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Si notre goût n'est pas encore épuré, méfionsnous donc des éloges pompeux donnés à certains ouvrages; ils sont presque toujours jugés avec précipitation et loués par une aveugle bienveillance, ou déchirés par une partialité révoltante; c'est pourquoi il faut s'abstenir de les admettre dans une collection choisie, jusqu'à ce que les hommes d'un goût assuré, de principes solides, et dégagés de toutes pas sions, leur aient donné leur sanction. Dans tous les cas, le parti le plus sûr est de s'en tenir d'abord aux ouvrages consacrés par le temps et par le goût, qui ont résisté à la dent des Zoïles et des Aristarques, comme la lime de la fable à celle du serpent.

Nous croyons avoir suffisamment démontré la nécessité de faire un choix dans l'immense quantité de livres qui surchargent l'horizon littéraire ; nous avons indiqué les écrivains sur lesquels ce choix doit se fixer, et nous avons exposé les motifs qui doivent leur faire donner la préférence. Nous allons maintenant, dans la seconde partie de notre travail, faire voir que les chefs-d'œuvre de ces auteurs du premier ordre ont été l'objet de la prédilection particulière d'une infinité de grands hommes, et n'ont pas peu contribué à les former tels; ces détails qui, d'après le plan que nous avons adopté, tiennent autant à l'histoire littéraire qu'aux principes même de la littérature, compléteront ce que nous venons d'exposer, et prouveront d'une manière encore plus évidente la nécessité de s'attacher particulièrement à la littérature classique.

DU CHOIX DES LIVRES.

SECONDE PARTIE.

De la prédilection particulière que des hommes célèbres de tous les temps ont eue pour certains ouvrages et surtout pour les chefs-d'oeuvre litté raires.

La réputation des auteurs anciens qui ont mérité la dénomination de classiques, est tellement établie qu'il eût dû suffire de les nommer, comme nous l'avons fait dans notre première partie, pour engager les amateurs de livres et surtout les jeunes gens à les placer au premier rang, dans toute collection qu'ils se proposent de former. Aussi leur avons-nous vivement recommandé de fixer d'abord leur choix sur les chefs-d'œuvre que ces grands écrivains nous ont laissés, et d'en faire l'objet spécial de leurs études ou du moins l'objet favori de leurs lectures; mais de simples recommandations, surtout dans le siècle où nous vivons, ne produisant pas toujours l'effet qu'on en attend, il est bon de les appuyer d'exem

ples qui fassent davantage sentir la nécessité d'yadhérer. C'est ce que nous allons tâcher de faire dans cette seconde partie, en appelant à notre secours c'est-à-dire, en présentant comme d'excellens modèles à suivre, des hommes célèbres de tous les siècles, des littérateurs, des savans, des historiens, des hommes d'état et même des rois, sur le goût littéraire desquels nous avons fait quelques recherches, et qui, dévorés, dès leur jeunesse, du désir de s'instruire solidement, ne se sont attachés qu'à un petit nombre d'ouvrages bien choisis, et en ont fait l'objet constant de leur application. Il n'y a aucun doute que c'est en se nourrissant uniquement l'esprit de bons ouvrages, d'ouvrages solides, qu'ils ont fait preuve, dans les différentes carrières que sort leur a ouvertes, de connoissances très profondes, d'une grande sagacité, d'un tact fin, de talens garans immanquables du succès, enfin de toutes les qualités qui les ont illustrés. Ce n'est cependant pas que tous, comme on le verra, aient porté leur choix sur des productions du premier mérite; mais le plus grand nombre s'est conformé à ce que l'on peut prescrire de mieux à cet égard.

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Rien n'est donc plus propre que l'exemple de ces grands hommes à confirmer ce que nous avons dit précédemment, que ce n'est point la lecture d'un grand nombre de volumes qui développe le génie, qui alimente l'esprit, qui forme le goût, mais que c'est plutôt un choix sévère et circonscrit d'ouvrages du premier ordre, lus, relus et bien médités.....

Nous avons cru devoir suivre l'ordre chronologique dans l'exposition des goûts littéraires des grands hommes: Commençant à Thucydide, nous descendons de siècle en siècle jusques à nos jours, et nous ajoutons à chaque article l'opinion et le jugement des plus grands écrivains, soit sur l'auteur, soit sur l'ouvrage dont il est question; de sorte que cette partie de notre travail, par les réflexions littéraires, les dates, et quelques anecdotes dont elle est entremêlée, pourroit sous certains rapports appartenir à un cours de littérature, et sous d'autres à l'histoire littéraire ; ce qui lui donneroit un double degré d'utilité, si nous étions assez heureux pour avoir rempli ce cadre intéressant tel que nous l'a

vons conçu.

Voyons d'abord quels ont été les goûts littéraires de quelques hommes célèbres de la Grèce, patrio primitive des lettres.

THUCYDIDE, historien grec (né en 471-mort en 391 av. J.-C.), assistant à une lecture qu'HERODOTE faisoit de ses histoires devant le peuple d'Athè nes, fut tellement frappé de la beauté du style, qu'il entra dans une espèce de transport et d'enthousiasme, et versa des larmes de joie en abondance ; il n'avoit alors que quinze ans. Ce goût précoce, cette sensibilité extraordinaire à cet âge, présageoient l'honneur que Thucydide feroit un jour à sa patrie dans la même carrière.

Les histoires d'HERODOTE, divisées en neuf livres

auxquels on donna le nom des neuf Muses, commencent à Cyrus, premier roi des Perses, selon l'auteur (l'an 599 av. J.-C.), et se terminent à la bataille de Mycale qui se donna la huitième année de Xerxès (l'an 480 av. J.-C.), ce qui comprend l'espace d'environ cent vingt ans. HÉRODOTE est appelé le Père de l'histoire, par Cicéron, non-seulement parce qu'il est le plus ancien des historiens grecs dont les écrits sont parvenus jusqu'à nous, mais parce qu'il est entre ces historiens ce qu'Homère est entre les poëtes, et Démosthène entre les orateurs. Fidelle imitateur d'Homère pour la narration, il entrelace les faits les uns dans les autres, de manière qu'ils ne font qu'un tout bien assorti. En variant continuellement ses récits, il réveille sans cesse l'attention de ses lecteurs. Son style est plein de grâce, de douceur et de noblesse. Ses histoires sont écrites dans le dialecte ionique. M. Larcher a rendu un important service à notre littérature, par la savante traduction qu'il nous a donnée de cet historien. (Paris, 1786, 7 vol. in-8.o; et Paris, 1802, 9 vol. in-8.o) Ce précieux ouvrage a emporté les suffrages universels sous le rapport de l'érudition (1). M. Dacier, secrétaire perpétuel de l'Aca

(1) Je ne puis mieux en faire connoître le mérite, qu'en rapportant ce qu'en a dit le savant et estimable M. Boissonade, auteur de la notice sur M. Larcher, en tête du catalogue de la bibliothèque de ce dernier, p. xxiv. » On peut, dit-il, sous le rapport du style, faire à M. Larcher d'assez graves reproches; mais la richesse du commentaire, l'importance des recherches géographiques et chronologiques, font de la traduction d'Hérodote, un des

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