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L'autre ést un tableau immense où rien n'est omis quoique renfermé dans un cadre étroit; la touche du pinceau en est énergique, grande, sublime, majestueuse et digne du sujet. Ces deux histoires, quoique chefs-d'œuvre chacune dans leur genre, ne peuvent donc entrer en parallèle. Voltaire regardoit comme un des morceaux les plus précieux de la langue française, le livre de Bossuet dont nous parlons, et même il a dit quelque part : « On a de lui cinquante-un ouvrages; mais ce sont ses oraisons funèbres et ses discours sur l'Histoire universelle qui l'ont conduit à l'immortalité. » Comment a-t-il done

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pu avancer ailleurs que << Bossuet n'a été que l'historien du peuple juif. » Cette qualification porte bien à faux, car, ainsi que l'a fort bien observé La Harpe, « Bossuet a été l'historien de la Providence, et personne n'en a été plus digne que lui personne sans exception, n'a mieux saisi l'enchaînement des causes secondes, quoiqu'il les rapporte toujours à la cause première; chez lui tout est conséquent, et ses résultats moraux tirent leur évidence des faits, Sa pensée marche avec les temps et les événemens, depuis la naissance du Monde jusqu'à nous, et jette à tout moment des traits de lumière qui éclairent tout et font tout voir, les siècles, les hommes et les choses. »

Mais il est temps d'arriver aux jugemens que des hommes d'un mérite distingué ont portés de Bossuet; on remarquera que la plupart, en parlant de ce grand orateur, ont été pour ainsi dire électrisés

par son talent, et se sont presque mis à son niveau pour le peindre dignement.

La Bruyère parle ainsi du Démosthène français dans son Discours de réception à l'Académie françai se, prononcé le lundi 15 juin 1693. « Que dirai-je de ce personnage qui a fait parler si long-temps une envieuse critique et qui l'a fait taire, qu'on admire malgré soi, qui accable par le grand nombre et par l'éminence de ses talens? Orateur, historien, théologien, philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire: un défenseur de la Religion, une lumière de l'Église, parlons d'avance le langage de la postérité, un Père de l'Église (1). Que n'est-il point? Nommez une vertu qui ne soit pas la sienne. >>

Vauvenargues a établi le parallèle suivant entre Bossuet et Pascal : « Qui n'admire la majesté, ·la

(1) Le cardinal Maury a relevé cette expression dans son Essai sur l'éloquence : « Ce sont à mon avis, dit-il, les Pères de l'Église que La Bruyère flatte, et non pas Bossuet, en disant de lui: Parlons d'avance, etc. Cet hommage étoit assurément très honorable et très beau pour un évêque qui le recevoit en personne au milieu d'une séance publique de l'Académie. Mais il me semble que depuis la mort de ce grand homme, en mettant à part l'incomparable autorité que donne le titre authentique et sacré de Père de l'Église, et le droit d'être ainsi compté parmi les anneaux dont se forme la chaîne de la tradition; en ne considérant que sous des rapports purement littéraires l'érudition, la dialectique et l'éloquence des écrivains ecclésiastiques, il me semble, dis-je, qu'on pourroit, en jugeant ainsi Bossuet, l'appeler avec autant de confiance que de vérité, le premier des Pères de l'Église.

pompe, la magnificence, l'enthousiasme de Bossuet,. et la vaste étendue de ce génie impétueux, fécond, sublime? Qui conçoit sans étonnement la profondeur incroyable de Pascal, son raisonnement invincible, sa mémoire surnaturelle, sa connoissance universelle et prématurée ? le premier élève l'esprit, l'autre le confond et le trouble; l'un éclate comme un tonnerre dans un tourbillon orageux, et par ses soudaines hardiesses échappe aux génies plus timides; l'autre presse, étonné, illumine, fait sentir despotiquement l'ascendant de la vérité; et comme si c'étoit un être d'une autre nature que nous, sa vive intelligence explique toutes les conditions ? toutes les affections et toutes les pensées des hommes, et paroît toujours supérieure à leurs conceptions incertaines. Génie simple et puissant, il assemble des choses qu'on croyoit incompatibles, la véhémence, l'enthousiasme, la naïveté avec les profondeurs les plus cachées de l'art, mais d'un art qui bien loin de gêner la nature, n'est lui-même qu'une nature plus parfaite, et l'original des préceptes. Que dirai-je encore? Bossuet fait voir plus de fécondité, et Pascal a plus d'invention; Bossuet est plus impétueux, et Pascal est plus transcendant; l'un excite l'admiration par de plus fréquentes saillies, l'autre toujours plein et solide, l'épuise par un caractère plus concis et plus soutenu. »

