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tre cette triste vérité et de réparer le mal. Renonçons à ces plantes empoisonnées que nous avons cru fortes et restaurantes, parce qu'elles nous ont exalté.

siècle, de ce siècle de lumières, a-t-elle été plus heureuse? Après la fatale expérience des révolutions religieuses et politiques, arrosées du sang de nos ancêtres et de celui de nos contemporains, qui fume encore, sommes-nous plus vertueux, moins frivoles, moins inconséquens, plus disposés à sacrifier l'intérêt particulier à l'intérêt public, plus attachés à la patrie que nos aïeux? Sommes-nous meilleurs fils, meilleurs époux, meilleurs pères? Hélas! avouons que les plus belles théories en politique, en philosophie, en morale, ont eu rarement l'effet qu'on s'en étoit promis, et même que souvent elles nous ont égarés et portés aux derniers excès, Avouons surtout qu'il est impossible à l'écrivain le plus, habile, le plus fécond et le plus hardi, de publier quelque chose de plus fort que ce qui a été déjà répété mille fois sur ces différens objets. A quoi bon par conséquent vouloir s'ériger en nouveau précepteur du genre humain, en réformateur des abus, en apôtre, de la licence? Que peut-on gagner à se livrer à ce genre de travail, plus dangereux que nécessaire, et souvent plus honteux qu'inutile? Pag. 11-v...... Les mauvais livres se rapportent ordinairement, soit à la politique, soit à la morale, soit à la religion; c'est, contre, ces, trois, objets, si respectables, que la plupart des écrivains coupables out dirigé leurs batteries. Les uns ont cherché à détruire toute espèce de gouvernement, à prêcher le régicide, ä troubler l'ordre social; d'autres ont blessé les mœurs, calomnié la vertu, préconisé les vices; ceux-ci ont voulu saper les fondemens de la religion, ridiculiser ses ministres, auéantir le culte, semer des divisions funestes à l'État. Auteurs téméraires, qu'avezvous gagné à tant de vaines déclamations? Le mépris des gens de bien, et quelquefois une punition exemplaire. Je ne parlerai pas des affreux résultats qu'ont eus quelques-uns de ces coupables écrits, quand de leur perfide théorie on a voulu passer à la pratique.... Tirons un épais rideau sur le passé, et laissons à l'histoire le pénible soin d'en instruire nos neveux. Pag. XVIII-XIX.......... »

et:

19 le cerveau, et revenons à ces végétaux saïns et nutritifs dont s'alimentoient nos pères ; c'est-à-dire, revenons à ces bons ouvrages qui exercent agréablement et utilement l'esprit, qui respirent la vertu, fortifient le cœur sans l'enivrer, et donnent du ressort à l'ame sans l'égarer dans les tourbillons d'une perfectibilité chimérique, qui recommandent ce sublime précepte de l'Évangile, l'amour de Dieu et du prochain, qui font sentir les avantages de la soumission aux lois et au prince, de la modération dans les désirs, de l'union entre les frères, et qui ne s'opposent point à la jouissance des plaisirs licites. C'est parmi des livres de cette nature qu'il faut faire un choix, et se borner à un petit nombre, si l'on veut acquérir une instruction solide et se préparer dans la société une réputation honorable. Car il arrive souvent que la réputation n'est point étrangère aux livres dont on fait ordinairement sa lecture, ou plutôt à la manière dont on compose sa bibliothèque. Richardson dit dans Clarisse : « Si vous avez intérêt de connoître une jeune personne, commencez par connoître les livres qu'elle lit. » M. de Maistre, dans ses Soirées de S. Pétersbourg, tom. 1, pag. 139, donne plus de développement à cette pensée : « Il n'y a rien de si incontestable, dit-il en citant ce passage, mais cette vérité est d'un ordre bien plus général qu'elle ne se présentoit à l'esprit de Richardson. Elle se rapporte à la science autant qu'au caractère; et il est certain qu'en parcourant les livres

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rassemblés par un homme, on connoît en peu de temps ce qu'il est, ce qu'il sait et ce qu'il aime. »

Nous ne pouvons donc trop insister sur la nécessité de borner le goût que l'on peut avoir pour les livres, à un choix sévère d'excellens auteurs, et qui ne soient pas très nombreux. Mais, diront quelques amateurs peu sévères, dans une bibliothèque assortie ne faut-il pas un peu de tout? Oui sans doute, mais de tout ce qui est bon; car, si vous admettez quelques-unes de ces productions infernales dont nous avons parlé plus haut, ou quelques uns de ces livres médiocres qui, sans être dangereux, sont à-peu-près inutiles (1); votre bibliothè

