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Écoutons à ce sujet un savant moderne (M. Bernardi ) qui va en peu de mots nous démontrer cette vérité. « Les livres des Juifs, dit-il, ont cet avantage sur ceux des autres peuples, de faire connoître la nature de l'homme, celle du souverain bien, et les vrais fondemens de la législation ét de la morale..... Nous avons beaucoup de traités philosophiques sur la nature des gouvernemens et sur l'art de les maintenir; mais les préceptes qu'ils contiennent n'ont ni amélioré leur sort, ni ne les ont garantis de leur chute; ils ont même peut-être contribué à l'accélérer, en inspirant à ceux qui étoient à leur tête une vaine confiance dans les combinaisons d'une sagesse ou d'une raison présomptueuse, qui dirige rarement les hommes, et que tant de causes imprévues troublent ou dérangent..... Au contraire, ce qui distingue particulièrement les Juifs, c'est ce but moral qui se montre dans leurs institutions et qui ne se dément pas un seul instant pendant la durée de leur longue existence. Leurs lois ne furent point,' comme celles des Grecs et des Romains, l'ouvrage progressif du temps: complettes et parfaites dès leur naissance, elles subsistent encore..... » Eh! comment ne subsisteroient-elles pas, quand Dieu a daigné lui-même graver sur leur base, ces commandemens éternels, ce code du genre humain, et comme le dit M. de Bonald, « cette loi primitive et générale, cette loi naturelle, parfaite, divine (tous mots synonymes), cette loi, ajoute-t-il, qui se trouve au livre des révélations divines, conservé chez les

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Juifs et chez les Chrétiens avec une religieuse fidélité, quoique dans des vues différentes et même opposées, et porté par les uns et par les autres dans tout l'univers (1) ? »

Citons encore sur le même sujet un autre auteur moderne, M. l'abbé Fayet, dont les pensées profondes coïncident si bien avec celles de MM. Bernardi et de Bonald. « Le plus beau caractère des livres saints, dit-il, c'est de n'avoir rien de commun avec ce qu'ont écrit les hommes: Homère et Virgile ont eu des imitateurs plus ou moins heureux ; mais la Bible n'a trouvé jusqu'ici que des traducteurs ou des copistes. Ouvrez ce livre : une législation complette; une histoire, source de toutes les histoires (2);

(1) « L'existence des Juifs, dit en note M. de Bonald, a quelque chose de si extraordinaire, qu'elle ne peut être expliquée que par la nécessité d'attester à tous les peuples de Funivers, et dans tous les temps de sa durée, l'authenticité d'une loi écrite pour tous les peuples et pour tous les temps. C'est la branche ainée de la grande famille, et elle a le dépôt des livres originaux. Cela a été dit cent fois, et toujours avec raison; mais, comme l'observe un homme d'esprit, les pensées vieillissent par l'usage, et les mots par le non usage. » LEGISLATION PRIMITIVE.

(2) Feu William Jones, president de la Société de Calcutta, Phomme le plus savant qui ait existé dans les langues, l'histoire et la littérature de l'Inde, assure « n'avoir rencontré dans les antiquités indiennes qu'un amas confus de fables absurdes et incodérentes, sans suite, sans liaison, enveloppées d'allégories qui les reudeut encore plus inintelligibles. Si Fon y aperçoit par intervalles, ajoute-t-il, quelque foible eclat de lumière, c'est pour faire bientôt place aux tenebres les plus profondes. Il n'en est pas ainsi de la Bible; elle a conserve le dépôt des archives du genre humain; elle expose à nos yeux les premiers monumens de l'histoire

une morale inimitable; une politique qui fonde les États et qui civilise les nations (1); une philosophie

des nations; elle en suit la filiation. Ce n'est que par son secours qu'on a pu former un systême suiyi et raisonnable de chronologie, ainsi qu'en convenoit le savant Freret. Elle présente enfin une variété de compositions qui égalent et qui surpassent même les compositions analogues qu'on rencontre chez les autres peuples. »

