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res, mais elles sont travaillées sur un autre plan. Nous avons parlé, pag. 76-80, du mérite de Tacite comme historien; le Dialogue des orateurs célèbres a été attribué à Tacite par différens écrivains ; d'autres le donnent à Quintilien, et quelques-uns à Pline le jeune.

HENRI DE LA TOUR D'AUVERGNE, vicomte DE TURENNE, né à Sedan, le 11 septembre 1611, tué près de Saltzbach, le 27 juillet 1675, lisoit QUINTE-CURCE avec transport dans son jeune âge. Il étoit frappé de l'héroïsme d'Alexandre, et de la manière dont QUINTE-CURCE a rendu ses exploits. Un ancien officier lui ayant soutenu que cette histoire n'étoit qu'un conte fait à plaisir, Turenne quoique pour ainsi dire encore enfant, voulut se battre contre cet officier.

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Il est certain qu'il y a beaucoup de choses évidemment fausses dans QUINTE-CURCE, beaucoup d'erreurs en géographie, beaucoup de détails minutieux et inutiles; mais cet auteur connoît parfaitement les replis du cœur humain ; il est bien éclairé sur la marche des passions, sur la chaîne des événemens, sur les causes et les résultats des faits qu'il présente. Personne ne guide mieux, ni par une voie plus courte et plus agréable, vers la connoissance de l'homme, qui doit être le véritable but de l'histoire. Nous citons, pag. 118-119, les traducteurs de Quinte-Curce, tels que Vaugelas, l'abbé Mignot, et Beauzée.

Turenne a écrit ses Mémoires ( publiés par M. Grimoard, 1782, 2 vol. in-fol. ); il avoit pris pour modèle les Commentaires de CÉSAR; mais si son épée se rapproche de celle du général Romain, il n'en est pas de même de sa plume.

JEAN DESMARETS DE SAINT-SORLIN (n. 1595 -m. 1676), ne voyoit rien de plus beau que son poëme de Clovis; il en étoit si enchanté qu'il en renvoyoit la gloire à Dieu. « Oui, dit-il dans ses Délices de l'esprit, Dieu m'a sensiblement assisté pour finir un aussi beau livre. » On prétend qu'un plaisant, lorsque Desmarets lui envoya son volume des Délices de l'esprit, mit à l'errata : DÉLICES, lisez DÉLIRES. Quand on voit l'enthousiasme de Desmarets pour son pitoyable Clovis, on ne peut s'empêcher de dire que l'erratum du plaisant n'étoit pas sans fondement. On en est encore plus convaincu en jetant les yeux sur ce tas de visions appelées Délices, où l'auteur a voulu expliquer l'Apocalypse. Au reste il étoit devenu fou.

Nous nous serions bien gardé de rapporter cette anecdote à peu près insignifiante, si elle ne nous fournissoit l'occasion de passer en revue les prétendus poëmes épiques du xvii.e siècle, avec un mot qui les

caractérise.

Le Moyse sauvé, de Saint-Amand (Leyde, 1654, in-12). — Bas et rampant. C'est une Idylle héroïque divisée en douze parties.

Le Clovis, de Desmarets (Paris, 1657, in-12).

-Sec et plat.

L'Alaric, ou Rome vaincue, de Scuderi (Paris, 1659, in-12.- Fanfaron.

Le Charlemagne, de le Laboureur( Paris, 1664, -Lâche et sans poésie.

in-8.°).

Le Childebrand, de Carel de Sainte-Garde (Paris, 1668, in-12). Aussi barbare que le nom du héros.

Le Saint-Paulin, de Ch. Perrault (Paris, 1686, in-8.o). Doucereux.

Le Saint-Louis, du P. le Moyne ( Paris, 1658, in-12).—Hyperbolique et plein d'un feu déréglé.

La Magdeleine, de Pierre de Saint-Louis ( Paris, 1700, in-12). - Ridicule et d'autant plus facétieux, que l'auteur a cru faire quelque chose de bon, de sérieux et d'édifiant. Rien n'est plus risible et plus plat. On en pourroit presque dire autant d'un autre poëme sur la Magdeleine, de frère Remi de Beauvais (Tournay, 1617, in-8. •).

