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Tels sont les passages qui nous ont le plus frappé dans le Traité de la langue poétique par Thomas. Il nous reste à dire un mot sur ses autres ouvrages. Le jugement que l'on en a porté lui est assez avantageux, et il mérite un rang parmi nos écrivains du second ordre. On lui reproche à juste titre trop d'apprêt, trop d'efforts dans le style, une emphase qui le rend parfois ridicule, des comparaisons forcées et trop multipliées, une éloquence de mots plutôt que de choses; mais ces défauts sont moins sen. sibles dans son Essai sur les éloges et dans l'Eloge de Marc-Aurèle, que l'on peut regarder comme ses meilleurs ouvrages. Parmi ses poésies, on distingue son Epitre au Peuple, son Ode sur le Temps, et plusieurs morceaux de son poëme de Jumonville. La publication de ses œuvres posthumes n'a presque rien ajouté à sa réputation. On y trouve quatre chants d'un poëme auquel il a travaillé long-temps et qu'il n'a point terminé. C'est la Pétréide, monument qu'il vouloit élever en l'honneur de Pierre-leGrand. Les seuls chants qu'il ait finis présentent les tableaux successifs des voyages de ce prince en Allemagne, en Hollande, en Angleterre et en France. On y remarque des morceaux brillans, de fort belles tirades, ainsi qu'en offrent son poëme sur la mort de l'infortuné Jumonville, son Ode sur le Temps et son Epitre au Peuple; mais les défauts de l'orateur se retrouvent dans le poëte; même emphase, même goût pour les lieux communs scientifiques, même surcharge de détails prolixes, même monotonie;

peude variété dans les couleurs, et profusion d'idées. Semblable à Lucain et à Claudien, il n'ouvre jamais une mine sans l'épuiser; il tourmente ses pensées pour les rendre plus saillantes; comme eux il s'étend et se complaît dans des descriptions qui n'ont pas de fin; il néglige l'ensemble de l'ouvrage pour s'appesantir sur les différentes parties; et c'est surtout dans ce qu'il avoit déjà fait de la Pétréide, que ces défauts sont le plus sensibles. Malgré cela Thomas étoit vraiment poëte; il possédoit parfaitement le mécanisme du vers. On a remarqué que sa facture a des rapports avec celle de l'abbé Delille; sa versification est travaillée, précise et brillante; il a porté dans la poésie le même genre de grandeur que dans l'éloquence. M. Dussault le considérant sous le rapport poétique, dit «qu'en général, quoique l'abbé Delille lui soit très supérieur, ces deux écrivains ont des traits de ressemblance : tous deux ont une manière plus ingénieuse et plus brillante que naturelle; tous deux cherchent surtout les effets qui naissent de la coupe et de la construction du vers; tous deux s'étudient beaucoup plus à faire des morceaux qu'à combiner un ensemble; tous deux aiment à s'appesantir sur les particularités et sur les accessoires; tous deux s'épuisent en descriptions, en lieux communs, en détails techniques; tous deux abandonnent volontiers leurs sujets pour ne s'occuper que des ornemens; tous deux enfin ont ce même goût scientifique et encyclopédique qui fut peut-être plus encore la faute de leur siècle que la leur, et qui se fait sen,

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tir également dans les Géorgiques françaises et dans la Pétréide; mais M. Delille est précieux et Thomas emphatique; M. Delille est affété, mignard, coquet; Thomas est ampoulé, enflé, gigantesque ; la grandeur de l'un n'est que bouffissure; la grâce de l'autre n'est que fard et vermillon; l'un cherche à étonner, et il a irrité la censure; l'autre ne veut que plaire, et il a rencontré l'indulgence. Je ne sais si les Jardins et les Géorgiques françaises vivront plus que cette Pétréide et les autres poésies de Thomas; mais Delille a laissé un monument immortel; il a interrogé un moment le génie de Virgile, et ce génie a daigné lui répondre ; Thomas n'a consulté que le sien, et n'a pas trouvé dans ses propres ressources de quoi s'élever au rang des grands poëtes. >>

