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que le choix des livres ; celui-ci est un talent qui ne s'acquiert qu'à la longue; il ne peut être que le résultat de principes fixes, d'excellentes études, de lectures immenses et de connoissances profondes et variées; au lieu que le choix des éditions n'exige guère que des yeux et un peu de goût. En quoi consiste une belle édition? Dans la netteté d'un beau caractère, et dans sa proportion avec le format; dans une sévère correction qui conserve le texte et chaque mot en particulier, dans toute leur intégrité, et l'orthographe dans toute sa pureté ; dans l'élégante disposition du frontispice, des titres de chapitre, des notes, etc.; dans une justification (longueur des lignes) qui ne soit ni trop grande ni trop petite; dans de belles marges; dans l'uniformité du tirage, et surtout de la couleur de l'encre qui, ni trop noire ni trop pâle, doit être de la même nuance pour toutes les pages; enfin, dans la beauté et la solidité du papier. Il n'est pas difficile au premier coupd'œil de voir si ces diverses conditions sont remplies. Au reste, le nom de certains imprimeurs est une garantie à cet égard : les Aldes, les Étiennes, les Elzevirs, les Cramoisy, les Wetstein, les Foulis, les Baskerville, les Ibarra, les Didot, les Bodoni, les Mussi, les Crapelet, et beaucoup d'anciens imprimeurs de Paris, se sont attiré l'estime de l'Europe savante par la beauté et la bonté de leurs éditions; on ne risque donc rien de donner la préférence à celles qu'ils ont publiées. Et parmi les éditeurs de collections curieuses et intéressantes, on distinguera

toujours les Maittaire, les Brindley, les Coustelier, les Barbou, les Didot, les Renouard, etc. etc.

Mais revenons au choix des livres, sur lequel on ne peut trop insister, et tâchons d'ajouter à ce que nous avons dit, de nouvelles observations qui prouvent de la manière la plus évidente et l'importance de ce choix sous le rapport littéraire, et sa nécessité sous le rapport moral.

On l'a dit depuis long-temps, et nous ne pouvons trop le répéter, ce n'est point dans le nombre de volumes que consiste l'excellence d'une bibliothè que, mais dans le choix et le mérite des ouvrages qui la composent. Telle collection de trois cents volumes est quelquefois bien au-dessus d'une de trois mille, parce que l'on gagne plus à la lecture et à la méditation d'un seul bon livre, sous le rapport du goût, de la morale et de la solide instruction, qu'on ne le fera avec vingt ouvrages médiocres. En effet, quel but doit-on se proposer en formant une bibliothèque particulière? N'est-ce pas de réunir des livres pour en tirer le plus grand avantage possible? Et y parviendra-t-on si l'on entasse indistinctement toutes sortes d'ouvrages, bons, médiocres et mauvais? Non sans doute. Une bibliothèque ne sera vraiment bonne, vraiment utile, vraiment précieuse, qu'autant qu'elle sera composée de livres d'une réputation confirmée par le temps, ou par le suffrage des personnes éclairées et vertueuses; de livres qui, joignant les charmes du style à la solidité des principes, sont les plus propres à former le goût, à orner

l'esprit, à élever l'ame, à n'alimenter que les pas-sions nobles, à épurer les mœurs, à nous rendre meilleurs et plus habiles; de livres qui soient pour nous de vrais amis, toujours prêts à nous instruire, à nous plaire, et dont nous n'ayons jamais à rougir; de livres enfin, qui, tout en augmentant nos connoissances et en perfectionnant nos facultés, soient une source continuelle de jouissances d'autant plus pures qu'elles seront plus vives à mesure qu'on les multipliera : tel est le cachet des bons ouvrages, des seuls que l'on doit rechercher. Et, comme nous l'avons déjà dit, ils ne sont pas très nombreux. Il en est des livres comme des hommes : les sages, les héros, les vrais savans peuvent se compter; la masse du vulgaire est innombrable (1). Cette vérité s'applique parfaitement aux productions de l'esprit. Il faut donc savoir choisir, ne pas confondre les diamans avec les cailloux, et ne s'attacher qu'à ce qui est essentiellement bon, essentiellement beau. Les livres médio