(1) Qui n'a pas lu le beau traité de Bossuet, intitulé: Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture Sainte, à Monseigneur le Dauphin? Il renferme tout ce qui est relatif à la politique, dans la Bible. L'auteur devoit développer ensuite, dans des discours particuliers, les principes qui en découlent; il est bien à regretter qu'il n'ait pas achevé un ouvrage si digne d'exercer son puissant génie. Comme on le reconnoît bien, ce beau génie, dans le début de son livre : « Dieu est le Roi des Rois; c'est à lui qu'il appartient de les instruire et de les régler comme ses ministres. Ecoutez donc, Monseigneur, les leçons qu'il leur donne dans sou Écriture, et apprenez de lui les règles et les exemples sur lesquels ils doivent former leur conduite. Outre les autres avantages de l'Écriture, elle a encore celui-ci, qu'elle reprend l'histoire du Monde dès sa première origine, et nous fait voir par ce moyen mieux que par toutes les autres histoires, les principes primitifs qui ont formé les empires. Nulle histoire ne découvre mieux ce qu'il y a de bon et de mauvais dans le cœur humain, ce qui soutient et renverse les royaumes, ce que peut la religion pour les établir, et l'impiété pour les détruire. Les autres vertus et les autres vices trou vent aussi dans l'Écriture leur caractère naturel, et on u'en voit nulle part dans une plus grande évidence les véritables effets. On y voit le gouvernement d'un peuple dont Dieu même a été le législateur; les abus qu'il a réprimés et les lois qu'il a étables, qui comprennent la plus belle et la plus juste politique qui fut jamais... JÉSUS-CHRIST vous apprendra par lui-même et par ses Apôtres tout ce qui fait les Etats heureux; son Évangile rend les hommes d'autant plus propres à être bons citoyens sur la terre, qu'il leur apprend par-là à se rendre dignes de devenir citoyens du Ciel. Dieu, enfin, par qui les Rois règnent, n'oublie rien pour leur apprendre à bien régner... ... ... ... ...

Quels accens plus douloureux que ceux des Israélites gémissant sur le bord d'un fleuve étranger (1)! La douleur de Jacob en apprenant et croyant qu'une bête féroce a dévoré son fils, n'est-elle pas plus simple et en même temps plus frappante que celle de Priam aux pieds d'Achille, redemandant le corps de son fils (2)? Les plaintes d'Andromaque égalèrent

et ce

t-il un de ses frères qui profère un seul mot, soit pour exprimer sa joie, soit pour pallier l'injure qu'ils lui firent? Non, de tout côté s'ensuit un silence profond et solennel, un silence infiniment plus éloquent et plus expressif que tout ce qu'on auroit pu substituer à sa place. Que Thucydide, Hérodote, Tite-Live ou tel autre historien classique eussent été chargés d'écrire cette histoire; quand ils en auroient été là, ils eussent sûrement épuisé toute leur éloquence à fournir les frères de Joseph de harangues étudiées; pendant, quelques belles qu'on puisse les supposer, elles auroient été peu naturelles et nullement propres à la circonstance. Lorsqu'une telle variété de passions dut fondre tout-à-coup dans le cœur de ces frères, quelle langue auroit été capablé d'exprimer le tumulte de leurs idées? Quand le remords, la surprise, la honte, la joie, la reconnoissance envahirent soudainement leurs ames, ah! que l'éloquence de leurs lèvres eût été insuffisante! Combien leurs Jangues eussent été infidelles en transmettant le langage de leur cœur! Oui, le silence seul participoit de la sublimité oratoire ; et des pleurs achevoient de rendre ce qu'une harangue ne pouvoit jamais faire. » Ces réflexions de Sterne sont très justes, et pour s'en convaincre il suffit de lire l'histoire de Joseph, racontée par Philon d'Alexandrie, ensuite par Joseph, l'auteur des Antiquités judaïques, puis par le Père Berruyer. C'est en vain qu'on chercheroit dans ces froides paraphrases la noble simplicité et le charme qui produit tant d'effet dans le récit des livres sacrés.

(1) L'admirable psaume Super flumina Babylonis, etc. (2) Cependant ce passage est un des plus beaux, des plus pathétiques de l'Iliade: « Juge de l'excès de mon malheur, dit Priam à Achille, puisque je baise la main qui a tué mon fils! »

elles jamais ces cris de douleur, cette voix de Rachel qui pleure ses enfans dans Rama, et qui rejette loin d'elle toute consolation parce qu'ils ne sont plus (1)? Qui jamais, comme Jérémie, sera capable d'égaler les lamentations aux calamités ? Quels objets plus propres à enflammer l'imagination, que cette mer entr'ouverte et suspendue qui engloutit Pharaon et son armée? que cette nuée de feu, et ces murailles qui s'écroulent avec fracas au seul bruit des trompettes? Qui dira le nom de Jérusalem, ce nom tout à la fois si poétique et si douloureux dans labou, che des prophètes (CHATEAUBRIAND)? » Quoi de plus profond que les réflexions de Job sur la brié veté de la vie et sur l'instabilité des choses humai nes? Quoi de plus vrai que le tableau du cheval de bataille dans le livre du même Job, tableau où il n'y a pas un seul trait dont la beauté n'exige un commentaire particulier? Existe-t-il quelque chose de plus tendre, de plus pathétique, que ces reproches adressés aux enfans d'Israël, par les prophètes, et dont le lecteur le plus froid et le plus prévenu a tant de peine à ne pas être affecté ? « O habitans de Jérusalem, et vous, hommes de Juda, décidez entre ma vigne et moi. Que pouvois-je faire de plus pour ma vigne que ce que j'ai fait ? Eh bien! j'attendois qu'elle me donnât des raisins, et elle me. jette quelques grappes sauvages. Mais, direz-vous,

(1) Et noluit consolari quia non sunt. Quelle admirable et touchante simplicité!

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