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le temps d'obtenir la confiance du peuple? Et pourquoi tous ceux qui l'ont méritée d'avance, tous ceux dont le nom aurait répandu la sécurité et l'espérance dans l'âme des citoyens, ontils été soigneusement écartés ou négligés ?

<«< Vous vous plaignez, sire, de la défiance du peuple; mais qu'avez-vous fait pour la détruire? Les familles des rebelles de Coblentz remplissent votre palais; les ennemis connus de l'égalité de la Constitution forment seuls votre cour; et l'on chercherait en vain auprès de vous un homme qui eût servi la cause de la liberté, ou qui ne l'eût pas trahie.

<< Voulez-vous, sire, reconquérir la confiance des citoyens? C'est à vous de leur en donner l'exemple. Que la demeure du roi d'une nation libre ne présente plus l'aspect d'une forteresse menacée par l'ennemi, et que ces précautions injurieuses cessent enfin de calomnier un peuple généreux et sensible. Son mécontentement s'est quelquefois exprimé avec violence, et l'on vous présente comme l'ouvrage d'une faction ce cri de douleur d'un peuple qui se croit trahi. On vous donne comme un projet formé de renverser le trône et de changer la Constitution l'indignation des hommes libres, qui ont cru voir dans l'état de nos armées, dans le choix de vos ministres, dans vos refus d'adopter des mesures nécessaires, l'intention coupable de modifier cette Constitution et d'abaisser devant des rois étrangers ce trône où la nation vous a placé. Sire, les vrais ennemis de la Constitution sont ceux qui, par un emploi ou mal dirigé ou perfide des pouvoirs qu'ils ont reçus d'elle, s'efforcent de prouver qu'elle ne peut sauver la patrie. Mais toutes ces divisions vont cesser: lorsqu'un empire est menacé par des armées étrangères, lorsqu'on veut changer ses lois par la force, il n'existe plus qu'un besoin et qu'un devoir, celui de repousser l'ennemi. Toute division de parti ou d'opinion doit être suspendue, et il ne reste plus que deux classes d'hommes, des citoyens ou des traîtres. Tous vos intérêts, sire, se réunissent à l'intérêt de la patrie;

toute connivence, toute faiblesse, quand même elle serait suivie de ce succès impossible, que cependant peut-être de lâches conspirateurs osent vous promettre, serait pour vous le plus grand des malheurs. Jamais les peuples, qui pardonnent tout, n'ont pardonné le crime de les avoir avilis devant un joug étranger; et quelle autorité peut dédommager celui qui se serait condamné lui-même à la haine éternelle de son pays et au mépris du reste du monde !

<«< La Constitution, sire, impose au roi des Français le pouvoir de repousser avec plus d'énergie l'ennemi qui, se couvrant faussement du nom du roi, joindrait le crime de la trahison à celui d'une agression injuste.

<< Elle lui a imposé l'obligation d'y opposer alors un acte formel; mais, si un roi des Français, loin de démentir les premières impostures, les avait laissées longtemps s'accréditer et se répandre; s'il avait donné du poids, par des actes publics, aux prétextes employés pour appuyer les mêmes impostures; si le langage de ses ministres avait souvent été trop semblable à celui des ennemis de la nation; si la lenteur dans les préparatifs de défense, si la négligence à instruire les représentants du peuple de son danger, lorsqu'il était temps encore de le détourner, et plus facile de le repousser; si, en un mot, un système entier de conduite contrariait cet acte formel, une simple signature, démentie par des actions, serait-elle donc l'accomplissement de la loi, ou plutôt ne faudrait-il pas la regarder comme une trahison nouvelle ?

<< Telles sont, sire, les vérités que les représentants du peuple français ne pouvaient, sans crime, vous cacher plus longtemps. Vous pouvez encore sauver la patrie et votre couronne avec elle: osez enfin le vouloir; que le nom de vos ministres, que la vue des hommes qui vous entourent appellent la confiance publique; que tout, dans vos actions privées, dans l'énergie et l'activité de votre conseil, annonce que la nation, ses représen

tants et vous, vous n'avez qu'une seule volonté, qu'un seul désir, celui du salut public!

<< La nation seule saura sans doute défendre et conserver sa liberté ; mais elle vous demande, sire, une dernière fois, de vous unir à elle pour défendre la Constitution et le trône. »

Brissot appuya cette adresse, comme préparatoire aux mesures décisives que l'Assemblée serait peut-être forcée de prendre, et conclut à ce que la Commission extraordinaire fùt chargée d'examiner: 1° quels sont les actes qui peuvent entraîner la déchéance; 2° si le roi s'en est rendu coupable; 3o à faire une adresse au peuple pour le prémunir contre les mesures inconstitutionnelles et impolitiques qu'on pourrait lui proposer. Ces diverses propositions furent adoptées.