(1) Dans tous les temps, mais surtout dans la littérature moderne, ces sortes d'ouvrages à-peu-près insignifians ont été très multipliés; c'est l'ivraie qui, dans nos vastes dépôts littéraires, étouffe la moisson. D'où provient cette malheureuse fécondité? De ce que l'on ne réfléchit pas assez sur la difficulté de faire un bon livre, et de ce qu'on se fait auteur sans se douter de tout ce qu'il faut posséder pour mériter ce titre. « Si l'on examinoit avant de prendre la plume, dit un célèbre critique moderne, combien de qualités sont nécessaires pour composer, je ne dis pas un excellent ouvrage, mais seulement un ouvrage raisonnable, je suis persuadé que l'on ne s'engageroit que bien rarement dans une entreprise aussi difficile. Il ne suffit pas de s'écrier dans un bead transport: Et moi aussi, je suis auteur, et de se mettre aussitôt à écrire; ce n'est que par une longue suite d'études sérieuses et de méditations profondes, que l'on peut espérer de se placer au rang des bons écrivains. Tel homme a l'esprit vif et le jugement sain, de l'impétuosité et de la chaleur dans la conversation; il lui échappe de ces traits vifs et brillans qui surprennent et éblouissent; il a même écrit des pages qui sont admirées. Tel autre a une vaste mémoire; il a long-temps étudié les anciens, il a séché sur les scoliastes; il a lu tous les historiens, tous les poëtes, tous les

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que ressemblera à une table bien servie, où parmi de bons mets il s'en trouvera plusieurs dépourvus d'assaisonnement, quelques-uns saupoudrés de coloquinte, et d'autres infectés de poison. Quel honṛ nête homme, sous le prétexte d'offrir un peu de tout, oseroit donner un pareil festin? Qui oseroit y assister? Rien de plus naturel que cette comparai

orateurs; il vous dira juste en quel endroit se trouve tel hémistiche grec ou latin; à propos d'un mot très simple en lui-même, il citera vingt auteurs dont lui seul connoît les noms; mais cependant, que ces deux hommes d'une tournure d'esprit si différente, essaient de composer un livre, on sera tout étonné de voir que le premier soit devenu si froid, si empesé, et que l'autre, avec son immense érudition, n'ait pu parvenir à écrire deux phrases qui eussent de la suite et de la liaison.

Ce qu'il y a de plus difficile dans un ouvrage, c'est l'ensemble', c'est le ponere totum dont parle Horace. Sans cette idée première à laquelle tout vient se rattacher, sans cette disposition savante de toutes les parties, qui forme un tout bien ordonné, on ne parviendra jamais à composer un ouvrage pour la postérité. Il faut du génie pour concevoir un plan dont les proportions soient aussi nobles que régulières; il ne faut que du travail et de la patience pour exécuter ces compilations immenses, dont la vue seule épouvante les plus intrépides lecteurs; aussi quelques auteurs se sontils fait une grande réputation avec un petit nombre de volumes, tandis que d'autres qui ont écrit des in-folio énormes, sont à peine connus aujourd'hui.

Il en est de même des ouvrages d'imagination. Si on n'a pas un plan bien fixe, bien arrêté; si on ne s'est pas proposé un but bien déterminé, on marche au hasard sans savoir ni d'où l'on part, ni où l'on doit arriver; mille exemples en font foi. Combien ne voyous-nous pas de nouveaux poëmes dont les auteurs n'étoient certainement pas sans talens? Mais ils se sont perdus au milieu de - Jeurs épisodes et de leurs descriptions, parce qu'ils n'avoient point tracé d'avance la route qu'ils devoient suivre. »

son, car dans tous les temps on a reconnu que les livres sont à l'ame ce que les alimens sont au corps (1); le poison moral n'est pas moins corrosif que le poi son matériel; si l'effet n'en est pas quelquefois aussi prompt, aussi apparent, il n'en est pas moins aussi réel et plus pernicieux, parce que ses ravages s'étendent plus loin et durent plus long-temps.

On auroit grand tort de croire que les excellens livres n'offrent pas assez de ressources dans tous les genres. Il n'y a pas une seule branche des connoissances humaines qui ne soit enrichie de très bons ouvrages; il est vrai que leur nombre est circonscrit en comparaison de celui des médiocres et des mauvais; mais ce nombre, tout circonscrit qu'il est, excède encore beaucoup nos besoins. D'ailleurs on sait combien il est avantageux de ne pas trop dévorer de

(1) Je citerai à cette occasion un bon mot du duc de Vivonne: Louis XIV lui demandant ce que la lecture faisoit à l'esprit : « Sire, répondit le duc, ce que vos perdrix font mes joues. >> La fleur de la santé brilloit sur son visage. Ce duc étoit très spirituel, et avoit la repartie vive et fine.

On prétend qu'à la cour de Louis XIII, les quatre personnages les plus remarquables par leurs saillies et leurs bons mots, étaient le prince de Guémenée, Bautru, le comte de Lude et le marquis de Jarzet.

Boileau-Despréaux, parmi les personnes de son temps en qui il reconnoissoit un esprit supérieur, citoit le prince de Conti (mort en 1709), le marquis de Termes, Bossuet, Bourdaloue, l'abbé de Châteauneuf, protecteur du jeune Arouet nommé depuis Voltaire, et d'Aguesseau, très jeune alors, puisqu'il est mort en 3751, Il étoit procureur-général vers la fin de la vie de Boileau, et depuis a été chancelier.

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