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la presse a multiplié les livres en tous genres d'une manière aussi rapide qu'effrayante ? Comment s'étonner si, aux bons ouvrages que réclamoient les besoins de l'instruction religieuse, morale et littéraire, et les progrès successifs de la saine littérature, des sciences et des

de Ratisbonne. C'est aussi le premier livre où l'on voit pour la première fois du caractère hébraïque. La réformation de Luther causa tant de désordre en France dans le XVIe siècle, que Charles IX, par son édit du 10 septembre 1563, ordonna que celui qui auroit publié un livre sans avoir obtenu un privilège scellé du grand sceau, etc., seroit pendu et étranglé ; il fut réglé par le même édit qu'on n'imprimeroit aucun livre sur la religion, sans avoir obtenu auparavant l'approbation des docteurs de Sorbonne. Un premier édit du même roi Charles IX, du 17 janvier 1561, portoit pour pareils délits, peine du fouet pour la première fois, et peine de la vie en cas de récidive. Quant aux livres qui ne traitent pas de matières de Religion, il paroît que dans le principe les maîtres des requêtes ont eu le pouvoir de les examiner, et qu'ils l'ont conservé jusqu'au règne de Henri IV. En 1624, Louis XIII par lettres patentes établit quatre docteurs de Sorbonne, comme censeurs des livres; mais ils n'acceptèrent pas, parce que cela causa beaucoup de trouble dans la faculté. Alors le roi, par un autre édit de 1629, donna pouvoir au chancelier ou au garde des sceaux de commettre telle personne qu'il verra être à faire selon le sujet et la matière des livres, pour les lire, examiner et approuver s'il est nécessaire. Dès-lors le chancelier ou le garde des sceaux choisirent eux-mêmes soit des docteurs, soit des laïques, pour lire et approuver les livres. Enfin arriva l'établissement des censeurs royaux en titre, tant à Paris que dans les provinces, mais toujours à la nomination du chancelier. Alors le manuscrit d'un ouvrage étoit remis au censeur par l'auteur lui-même, et le censeur le rendoit à l'auteur après l'avoir approuvé; mais vers la fin de 1716, M. Le Camus de Neuville, directeur de la librairie, or

arts, on a vu s'amalgamer, soit dans l'ombre, soit au grand jour, des productions dangereu

fruits ou de la corruption du cœur au milieu du luxe et de l'aisance dans les temps de paix, ou de l'esprit de parti toujours inséparable des grandes dissentions religieuses ou des révolutions politiques (1)?

donna que les manuscrits lui seroient remis à lui-même, qu'il désigneroit un censeur, et qu'ensuite le manuscrit lui seroit renvoyé, et remis à l'auteur s'il y avoit lieu. C'est ce qui s'est assez observé jusqu'à la Révolution, époque où la censure, qui, depuis bien des années, n'étoit plus que de forme, a été supprimée.

Nous ne parlons point ici des Index ou catalogues de livres défendus, parce qu'ils n'ont presque point eu lieu en France. Le premier a été, dit-on, composé par l'Inquisition d'Espagne et publié par ordre de Philippe II, en 1569; cela est faux. Il en existoit déjà un de Louvain, en 1550, approuvé par Charles-Quint; et on en connoît un de Venise, de 1543. V. sur les Index, notre Dictionnaire des livres condamnés au feu, tom. I, p. 253-268.

(1) Quand on compare la nature des révolutions qui ont précédé le XVe siècle, avec la marche et les résultats de celles qui l'ont suivi, on ne peut s'empêcher d'y trouver une différence no-, table; et nous ne doutons pas que cette différence ne soit due à la presse, qui, entre les mains de tous ceux qui ont fomenté des révolutions depuis trois siècles, a été un nouveau et puissant, levier pour soulever au loin toutes les passions. C'est des commencemens du seizième siècle que date cet esprit d'agitation et de trouble qui n'a cessé de tourmenter l'Europe, soit sourdement soit ouvertement jusqu'à ce jour. Vers 1516, Luther, imbu des principes de J. Hus, levant publiquement l'étendard de la révolte contre l'autorité pontificale, parvient à arracher du sein de l'église catholique, des peuples dont il a flatté les passions et des princes qui y ont trouvé leur intérêt; et bientôt l'Europe est en feu, le christianisme est ébranlé jusque dans ses fondemens, et des