L'auteur, après avoir parlé de Bossuet et de Pascal, passe à Fénélon : « Mais toi, dit-il, qui les a surpassés en aménité et en grâce, ombre illustre,

aimable génie, toi qui fis régner la vertu par l'onction et par la douceur; pourrois-je oublier la noblesse et le charme de ta parole, lorsqu'il est question d'éloquence? Né pour cultiver la sagesse et l'humanité dans les rois, ta voix ingénue fit retentir au pied du trône les calamités du genre humain foulé par les tyrans, et défendit contre les artifices de la flatterie la cause abandonnée des peuples. Quelle bonté de cœur, quelle sincérité se remarque dans tes écrits! Quel éclat de paroles et d'images! Qui sema jamais tant de fleurs dans un style si naturel, si mélodieux et si tendre ? Qui orna jamais la raison d'une si touchante parure? Ah! que de trésors d'abondance dans ta riche simplicité !

« O noms consacrés par l'amour et par les respects de tous ceux qui chérissent l'honneur des lettres, restaurateurs des arts, pères de l'éloquence lumières de l'esprit humain, que n'ai-je un rayon du génie qui échauffa vos profonds discours, pour vous expliquer dignement et marquer tous les traits qui vous ont été propres ! Si l'on pouvoit mêler des talens si divers, peut-être qu'on voudroit penser comme Pascal, écrire comme Bossuet, parler comme Fénélon; mais parce que la différence de leur style venoit de la différence de leurs pensées et de leur manière de sentir les choses, ils perdroient beaucoup tous les trois, si l'on vouloit rendre les pensées de l'un par les expressions de l'autre. On ne souhaite point cela en les lisant, car chacun d'eux s'exprime dans les termes les plus assortis au carac

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tère de ses sentimens et de ses idées; ce qui est la véritable marque du génie. »

La Harpe, parlant de l'universalité des connoissances, qui ne peut être le partage d'un seul homme, après avoir payé un juste tribut aux talens de Voltaire, et avoir cependant démontré qu'à part la tragédie et la poésie légère, il occuperoit à peine le second rang dans d'autres parties, La Harpe s'écrie: « Un homme ( si j'ose dire ce que j'en pense ), me paroît avoir été plus magnifiquement partagé que personne, puisqu'il s'est élevé au plus haut degré dans ce qui est de science et ce qui est de génie ; c'est Bossuet. Il n'a point d'égal dans l'éloquence dans celle de l'oraison funèbre, dans celle de l'histoire, dans celle des affections religieuses (voyez les Méditations sur l'Évangile), dans celle de la controverse (voyez les Variations ); et en même temps personne n'a été plus loin dans une science immense qui en renferme une foule d'autres, celle de la Religion. C'est, ce me semble, l'homme qui fait le plus d'honneur à la France et à l'Église des derniers siècles. Et pourtant ce n'étoit point un esprit universel; les sciences physiques, les sciences exactes, la jurisprudence et la poésie lui étoient fort étrangères. >>

Ailleurs La Harpe s'exprime ainsi sur ce grand orateur : « Qu'un homme de goût le relise, qu'il le médite; il en sera terrassé d'admiration. Je ne saurois exprimer autrement la mienne pour Bossuet Dans ses écrits on ne trouve jamais la moindre ap

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