Deux jours après le 28, on avait connaissance à Paris du fameux document connu sous le nom de Manifeste de Brunswick, document daté de Coblentz le 25 juillet, connu à Paris le 28, et parvenu seulement le 1er août au président de l'Assemblée nationale. Cette étrange transmission de Coblentz à Paris, en moins de deux jours, fut signalée par la presse patriote et notamment par le journal de Prudhomme.

<«< On a, dit M. Carnot dans son livre Résumé historique de la Révolution française, attribué ce factum à diverses personnes ; quelques-uns ont cru y reconnaître la main de Calonne, l'ancien ministre des finances. Quoi qu'il en soit, comme les documents fournis par Mallet du Pan, le missionnaire de Louis XVI, ont servi de base à ce manifeste, les journaux ne se trompaient guère en disant qu'il venait des Tuileries. »

Voici ce document d'insolence, de haine, de folie, auquel la Révolution allait répondre d'une façon terrible et glorieuse, et dont le souvenir doit vivre impérissable dans toute conscience française, libre, patriote, généreuse :

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« Leurs Majestés l'empereur et le roi de Prusse, m'ayant confié le commandement des armées combinées qu'ils ont fait rassembler sur les frontières de France, j'ai voulu annoncer aux habitants de ce royaume les motifs qui ont déterminé les mesures des deux souverains et les intentions qui les guident.

«< Après avoir supprimé arbitrairement les droits et les possessions des princes allemands en Alsace et Lorraine, troublé et renversé le bon ordre et le gouvernement légitime; exercé contre la personne sacrée du roi et contre son auguste famille des attentats et des violences qui se sont encore perpétuées et renouvelées de jour en jour, ceux qui ont usurpé les rênes de l'administration ont enfin comblé la mesure en faisant déclarer une guerre injuste à Sa Majesté l'empereur, et en attaquant ses provinces situées aux Pays-Bas. Quelques-unes des possessions de l'empire germanique ont été enveloppées dans cette oppression, et plusieurs autres n'ont échappé au même danger qu'en cédant aux menaces impérieuses du parti dominant et de ses émissaires.

« Sa Majesté prussienne avec Sa Majesté impériale, par les liens d'une alliance étroite et défensive, et membre prépondérant lui-même du corps germanique, n'a donc pu se dispenser de marcher au secours de son allié et de son co-État ; et c'est sous ce double rapport qu'il prend la défense de ce monarque et de l'Allemagne.

« A ces grands intérêts se joint encore un but également important et qui tient à cœur aux deux souverains, c'est de faire cesser l'anarchie dans l'intérieur de la France, d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la sûreté et la liberté dont il est privé, et

de le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui est due. << Convaincu que la partie saine de la nation française abhorre les excès d'une faction qui la subjugue, et que le plus grand nombre des habitants attend avec impatience le moment du secours pour se déclarer ouvertement contre les entreprises odieuses et les oppresseurs, Sa Majesté l'empereur et Sa Majesté le roi de Prusse les appellent et les invitent à retourner sans délai aux voix de la raison et de la justice, de l'ordre et de la paix. C'est dans ces vues que moi, soussigné, général commandant en chef les deux armées, déclare:

« 1° Qu'entraînées dans la guerre présente par des circonstances irrésistibles, les deux cours alliées ne se proposent d'autre but que le bonheur de la France sans prétendre s'enrichir par des conquêtes;

«< 2° Qu'elles n'entendent point s'immiscer dans le gouvernement intérieur de la France, mais elles veulent uniquement délivrer le roi, la reine et la famille royale de leur captivité, et procurer à Sa Majesté très chrétienne la sûreté nécessaire pour qu'elle puisse faire sans danger, sans obstacle, les convocations qu'elle jugera à propos et travailler à assurer le bonheur de ses sujets, suivant ses promesses et autant qu'il dépend d'elle;

« 3° Que les armées combinées protégeront les villes, bourgs et villages, et les personnes et les biens de tous ceux qui se soumettront au roi, et qu'elles concourront au rétablissement instantané de l'ordre et de la police dans toute la France;

«< 4° Que les gardes nationales seront sommées de veiller provisoirement à la tranquillité des villes et des campagnes, à la sûreté des personnes et des biens de tous les Français jusqu'à l'arrivée des troupes de leurs Majestés imperiale et royale, ou jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, sous peine d'en être personnellement responsables; qu'au contraire, ceux des gardes nationaux qui auront combattu contre les troupes des deux cours alliées, et qui seront pris les armes à la main, seront trai

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