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on s'est plaint, non seulement de la quantité excessive des livres, mais encore de la nature de certains ouvrages. Erasme, cet esprit si universel, si fin, si profond, disoit déjà de son temps (80 ans après la découverte de Gutenberg): (1) « Les imprimeurs remplissent le monde de libelles, je ne dirai pas inutiles tels que peuvent

flots de sang coulent de toutes parts au nom de la Religion. Un peu plus tard, la Ligue, sous le même masque, attaque l'autorité royale, et Henri III périt sous le fer de J. Clément, et le bon Henri sous celui de Ravaillac. Chez nos voisins, un fanatisme de fausse liberté arme des séditieux contre la même autorité ; et Cromwel, leur chef, fait tomber sur l'échafaud la tête de son roi. Aux meurtres de Henri III et de Henri IV avoient succédé la fermeté de Richelieu et la grandeur de Louis XIV; mais la régence, en relâchant les mœurs, laisse germer de nouveaux principes, qui, minant sourdement l'autel et le trône, appellent une révolution : elle éclate, et Louis XVI, le plus vertueux des hommes, périt sous le fer des bourreaux; et Pie VI, le plus vénérable des pontifes, meurt prisonnier à Valence. Quand on considère avec attention le caractère particulier des révolutions dont nous venons de parler, on ne doute plus que la presse n'ait eu sur chacune d'elles une influence proportionnée à ses progrès et à la liberté dont elle a joui.

(1) « Implent typographi mundum libellis, non jam dicam nugalibus, quales ego forsitan scribo, sed ineptis, indoctis, maledicis, famosis, rabiosis, impiis ac seditiosis: et horum turba facit, ut frugiferis etiam libellis suus pereat fructus. Provolant quidam absque titulis, aut titulis, quod est sceleratius, fictis. Deprehensi respondent : Detur undè alam familiam, desinam tales libellos excudere. » (ERASMUS, in explicatione proverbii Festina Lente, quod est primum centuriæ primæ, chyliadis 2.)

être ceux que j'écris, mais de libelles insensés, ignorans, médisans, diffamatoires, furieux, impies et séditieux ; leur multitude empêche de profiter de la lecture des bons livres. Quelquesuns de ces ouvrages paroissent sans titre, ou, ce qui est plus scélérat, sous des titres supposés. Si l'on découvre l'imprimeur et qu'on l'arrête, il a coutume de répondre pour s'excuser : Qu'on me donne de quoi nourrir ma famille, je cesserai d'imprimer de ces libelles. >>

Erasme, s'il revenoit parmi nous, parleroit-il autrement? Et si l'on considère les progrès inouis que, depuis son temps, on a faits dans le genre qui excitoit sa bile, l'indignation n'auroit-elle pas le droit de s'exprimer avec plus d'énergie encore? Au reste, que gagneroit-on à déplorer des abus et à combattre des passions que les observations de la raison et de la justice ne font qu'irriter, et qui ne peuvent être comprimées que par la fernie volonté du pouvoir, ou même par les seuls règlemens de la police, mais de cette police sévère qui ne doit pas plus permettre l'émission de pamphlets licencieux, injurieux et séditieux, qu'elle ne permet le libre commerce des poignards et du poison, souvent moins dangereux que certains ouvrages?

Mais n'envisageons ici les livres que sous le rapport de leur nombre excessif, nombre qui

s'accroît chaque jour des nouveautés et des réimpressions que l'activité toujours renaissante de la presse y ajoute. Quoique le goût de la littérature, ou pour mieux dire la manie de posséder des livres soit répandue dans toutes les classes de la société, quel est celui qui pourroit se flatter de se reconnoître et de faire un bon choix dans cette masse effrayante d'ouvrages en tous genres? Supposons pour un instant le plus intrépide des bibliophiles placé au centre de toutes les richesses littéraires qui existent; de sorte qu'il puisse voir d'un coup d'œil ces vastes dépôts que la munificence des rois met à la disposition du public (1), ces riches collections que des amateurs opulens rassemblent à grands frais, ces bibliothèques plus ou moins nombreuses que l'on rencontre dans toute maison jouissant de quelqu'aisance, enfin ces innombrables magasins de librairie, entrepôts et souvent tombeau de tant d'ouvrages

(1) C'est dans ces grandes bibliothèques publiques que dorment d'un sommeil paisible et presque jamais interrompu, tant de livres dont l'existence est à peine soupçonnée par les plus profonds érudits. M. Henri Hallam dit à ce sujet, dans son Europe au moyen dge, tom. IV, pag. 347 : « L'histoire de la littérature, comme celle du pouvoir, est pleine de révolutions. Nos bibliothèques publiques sont des tombeaux où gisent des réputations éteintes; la poussière qui s'amoncèle sur leurs volumes intacts, parle aussi̟ éloquemment que l'herbe qui flotte sur les murs de Babylone. »

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