l'imprudence de ne pas le

ont la plus grande influence sur leur goût, sur leurs opinions et sur leur conduite. Mais les livres sont excessivement abondans, et la presse, surtout depuis quelques années, assaillie par

rejeter aussitôt qu'on le leur présente, à peine quatre à cinq résisteront à ses terribles effets. Jamais les exemples n'en ont été plus fréquens que de nos jours; nous ne manquons cependant pas de préservatifs contre un aussi grand danger. Nous avons le discours posthume de Massillon sur les mauvaises lectures, le discours de M. de Boulogne sur les mauvais livres, celui de M. l'abbé Fayet, le traité de la lecture par dom Jamin, bénédictin, etc. Nous ignorons si le fameux sermon du P. Beauregard, qui a produit de si grands effets avant la Révolution, a été imprimé; jamais il ne l'a prêché qu'on ne vit ensuite plusieurs de ses auditeurs venir lui apporter quelques-uns de ces instrumens de corruption.

Le passage suivant, qui a paru dernièrement dans une feuille publique, peut trouver sa place ici : « Avons-nous à nous féliciter, y est-il dit, de l'extrême abondance des livres? est-elle favorable à la morale et même à l'instruction? Il est permis d'en douter quand on parcourt cette foule d'écrits, les uns frivoles et superficiels, les autres passionnés et déclamateurs, qui, loin de rien apprendre, ne peuvent servir au contraire qu'à fausser l'esprit et à gâter le cœur. La Religion, la morale, la politique, les principes conservateurs de l'ordre et de la société, tout est aujourd'hui insulté, méconnu dans des livres, des pamphlets et des feuilles périodiques; ces sortes d'ouvrages sont étalés par-tout, et s'offrent de tous les côtés aux regards d'une ignorance curieuse. Une jeunesse confiante se trouve tout environnée de ces moyens de séduction; elle rencontre l'erreur en cherchant la vérité, et les générations qui s'élèvent puisant ainsi à des sources empoisonnées et se formant sur des guides trompeurs, accueillent des théories brillantes et des principes dangereux, et se préparent sans le savoir des jours aussi funestes au bonheur de l'individu qu'à l'ordre public. »

toutes les passions, a redoublé d'activité (1), et n'a pas toujours conservé la mesure que les amis de l'ordre, de la paix, des mœurs et de la Religion, auroient désirée. De plus, un mauvais ouvrage est plus dangereux et fait plus de mal que vingt bons ne sont utiles et ne peuvent faire de bien. D'ailleurs, dans le nombre incalculable des livres, il est difficile de faire un choix vraiment bon, si l'on n'a des connoissances littéraires assez étendues pour juger du mérite des

(1) C'est surtout depuis 1817 que cette activité a pris un grand accroissement, comme on peut s'en convaincre en jetant un coup d'œil sur le tableau suivant, présentant le montant des annonces de librairie et d'imprimerie qui ont eu lieu en France chaque année, à partir de 1814:

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Ces résultats sont tirés du Journal officiel de l'imprimerie et de la librairie, rédigé avec beaucoup de soin par M. Beuchot. Nous ferons remarquer qu'on peut retrancher de ces différens nombres plus des cinq douzièmes, si l'on veut avoir approximativement le nombre des ouvrages proprement dits, qui ont été publiés, parce qu'on ne peut pas considérer comme ouvrages les prospectus, almanachs, factums, catalogues officinaux, bluettes, etc., qui cependant ont leur n.o dans le Journal, et font partie des nombres qui composent le tableau ci-dessus. Mais nous ajouterons que depuis quelques années il se fait dans plusieurs villes des réimpressions, surtout d'ouvrages de dévotion, sans déclarations. Si les déclarations avoient eu lieu, les tableaux ci-dessus seroient encore plus considérables.

ouvrages, et des connoissances bibliographiques pour apprécier les éditions (1). Combien ne voit

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(1) Ces deux genres de connoissances ne sont pas les seules qui doivent caractériser le véritable bibliographe; il lui en faut encore beaucoup d'autres, ainsi qu'on peut le voir dans l'article suivant, extrait de notre Diction. raisonné de Bibliologie, tom. I, p. 50: «La bibliographie étant la plus vaste et la plus universelle de toutes les connoissances humaines, tout paroît devoir être du ressort du bibliographe; les langues, la logique, la critique, la philosophie, l'éloquence, la géographie, la chronologie, l'histoire et la diplomatique ne doivent point lui être étrangères. L'histoire de l'imprimerie et des célèbres imprimeurs lui est familière, ainsi que toutes les opérations de l'art typographique. Il en est de même de tout ce qui constitue le matériel d'un livre, comme papier, caractères, justification, encre, impression formats, reliûre. Il est sans cesse occupé des ouvrages des anciens et des modernes; il s'applique à connoître, non seulement par le titre et par la forme, mais encore par leur contenu, les livres utiles, rares, curieux, manuscrits ou imprimés. Il passe sa vie à les analyser, les classer, les décrire. Il cherche ceux qui sont indiqués par les écrivains intelligens qui ont su les apprécier. Il parcourt les bibliothèques et les cabinets, pour augmenter la somme de ses connoissances; il étudie particulièrement les auteurs qui ont traité de la science des livres; il relève leurs erreurs; il choisit dans les productions nouvelles celles qui sont marquées au coin du génie, et qui doivent vivre dans la mémoire des hommes; il furete les journaux littéraires, pour se tenir sans cesse au courant des décou vertes de son siècle et les comparer à celles des siècles passés. Il est avide de tous les ouvrages qui traitent des bibliothèques, et surtout des catalogues, lorsqu'ils sont bien faits, bien raisonnés, et que l'indication des prix ajoute à leur valeur. Enfin, il a les yeux continuellement ouverts sur tout ce qui regarde les productions de l'esprit humain, leurs auteurs, leur publication, leur sort, c'est-à-dire, qu'on peut le considérer comme une histoire littéraire vivante tel est le vrai bibliographe. Il doit réunir toutes les connoissances dont nous venons de parler; cependant

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