Thomas n'étoit pas moins recommandable par ses vertus que par ses talens ; il étoit philosophe, mais la philosophie de ses ouvrages n'a jamais offert même l'apparence de l'impiété, et sa mort fut celle d'un Chrétien : à ses derniers momens il reçut les secours de la Religion de la main de M. de Montazet, archevêque de Lyon, qui étoit son ami et qui lui-même rédigea l'épitaphe suivante : « AU DIEU <<< CRÉATEUR ET REDEMPTEUR. Ci-gît Léonard-An<<< toine Thomas, l'un des quarante de l'Académie « française, associé de celle de Lyon, né à Cler<< mont en Auvergne le 1.er octobre 1732, mort dans « le château d'Oullins le 17 septembre 1785. Il eut « des mœurs irréprochables, un génie élevé, tous « les genres d'esprit : grand orateur, grand poëte,

<< bon, modeste, simple et doux, sévère à lui seul, « il ne connut de passions que celles du bien, de l'é« tude et de l'amitié; homme rare par ses talens, « excellent par ses vertus. Il couronna sa vie labo<< rieuse et pure par une mortédifiante et chrétienne. « C'est ici qu'il attend la véritable immortalité. — « Ses écrits et les larmes de tous ceux qui l'ont connu, << honorent assez sa mémoire ; mais M. Antoine de << Malvin de Montazet, archevêque de Lyon, son << ami, et son confrère à l'Académie française, après « lui avoir procuré dans sa maladie tous les secours « de l'amitié et de la Religion, a voulu lui ériger ce « foible monument de son estime et de ses regrets. >> Cette épitaphe a été gravée sur le tombeau de Thomas.

PIERRE-JEAN GROSLEY, savant distingué (n. 1718 -m. 1785), vivoit habituellement avec ERASME, RABELAIS, MONTAIGNE dont il aimoit le franc parler, et les auteurs de la Satire Ménipée qui sont P. LE Roy, P. PITHOU (1), F. CHRESTIEN, J. PASSERAT, N. RAPIN et J. GILLOT. On reconnoît au style de M. Grosley, à la finesse, à l'enjouement, à la ma

(1) M. Fournier, dans son Dictionnaire bibliographique, pag. 473, met P. Dupuy au rang des auteurs de la Satire Ménipée; il a tort. Ce savant, né en 1582, ne pouvoit avoir eu part à un ouvrage imprimé en 1593: il falloit mettre Pithou au lieu de Dupuy. Il est bien vrai qu'on a tiré d'un manuscrit de Dupuy, mort en 1651, des remarques et des explications sur les endroits difficiles de cette Satire, pour l'édition de Ratisbonne (Bruxelles), 1664 in-12; mais cela ne peut pas faire considérer Dupuy comme l'un des auteurs de cet ouvrage.

que

lignité, et quelquefois à la causticité que l'on remardans ses écrits, qu'il avoit passablement profité dans cette agréable compagnie. Doué d'un caractère très prononcé, d'un esprit original, il s'est fait remarquer par une profonde érudition et par un ardent amour de son pays. Mais ces titres honorables sont partagés par un de ses estimables compatriotes, M. Patris-Debreuil, qui a donné de très bonnes éditions de quelques-uns des nombreux et curieux ouvrages du savant Troyen. Nous citerons entre autres l'édition des Éphémérides de Grosley, ouvrage historique mis dans un nouvel ordre, corrigé sur les Mss. de l'auteur, avec des notes, par M. PatrisDebreuil, Paris, 1811, 2 vol. in-8.o et 2 vol. in-12.

Œuvres inédites de Grosley, édition collationnée sur son manuscrit, et augmentée d'articles biographiques et d'un discours préliminaire; par M. Patris-Debreuil. Paris, 1812, 3 vol. in-8.o avec un beau portrait de l'auteur. Ces deux ouvrages sont très intéressans sous le rapport historique et littéraire, tant par les pièces curieuses qu'ils renferment que par les remarques et les additions du savant édi

teur.

RENAU D'ELIÇAGARAY, célèbre marin, né dans le Béarn, avoit une aversion prononcée pour tous les livres, à l'exception d'un seul, la Recherche de la Vérité, par le P. MALLEBRANCHE; mais il avoit une passion ardente pour les mathématiques qu'il cherchoit et qu'il trouvoit dans sa tête.

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