Page images
PDF
EPUB

talens; c'est l'image du dix-huitième siècle, et c'est celle de l'époque où Tacite a vécu. »

MARCUS-CLAUDIUS TACITUS, empereur romain (n. 200-m. 276 dep. J.-C.), avoit une estime particulière pour les ouvrages de l'historien TACITE, dont il se faisoit gloire de descendre. Avant de monter sur le trône, il s'étoit nourri des grandes maximes politiques répandues dans les écrits de son illustre parent. Devenu empereur, il honora la mémoire de cet auteur, en faisant placer sa statue dans les bibliothèques publiques, et en ordonnant que l'on fît tous les ans dix nouvelles copies de ses livres aux dépens du fisc, de peur qu'ils ne périssent par la négligence des lecteurs. On répète par-tout que cette sage précaution n'a pu néanmoins nous conserver en entier les ouvrages de TACITE; il nous semble qu'il est plus naturel de dire que la brièveté du règne de cet empereur ( proclamé le 25 septembre 275, et assassiné par les soldats en avril 276) n'a pas permis de mettre à exécution des ordres qui ne pou. voient s'exécuter que dans un assez long espace de temps.

On regarde la Vie d'Agricola, par TACITE, qui avoit épousé sa fille l'an 77 de J.-C., comme l'un des morceaux les plus beaux et les plus précieux qui nous soient restés de la littérature latine. Malgré quelques défauts, quelques endroits un peu obscurs, quelques pensées un peu recherchées, c'est un chefd'œuvre sous le rapport de l'ordonnance et de la

A

disposition, qualités que les anciens ont possédées particulièrement à un degré beaucoup plus éminent que les modernes. Rien de plus imposant que le début de la Vie d'Agricola; rien de plus beau, de plus sublime, de plus pathétique que la péroraison. Enfin, dans l'ensemble de cet excellent morceau, les militaires, les magistrats, les courtisans, peuvent puiser d'excellentes instructions. Quant aux autres ouvrages de TACITE, il faut avouer qu'ils annoncent un des plus grands historiens par l'énergie, la finesse et la vérité avec lesquelles les hommes et les événemens y sont peints. TACITE possède la véritable éloquence et le talent de dire simplement de grandes choses. Dans le tableau du règne de Tibère, comme il démasque les fausses vertus, comme il démêle les intrigues, comme il assigne les causes des événemens, et discerne la réalité des apparences! Cependant on lui reproche d'avoir peint trop en mal la nature humaine, d'être obscur, enfin d'avoir le style trop concis. Ces reproches sont assez fondés, et nous les trouvons fort bien exposés dans le Traité des études du sage Rollin : « N'est-il pas à craindre, dit-il, qu'un historien qui affecte presque par-tout de fouiller dans le cœur humain, et d'en sonder les replis les plus cachés, ne donne ses idées et ses conjectures pour des réalités, et ne prête souvent aux hommes des intentions qu'ils n'ont point eues, et des desseins auxquels ils n'ont jamais pensé? Salluste ne manque pas de jeter dans son histoire des réflexions de politique ; mais il le fait avec plus d'art

77 et de réserve, et par là se rend moins suspect. Il semble que TACITE, dans l'histoire des empereurs, est plus attentif à faire apercevoir le mal qu'à montrer le bien, ce qui vient peut-être de ce que ceux dont nous avons les vies sont presque tous de mauvais princes. » Et ailleurs, le même Rollin, dont les décisions en fait de goût sont des autorités, dit : « Pour ce qui regarde le style de TACITE, on ne peut pas nier qu'il ne soit fort obscur; il est même quelquefois dur et n'a pas toute la pureté des bons auteurs de la langue latine; mais il excelle à renfermer de grands sens en peu de mots, ce qui donne à son discours une force, une énergie, une vivacité toute particulière. » J. J. Rousseau et D'Alembert, qui, l'un et l'autre ont traduit quelques morceaux de TACITE, et qui en étoient très enthousiasmés, ne lui font pas moins aussi quelques reproches : le premier, d'avoir de la dureté et de l'obscurité dans le style; le second d'être quelquefois puéril dans ses idées et dans ses images, et il cite en exemple le passage de la vie d'Agricola, où TACITE oppose la rougeur du visage de Domitien à la pâleur des malheureux qu'il faisoit exécuter en sa présence.