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Le David, de Les-Fargues (Paris, 1660, in12), ne vaut pas mieux que les précédens ; il en est de même du Jonas ou Ninive pénitente, de 1663, par Jacques de Coras, qui est aussi auteur d'un poëme de David ou la vertu couronnée, qu'il publia en 1665. Terminons cette brillante collection épique par la Pucelle, ou la France délivrée, poëme héroïque en douze chants, de Chapelain. Paris, 1656, gr. in-fol. fig., et (Hollande), in-12. L'au

teur nous a fait grâce de l'impression des douze derniers chants qu'on trouve manuscrits dans divers cabinets.

Ce qu'il y a de singulier, c'est que toutes ces rapsodies, quant à la structure du poëme, sont conformes aux règles de l'art. C'est ce qui a fait dire à Voltaire : « Le Clovis de Desmarets, la Pucelle de Chapelain, etc.; ces poemes fameux par leur ridicule, sont, à la honte des règles, conduits avec plus de régularité que l'Iliade, comme le Pyrame de Pradon est plus exact que le Cid de Corneille. »

J. DELAUNOY, savant théologien (n. 1603 — m. 1678), avoit toujours sur sa table les Varia lectiones de MURET. C'est un livre rempli d'érudition et de saine littérature; mais tous les morceaux qu'il renferme ne présentent pas le même intérêt. On prétend que Muret avoit une telle perspicacité qu'en voyant une personne lire une lettre, il devinoit au mouvement de ses yeux et au changement de sa physionomie, ce que contenoit la lettre. Ce savant est mort en 1585.

PIERRE CORNEILLE, auteur du Cid (n. 1616 -m. 1684), faisoit ses lectures favorites de TACITE, de TITE-LIVE et surtout de LUCAIN (1) et de

(1) Quoique nous ne placions pas tout-à-fait Lucain au rang des classiques, nous sommes bien éloigné de ne pas le regarder comme poëte; il a des morceaux sublimes, et si l'on a un reproche à lui faire, c'est d'avoir entrepris un poëme épique sur un sujet trop rapproché de lui. Ses héros, César et Pompée, dont la cen

SÉNÈQUE. Quand on lit son théâtre, on voit combien il étoit pénétré de cette grandeur romaine si bien tracée, et peut-être exagérée, dans ces quatre auteurs. La Harpe, en confirmant en partie ce que

n'a

dre n'étoit pas encore entièrement refroidie, ne lui permettoient pas d'employer toutes les machines et tous les prestiges absolument nécessaires dans l'épopée. Ou ne peut guère mettre en scène qué des personnages antiques, qui, se perdant dans le vague des temps, prêtent à l'imagination tous les moyens de les agrandir et de les embellir, soit à l'aide des Dieux de la Fable, soit à l'aide des passions qui deviennent elles-mêmes des divinités sous la plume du poëte. Mais citons Voltaire, il juge Lucain avec ce goût exquis et cette impartialité qu'on admirera toujours dans ses écrits, toutes les fois qu'il ne sera pas égaré par la passion. « Lucain, dit-il, osé s'écarter de l'histoire; par-là il a rendu son poëme sec et aride. Il a voulu suppléer au défaut d'invention par la grandeur des sentimens; mais il a caché trop souvent sa sécheresse sous de l'enflure. Ainsi il est arrivé qu'Achille et Énée, qui étoient peu importans par eux-mêmes, sont devenus grands dans Homère et dans Virgile, et que César et Pompée sont petits quelquefois dans Lucain. Il n'y a dans son poëme aucune description brillante comme dans Homère; il n'a point connu, comme Virgile, l'art de narrer et de ne rien dire de trop; il n'a ni son élégance, ni son harmonie; mais aussi vous trouverez dans sa Pharsale des beautés qui ne sont ni dans l'Iliade ni dans l'Énéide. Au milieu de ses déclamations ampoulées il y a de ces pensées mâles et hardies, de ċes maximes politiques dont Corneille est rempli; quelques-uns de ses discours ont la majesté de ceux de Tite-Live et la force de Tacite. Il peint comme Salluste; en un mot, il est grand par-tout où il ne veut point être poëte. Une seule ligue telle que, celle-ci, en parlant de César,

Nil actum reputans, si quid superesset agendum,

vaut bien assurément une description poétique. » Voltaire dit ailleurs que « Lucain, dont le génie original a ouvert une route nouvelle, n'a rien imité; il ne doit à personne ni ses beautés ni ses défauts, et mérite par cela seul une attention particulière.

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