(1) Lorsque j'ai établi cette comparaison dans la première édition de mon Choix des Livres, j'ignorois que M. de Bonald en eût fait une pareille dans son excellent article sur la multiplicité des Livres, publié en 1811. Comme elle est plus développée que la mienne, je vais la rapporter, quelque désavantageux qu'il soit pour moi de citer un écrivain tel que M. de Bonald, sur un objet où j'ai eu le bonheur de me rencontrer avec lui : « Les livres, dit-il, peuvent être comparés aux hommes, et un livre n'est autre chose qu'un homme qui parle en public. Il est des hommes qui vivent et meurent dans l'obscurité, inutiles à tout le monde et à eux-mêmes, et qui ne laissent point de traces de leur passage sur la terre. Il en est d'autres dont les vertus et les talens ont jeté un grand éclat, et qui ont donné à leurs semblables d'utiles exemples,

cres, frivoles, mal écrits, ne tendent qu'à corrompre le goût, à discréditer la saine littérature, et à faire perdre un temps précieux; malgré ces inconvéniens, combien de ces ouvrages éphémères, tris tes fruits de la décadence des lettres, sont préférés par des gens d'un goût dépravé et par une jeunesse. ignorante, aux chefs-d'œuvre de l'antiquité et du siècle de Louis XIV! De telles productions sont de vrais chardons qui, sous un ciel nébuleux, croissent sans culture dans les champs trop féconds de la lit. térature, et sont bien dignes de ceux qui s'en repaissent avec délices? Cependant ces bluettes, au moins inutiles, sont encore bien éloignées de la réprobation qui doit frapper les mauvais livres proprement dits, c'est-à-dire, ces productions infames, si pernicieuses sous le rapport de la Religion et des mœurs.

ont rendu à la société de grands services: ils vivront à jamais dans l'estime publique, et seront d'âge en âge proposés comme des modèles. D'autres enfin ont été le fléau de leur pays, et l'op probre du genre humain; la société les a rejetés de son sein, et leur mémoire est en horreur parmi les hommes. Ainsi, pour les productions de l'esprit, les unes, inutiles et souvent sans être indiffé rentes, sont bientôt oubliées; les autres, fruit d'un grand talent employé à de grandes choses, servent à former la raison publique, et leur gloire durera autant que le monde. Quelques autres enfin, malheureusement célèbres par l'abus des plus rares talens, empoisonnent à chaque génération une jeunesse sans expérience, et perpétuent la tradition des mauvaises mœurs et des faux principes. Ainsi, on parle assez des livres qui meurent de leur mort naturelle, triste objet de l'indifférence du public et des regrets de leurs auteurs, et l'on ne dit rien des livres qu'il faudroit empêcher de naître, ou faire mourir et condamner, pour l'exemple, au dernier supplice. »

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Il n'est que trop prouvé que ces sortes d'ouvrages sont à l'ame età l'esprit ce que l'arsenic est au corps; il en est qui étendent leur funeste influence jusque sur le physique. Si l'on avoit sous les yeux le tableau des maux affreux que ces monstruosités ont causés et causent chaque jour à la société, et surtout à la jeunesse dont elles irritent les passions naissantes, et dont elles absorbent toutes les facultés dans le temps le plus précieux de la vie; on frémiroit d'horreur, et on les proscriroit avec la plus vive indignation. Malheureusement les bons livres ne forment qu'un foible contrepoids dans la balance; ce qui flatte les passions est si séduisant, et l'homme livré à lui-même est si impatient de toute espèce de frein, qu'il n'est pas surprenant de lui voir saisir avec avidité. tout ce qui tend à l'indépendance et aux jouissances: même les plus criminelles et les plus nuisibles. Disons-le franchement, les mauvais livres n'ont pas peu contribué à nos erreurs, et à tous les malheurs qui en ont été la suite (1). Il est temps de reconnoî-

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(1) Voici ce qu'en 1806 nous disions à ce sujet, dans le discours: préliminaire du Dictionnaire des livres condamnés : « Depuis trois siècles n'a-t-on pas épuisé, en fait de productions littéraires, tous les traits de la satire, tous les genres de licence?..... Eh }; qui ne sait combien de fois ces vaines déclamations ont été répé-tées? combien de fois, sous prétexte d'attaquer la tyrannie et la superstition, on a ébranlé jusques aux fondemens de l'ordre social? Qu'est-il résulté de ces nombreux ouvrages, qui tous (selon Jeurs auteurs) tendoient au bonheur du genre humain? L'homme en est-il meilleur? est-il plus libre, plus fortuné?, fournit-il une carrière plus longue et mieux remplie? La fin du dix-huitième

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