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ainsi (1): «Assurément ces illustres Romains, s'ils avoient cru que les lettres ne fussent d'aucun secours pour connoître et pratiquer la vertu, ne se seroient jamais appliqués à les cultiver. Mais quand même on n'envisageroit pas cet inappréciable avantage, et que dans l'étude on n'auroit en vue que le plaisir, cette récréation de l'esprit n'en devroit pas moins être regardée comme la plus douce et la plus honnête; car les autres plaisirs ne sont ni de tous les temps, ni de tous les âges, ni de tous les lieux; les lettres, au contraire, forment la jeunesse, réjouissent la vieillesse, embellissent la prospérité, offrent un asile et des consolations dans l'adversité. Elles nous amusent dans nos loisirs et ne nuisent point à nos affaires. Compagnes de nos veilles, de nos voyages, de nos travaux champêtres, elles font

(1)« Qui profectò (clarissimi viri supra dicti) si nihil ad percipiendam colendamque virtutem litteris adjuvarentur, numquam se ad earum studium contulissent. Quod si nou hic tantus fructus ostenderetur, et si ex his studiis delectatio sola peteretur; tamen, ut opinor, hanc animi remissionem, humanissimam ac liberalissimam judicaretis. Nam cæteræ neque temporum sunt, neque ætatum omnium, neque locorum: hæc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant, secundas res ornant, adversis perfugium ac solatium præbent; delectant domi, non impediunt foris, pernoctant nobiscum, peregrinantur, rusticantur. Quòd si ipsi hæc neque attingere, neque sensu nostro gustare possemus, tamen ea mirari deberemus, etiam quùm in aliis videremus. » (Pro ARCHIA poeta.)

par-tout le charme de notre vie. Fussions-nous incapables d'atteindre par nous-mêmes à un plaisir si noble et d'en goûter toutes les douceurs, encore devrions-nous l'admirer dans les autres. >>

Après avoir lu ce bel éloge des lettres, on ne doit pas être surpris que son auteur ait eu une vive passion pour les livres. De l'amour des lettres à l'amour des livres, la transition est naturelle. Aussi voyons-nous Cicéron revenir très souvent sur cet objet dans ses ouvrages, mais particulièrement dans sa correspondance avec son ami Pomponius, qui, demeurant à Athènes, s'étoit chargé de ses acquisitions en statues, tableaux et livres, dans cette ville encore célèbre à cette époque (1): « Ayez soin, je vous prie, lui écrit

(1) « Tu velim (lib. I, ad Atticum, epis. 3), ea quæ nobis emisse et parasse scribis, des operam ut quamprimum habeamus : et velim cogites, id quod mihi pollicitus es, quemadmodum bi→ bliothecam nobis conficere possis. Omnem spem delectationis nostræ, quam, cùm in otium venerimus, habere volumus, in tua humanitate positam habemus. Et ailleurs (epist. 6): Bibliothecam tuam cave cuiquam despondeas, quamvis acrem amatorem inveneris: nam ego omnes meas vindemiolas eo reservo, ut illud subsidium senectuti parem. Plus loin (epist. 9): Libros tuos conserva; et noli desperare eos me meos facere posse. Quod si assequor, supero Crassum divitiis, atque omnium vicos et prata contemno. Dans un autre endroit (epist. 20): L. Papirius Pætus, vir bonus, amatorque noster, mihi libros eos, quos Ser. Claudius reliquit, donavit....... . Si me amas, si te à me amari scis, enitere per amicos, clientes, hospites, libertos denique, ac servos tuos ut scheda ne qua depereat. Nam et græcis his libris

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Cicéron, de m'envoyer le plutôt possible les ob jets que vous me mandez avoir achetés et rassemblés pour moi. Songez surtout, comme vous me l'avez promis, à me composer une bibliothèque. Je compte sur vos soins obligeans pour me procurer le plaisir dont je jouirai quand j'aurai quelNe traitez avec perques momens de loisir. sonne de votre bibliothèque, quelque haut prix que l'on vous en offre; car je destine toutes mes petites épargnes à me procurer cette ressource dans ma vieillesse. Conservez-moi vos livres et ne désespérez pas que je ne puisse un jour en faire l'acquisition. Si j'en viens à bout, je me croirai plus riche que Crassus ; et toutes les maisons de campagne, toutes les terres ne seront