Mais malgré cela TACITE n'en sera pas moins toujours considéré comme l'un des plus grands écrivains que nous offre la littérature romaine. Eh! quel auteur est à l'abri de tout reproche? Est-il donné à l'homme d'atteindre une entière perfection? Le sage Quintilien, parlant des auteurs les plus renommés, dit : Ils occupent le premier rang, mais ils sont hommes

summi quidem; homines tamen. Disons-le donc : TACITE, malgré ses défauts, n'en a pas moins mérité l'estime et l'admiration des plus grands génies; Ra→ cine l'appelle le plus grave des historiens, et Bossuet, le plus grand peintre de l'antiquité. Que peuton ajouter à de pareils éloges ?

Si cependant l'on veut connoître en détail tout le mérite de cet historien, il faut lire le beau portrait qu'en a tracé M. Ancillon, dans ses Mélanges de littérature et de philosophie, Paris, 1809, 2 vol. in-8.o, tom. 1.er, pp. 250-265. C'est un morceau achevé. Pensées profondes, idées lumineuses, élégance de style, tout s'y trouve. Malheureusement ce morceau est trop long pour être inséré ici, et il perdroit trop à être donné par extrait; nous y renvoyons le lecteur. Un autre écrivain a peint Tacite sous un point de vue différent, et avec des couleurs plus fortes que M. Ancillon; cet écrivain est M. Chénier, dans son Tableau de la littérature française, depuis 1789, seconde édition, Paris, 1817, in-8.o, pp. 164-170. « Quel modèle, dit-il, eut jamais droit d'exiger de son traducteur une fidélité plus respectueuse que TACITE? Soit que d'une plume austère il décrive les mœurs des Germains; soit qu'avec une pieuse éloquence il transmette à la postéríté la vie de son beau-père Agricola; soit qu'ouvrant l'ame de Tybère, il y compte les déchiremens du crime et les coups de fouet du remords; soit qu'il peigne le sénat, les chevaliers, tous les Romains se précipitant vers la servitude; esclaves mê

me des délateurs, et accusant pour n'être point accusés; l'artificieux Séjan, redouté d'un maître qu'il craint; les affranchis tout-puissans par leur basses

se;

Pallas gouvernant l'imbécille Claude; Narcisse, l'exécrable Néron; les avides ministres de Galba, se hâtant sous un vieillard de saisir une proie qui va bientôt leur échapper; les Romains combattant jusque dans Rome, afin qu'entre Othon et Vitellius la victoire nomme le plus coupable, en se déclarant pour lui; soit qu'il représente Germanicus vengeant la perte des légions d'Auguste, ou puni par le poison, de ses triomphes et de l'amour du peuple ; l'historien Cremutius Cordus forcé de mourir pour avoir loué Brutus et Cassius, et, suivant un très juste usage, sa proscription doublant sa renommée; Britannicus, Octavie, Agrippine, victimes d'un tyran trois fois parricide; Sénèque se faisant ouvrir les veines, conjointement avec son épouse ; les débats héroïques de Servilie et de son père Soranus ; Thraséas aux prises avec la mort, offrant une libation de son sang à Jupiter libérateur, et prescrivant la vie comme un devoir à la mère de ses enfans: il est tour-à-tour ou à la fois énergique, sublime; variant ses récits autant que le permet la monotonie du despotisme, et toujours également admirable; imitant Thucydide et Salluste, mais surpassant ses modèles comme il surpasse tous ses autres devanciers, et ne laissant à ses successeurs aucun espoir de l'atteindre. Etudiez l'ensemble de ses ouvrages, c'est le produit d'une vie entière, d'études prolongées, de médita

« PreviousContinue »