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FRANÇOIS DE MALHERBE (n. 1555—m. 1628), le vrai créateur de la langue poétique en France avoit un goût particulier pour STACE, SÉNÈQUE le tragique, JUVENAL, QVIDE, MARTIAL, surtout HoRACE, qu'il appeloit son bréviaire. Il ne paroît pas qu'il se soit rendu aussi familiers les poëtes grecs. Les odes de Pindare lui sembloient du galimatias. Ce jugement sur l'un des premiers poëtes lyriques, prouve encore davantage qu'il avoit fait une étude plus particulière des auteurs latins que des grecs. Parmi ces différens écrivains qui faisoient les délices de Malherbe, nous distinguerons particulièrement HoRACE et JUVENAL.

HORACE, le poëte le plus aimable de l'antiquité s'est toujours fait remarquer par les beautés et les grâces en tout genre qui distinguent ses différens ouvrages. Doué par la nature du plus beau génie, de l'imagination la plus brillante, de l'esprit le plus flexible et le plus fécond, il a répandu dans ses odes tout ce que Simonide, Sapho, Pindare, Tyrtée et Alcée nous offrent de plus beau, de plus gracieux, de plus sublime, comme Virgile nous présente, avec un charme inexprimable, les heureux emprunts qu'il a faits à Théocrite, à Hésiode et à Homère. C'est surtout la variété que l'on admire dans les odes d'Horace; nul n'a mieux possédé que lui ce grand secret, qui est un des principes les plus importans de l'art, et qui consiste à s'élever, sans disparate, jusqu'au sublime, dans de petits sujets qui n'en paroîtroient nullement susceptibles sous toute autre plume. Dans

ses épîtres, quelle philosophie douce, aimable et entraînante! Et dans le didactique, c'est le poëte par excellence, qui révèle tous les secrets de son art; c'est le dieu du goût qui dicte ses oracles.

Quant aux satires, nous ne pouvons mieux en faire connoître l'esprit et le style, qu'en présentant l'extrait d'un très beau parallèle d'HORACE avec JuVÉNAL que M. Dussault nous a donné en 1812. Après avoir exposé le caractère des vives et énergiques diatribes du fougueux rival d'HORACE dans le genre satirique, et nous avoir prévenus que lorsqu'on compare ces deux poëtes, il faut distinguer soigneusement le citoyen d'avec l'écrivain; qu'il faut éviter de confondre l'homme vertueux et austère avec le courtisan aimable et poli, la grandeur d'ame et la noblesse des sentimens avec la finesse et les agrémens de l'esprit, etc. etc.; il établit ainsi son parallèle : « JUVÉNAL n'a qu'un ton et qu'une manière; il ne connoît ni la variété ni la grâce; toujours guindé, toujours emphatique et déclamateur, il fatigue par ses hyperboles continuelles, et son étalage de rhéteur; son style rapide, harmonieux, plein de chaleur et de force, est d'une monotonie assommante. Il est presque toujours recherché et outré dans ses expressions; et ses pensées sont souvent étranglées par une précision dure qui dégénère en obscurité. HORACE, au contraire, est toujours aisé, naturel, agréable ; et pour plaire, il se replie en cent façons différentes; il sait,

D'une voix légère,

Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.

Son style pur, élégant, facile, n'offre aucune trace d'affectation et de recherche; ses satires ne sont pas des déclamations éloquentes: ce sont des dialogues ingénieux où chaque interlocuteur est peint avec une finesse et une vérité admirables; ce n'est point un pédant triste et farouche, élevé dans les cris de l'école, un sombre misanthrope, qui rebute par une morale chagrine et sauvage, et fait haïr la vertu, même en la prêchant : c'est un philosophe aimable, un courtisan poli, qui sait embellir la raison et adoucir l'austérité de la sagesse ; JuVÉNAL est un maître dur et sévère qui gourmande ses lecteurs; HORACE, un ami tendre, indulgent et facile, qui converse familièrement avec les siens. Les invectives amères, les reproches sanglans de JUVENAL irritent les vicieux, sans les réformer; les traits plaisans, les peintures comiques d'HORACE corrigent les hommes en les amusant; l'arme du ridicule semble avoir toujours été propre et particulière aux satiriques ; c'est celle qu'ont employée les anciens poëtes Eupolis, Cratinus, Aristophane, dont les comédies peuvent être regardées comme autant de satires. C'est aussi l'arme la plus utile pour combattre avec succès les vices les plus accrédités. Le sel d'une plaisanterie ingénieuse épouvante plus les coupables que tous les foudres et les tonnerres d'un déclamateur dont ils se moquent: le ridicule est la seule chose que craignent encore ceux qui ne craignent plus rien et qui n'ont plus ni pudeur ni remords:

Ridiculum acri

Fortius ac melius magnas plerumque secat res. »>>

Nous ajouterons encore un mot à cet article d'HoRACE et de JUVENAL considérés comme satiriques, c'est que, si l'on veut prendre une connoissance parfaite des mœurs privées des Romains, et entrer dans les plus petits détails de leurs usages, c'est d'abord dans les satires de ces deux poëtes qu'on doit les puiser; mais il faut y joindre celles de Perse, puis lire attentivement les comédies de Plaute et de Térence, toutes les lettres de Cicéron, celles de Pline le jeune, les épîtres de Sénèque, les vies de Suétone, et quelques chapitres de Valère Maxime, d'Aulu-Gelle, et des Saturnales de Macrobe, sans négliger Pline l'ancien et les rei rusticæ Scriptores. Celui qui liroit tous ces auteurs, la plume à la main, et qui en tireroit tout ce qui tient aux mœurs, aux habitudes et aux usages particuliers de la vie privée des Romains, ne seroit pas plus étranger au milieu de Rome ancienne, que nous ne le sommes au milieu de Paris.

ARMAND-JEAN DUPLESSIS, CARDINAL DE RICHELIEU, célèbre ministre de France, (n. 1585-m. 1642), faisoit de l'Argenis de BARCLAY Son livre favori. Il disoit qu'il ne connoissoit au monde que trois hommes souverainement savans : Saumaise > GROTIUS et BIGNON. Mais, selon le savant Peiresc GROTIUS valoit deux SAUMAISE. Le même cardinal comparoit aux quatre élémens quatre écrivains de son temps qu'il regardoit comme les meilleurs : le cardinal DE BERULLE, comparé au feu pour son élévation; le cardinal DUPERRON, à la mer pour son éten

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due; le P. COEFFETEAU, à l'air pour sa vaste capacité; et M. DUVAIR, à la terre par l'abondance et la variété de ses productions. Ces quatre élémens littéraires ne sont guère plus considérés maintenant dans nos bibliothèques, que les quatre anciens élémens de la nature ne le sont dans la chimie moderne. On voit par cet article, et nous pourrions encore le confirmer par mille autres traits, que les goûts littéraires de son Éminence étoient bien au-dessous de ses talens politiques.

QUEVEDO DE VILLEGAS, fécond auteur espagnol (n. 1580-m. 1645), étoit tellement passionné pour le Don Quichotte de CERVANTES, que quand il le lisoit, il étoit tenté de brûler les nombreux ouvrages qu'il avoit composés : (Voyez plus bas S. EVREMONT). Nous ajouterons ici une anecdote très connue, mais qui prouve que le caractère de ce roman a été apprécié dans tous les temps. «Un jour que le roi Philippe III étoit sur un balcon du palais de Madrid, il aperçut un étudiant qui, en lisant, quittoit de temps en temps sa lecture et se frappoit le front avec des marques extraordinaires de plaisir : Cet homme est fou, dit le roi aux courtisans, ou bien il lit Don Quichotte. Le prince avoit raison; l'étudiant lisoit effectivement ce livre, et ne pouvoit, quoique seul, retenir l'impression agréable qu'il en éprouvoit. »

Montesquieu, devant qui l'on parloit de Don Quichotte, dit : « Le meilleur livre des Espagnols est celui qui se moque de tous les autres. »

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