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calculoit, cet homme habile, ses succès comme sa fortune; et même toute sa vie, il a mis dans sa conduite littéraire, ainsi que dans le soin de ses affaires domestiques, plus d'art et de combinaison qu'il n'appartient peut-être au génie. Il jugea donc sans trop de peine, qu'il falloit étonner les esprits superficiels par l'universalité des talens; subjuguer les esprits foibles par l'audace et la nouveauté des opinions; occuper les esprits distraits par la continuité des succès. Sa longue carrière fut employée à suivre ce plan avec une merveilleuse persévérance. Tout y servit, jusqu'aux boutades de son humeur et à la fougue de son imagination; et grâce aux dispositions de ses partisans, ses inconséquences même ne furent pas des fautes, et l'extrême licence de ses écrits ne fut pas un tort. Ainsi Voltaire commenta à la fois la philosophie de Newton et le chant d'amour du Cantique des cantiques; il fit un poëme épique et des poëmes bouffons, des tragédies bien pathétiques et des poésies légères bien licencieuses, de grandes histoires et de petits romans. Il voulut être philosophe et même théologien. Il entretint des correspondances avec les têtes couronnées et avec des marchands, et dédia ses ouvrages à Benoît XIV et à Mme. de Pompadour......

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Que conclurons-nous de ces différens jugemens portés sur Voltaire? Qu'il a été l'homme le plus spirituel de son temps; qu'il a exercé la plus grande influence sur la littérature et sur les opinions de son siècle et du siècle suivant. Comme poëte, comme prosateur,

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il tient sans contredit le premier rang. Sa versification est pure, facile, claire et brillante. Il en est de même de sa prose; par-tout on reconnoît la finesse et la pureté de son goût, quoique cependant son style, agréable en général, offre quelquefois, soit en vers, soit en prose, de la bigarrure et de l'incohérence; mais cela est rare. Il faut aussi convenir que dans sa prose, il n'a ni le nerf, ni la chaleur, ni la précision de Rousseau ; mais il possède au suprême degré cette facilité, cette élégance, cette clarté lumineuse qui met ses ouvrages à la portée de tout le monde et qui est plus rare qu'on ne pense. « Le mérite de la clarté, dit un moderne de grand goût, suppose dans la conception et dans les idées une netteté qui n'est pas commune; ce style qui se dévetoppe et qui coule avec une extrême limpidité, cette transparence de diction, si l'on peut s'exprimer ainsi, ne peuvent naître que d'une source très pure; c'est une grande perfection dans les organes de l'intelligence, qui produit cette clarté frappante et qui répand cette abondance de lumière dans les détails de l'élocution. C'est de Voltaire encore plus que de Malherbe, que l'on doit dire avec Boileau :

Aimez sa pureté,

Et de son tour heureux imitez la clarté.

Ceux qui lisent avec quelque soin savent combien d'écrivains, d'ailleurs estimables, sont loin de posséder au même degré que Voltaire cette qualité qui est la plus nécessaire quand on écrit, mais qui n'est pas la plus brillante: notre siècle a produit quelques

hommes d'un grand talent ; ils peuvent à beaucoup d'égards être comparés, égalés même à l'auteur de la Henriade; mais sous ce rapport, ils lui sont très inférieurs. >>

, pour

Une des choses encore très remarquables dans Voltaire est son talent pour le sarcasme la fine plaisanterie, pour la peinture des travers de la société, à part cependant quand il a voulu aborder la scène comique et quand il est descendu aux injures ignobles que lui suggéroit une aveugle colère. Ce talent satirique du patriarche de Ferney a fait naître chez le célèbre critique moderne que nous avons cité plus haut, les réflexions suivantes : « Qu'on se figure, dit-il, Voltaire avec le rare talent qu'il avoit pour se servir du ridicule, talent dont il a tant abusé, tournant cette même arme si redoutable entre ses mains, contre ceux dont il s'étoit déclaré l'appui et le chef, et se moquant d'eux en public comme il s'en moquoit quelquefois en secret : croit-on que tout cet édifice de réputations factices, bâties sur le sable et sur la boue, auroit pu résister aux traits qu'il auroit su lancer? S'il avoit seulement dirigé contre la fausse et dangereuse philosophie de son siècle la moitié de l'esprit qu'il a prodigué contre les institutions les plus utiles et les plus sacrées, c'en étoit fait de tant de beaux systêmes, de tant de brillantes re nommées, de toute cette sublime doctrine dont nous avons pu apprécier les effets, après en avoir admiré si long-temps et si stupidement les théories. » Mais il en a été autrement, et Voltaire, surtout dans le

moment où j'écris, doit peut-être plus à son esprit fin, malin, mordant, satirique, audacieux, qu'à ses chefs-d'œuvre littéraires, la réputation colossale dont il jouit, et les éditions multipliées que l'on donne en ce moment de ses œuvres complettes (1).