quos suspicor, et latinis quos scio illum reliquisse, mihi vehementer opus est. Ego autem quotidiè magis, quod mihi de forensi labore temporis datur, in his studiis conquiesco. Per mihi, per, inquam, gratum feceris, si in hoc tam diligens fueris, quam soles in his rebus, quas me valde velle arbitraris. — Ailleurs (lib. IV, epist. 4) Perbellè feceris si ad nos veneris: offendes designationem Tyrannionis mirificam in librorum meorum bibliothecâ ; quorum reliquiæ (après son exil) multò meliores sunt quam putaram. Et velim, mihi mittas de tuis librariolis duos aliquos, quibus Tyrannio utatur glutinatoribus, ad cætera administris, iisque imperes, ut sumant membranulam, ex qua indices fiant, quos vos Græci, ut opinor, syllabous appellatis; sed hæc si tibi erit commodum.. Un peu plus loin (epist. 8): Postea verò quàm Tyranuio mihi libros disposuit, mens addita videtur meis ædibus : qua quidem in re mirifica opera Dionysii et Menophili tui fuit. Nihil venustius quam illa tua pegmata: postquam silly bis libros illustrarunt valdė. »

rien pour moi auprès de ce trésor.-L. Papirius Petus, honnête homme de mes amis, m'a fait présent des livres que S. Claudius lui a laissés... ; si vous m'aimez, si vous croyez que je vous aime, engagez, je vous prie, vos amis, vos cliens, vos hôtes, vos affranchis enfin, et vos esclaves à surveiller de manière à ce qu'il ne s'en perde pas un feuillet. J'ai le plus grand besoin des livres grecs que j'espère y trouver, et des latins que je sais y être. Tout le temps que me laissent les affaires du barreau, je l'emploie à me délasser au milieu de mes livres. Vous me ferez le plus sensible plaisir, si vous apportez à cette affaire tout le soin que vous avez coutume de donner à ce que j'ai le plus à cœur. Vous ferez très bien de venir me voir. Vous serez content du bel ordre dans lequel Tyrannion a disposé ma bibliothèque, dont les restes (elle avoit été pillée pendant son exil). valent beaucoup mieux que je ne m'y attendois. En attendant, je vous prie de m'envoyer deux de vos ouvriers en livres (ce que sont nos relieurs maintenant), qui, sous l'inspection de Tyrannion, colleront les miens et y feront tout ce qui est de leur ressort. Vous leur direz de se pourvoir de ce parchemin fin dont on se sert pour écrire les titres, et que vous autres Grecs, appelez, je crois, syllabous; mais tout cela à votre commoDepuis que Tyrannion a arrangé ma bi

dité.

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bliothèque, je la regarde comme l'ame de ma maison. Dionysius et Menophilus (les deux ouvriers mentionnés ci-dessus) ont parfaitement réussi. La propreté avec laquelle ils ont couvert mes livres, et la disposition des cases (sur les rayons) que vous avez imaginées, font un effet très agréable, etc., etc. (1) »

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(1) Les bibliothèques des Romains étoient disposées à-peu-près comme le sont actuellement les boutiques de marchands de papiers de tenture; mais les rayons, divisés par cases, capsœ ou foruli, étoient enfermés dans des armoires, et même, dans les derniers temps, sans doute sous des vitraux, si l'on en croit Boece, dans son livre De la Consolation. Il prétend que les murs étoient couverts d'ivoire: il veut sans doute dire les tablettes ou les armoires, comme nous le verrons bientôt dans Sénèque. On lit dans Isidore que les plus habiles architectes ne pensoient pas que l'on dût décorer les bibliothèques de lambris dorés, ni les parqueter autrement qu'en marbre de Caristo, parce que l'éclat de l'or éblouit, au lieu que le beau vert de ce marbre repose agréablement la vue. On glissoit les volumes (volumina de volvere) ou rouleaux dans les cases. Chaque volume étoit composé d'une ou de plusieurs feuilles (vingt au plus) collées ensemble, et roulées autour d'un bâton nommé cylindrus, ou bacillus, ou surculus, dont les extrémités ou boutons, bullæ, étoient appelés umbilici ou cornua. Les deux côtés extérieurs des feuilles, ou les tranches, se nommoient frontes, et les extrémités du bâton étoient ordinairement décorées de morceaux d'ivoire, quelquefois enrichis d'or et de pierres précieuses. C'est sur ces extrémités que l'on mettoit le titre de l'ouvrage, sans doute le syllabous des Grecs. Les feuillets qui composoient les volumes se nommoient pages, paginæ, du mot pangere, lier ensemble; comme le mot tome vient du Grec tomos de temné, couper, diviser, c'est-à-dire, section, partie d'ouvrage.

Dans chaque bibliothèque il y avoit un ou plusieurs scrinium. C'étoit une espèce de boîte ronde,ressemblant assez à nos étuis do

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