Cependant il faut dire que l'esprit ne suffit pas pour consolider une réputation littéraire, et lui faire traverser les siècles ; il est reconnu que l'esprit sans le génie peut bien briller d'un grand éclat, mais que son triomphe sera peu durable, à moins que des cir

(1) Les anciennes éditions complètes ne manquoient cependant pas; on en a donné un aperçu raisonné depuis 1732 jusqu'en 1817, dans une brochure intitulée : Recherches sur les ouvrages de Voltaire, contenant 1.o des Réflexions sur ses écrits; 2.o une Notice des différentes éditions de ses œuvres choisies ou complètes' jusqu'à ce jour; 3.o le Détail des condamnations juridiques qu'ont encourues la plupart de ses écrits; et 4.o l'Indication des principaux ouvrages dirigés contre Voltaire. Par J. - J. - E. G... avocat. Paris, (Dijon) 1817, in-8.o de 69 pages. La liste des éditions se trouve pages 22 -38. M. Beuchot s'occupe d'un travail bibliographique sur les œuvres de Voltaire, beaucoup plus étendu et plus exact; en l'attendant voici la liste des principales éditions qui ont paru depuis 1748 :

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OEuvres de Voltaire, Dresde, 1748 -54, 10 vol. in-8.• 、

Genève, 1756 et suiv., d'abord 17 vol. in-8.o, dont le nom bre est allé successivement jusqu'à 40 vol.

Genève, 1768 et suiv., 45 vol. in-4.o, tirée à 4,500 exemp. Genève (édition encadrée), 1775, 40 vol. in-8.o, tirée à 6,000 exemplaires.

- Kehl (édition de Beaumarchais), 1784 et suiv., 70 vol. ing 8.o, tirée à 28,000 exemplaires.

Kehl, 1785, 92 vol. in-12, tirée à 15,000 exemplaires.

Basle et Gotha, 1784 et suiv., 71 vol. in-8.o, tirée à 6,00g exemplaires.

constances imprévues ne le prolongent de quelques lustres. Nous rapporterons encore à ce sujet des ob servations très judicieuses de l'écrivain cité précé→ demment et sur l'opinion duquel nous ne pouvons trop nous appuyer: «Il y a une chose bien fàcheuse pour l'esprit, dit-il, c'est qu'il gâte et corrompt presque tous les genres de littérature où il cherche à dominer..... C'est lui qui égara le talent aimable d'Ovide, qui sema de pointes les écrits philosophiques de Sénèque, qui contourna les phrases élégan

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Lyon, La Mollière, 1791, 100 vol. in-12.

Basle et Deux-Ponts, 1792, 109 vol. in-12.

-Paris (édition de Palissot), 1792, 55 vol. in-8.o, tirée à 50❤ exemplaires.

← choisies. Paris, Servière, 1798, 40 vol. in-8.•

Paris, stéréotype, 1800 et suiv., 54 vol. in-18 et in-12, tirém

à 2,500 exemplaires.

choisies. Paris, Nicole, 1810, 21 vol. in-8.o et in-12.

Ajoutons qu'outre ces éditions on a tiré à part :

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150,000 id.

Les Questions sur l'Encyclopédie, à Nous ne parlons ni des ouvrages historiques, ni des poésies diverses, ni des mélanges, qui ont aussi été imprimés séparément en grand nombre.

Arrivons maintenant aux éditions complètes publiées depuis 1817; nous devons dire qu'à cette époque, ou assure qu'il existoit encore à Paris, en magasin, plus de mille exemplaires de l'édition de Kehl, in-8. Cela n'empêche pas que, soit spéculation, soit tout autre motif, plusieurs entrepreneurs n'aient à l'envi jeté sous presse les éditions suivantes, dont la plupart ont des additions inédites, des notes, des remarques, des corrections, etc., etc., etc,

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