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milieu des conspirateurs la consternation. Nul, d'aucun côté, ne se méprenait sur la haute portée du décret. Robespierre, aux Jacobins, le traduisit ainsi : « Lorsque l'Assemblée nationale a prononcé cette formule, elle a voulu dire: En vain nous faisons de bonnes lois, si le pouvoir exécutif ne les fait pas exécuter, s'il les entrave par des veto perfides, si des administrateurs corrompus conspirent avec la Cour pour tuer la Constitution par la Constitution; en vain des armées de soldats patriotes et valeureux exposent leurs vies en combattant, si l'on arrête leur marche victorieuse, si on ne les envoie au combat que pour les faire succomber sous un nombre d'ennemis doublé du leur. Dans des circonstances aussi critiques, les moyens ordinaires ne suffisent pas; FRANÇAIS, SAUVEZ-Vous ! »

Le 11, le roi confirmait officiellement par une proclamation l'arrêté du Directoire de Paris, qui suspendait de leurs fonctions Petion et Manuel.

Le 12, l'Assemblée entendait Petion dans ses explications, l'admettant ensuite aux honneurs de la séance.

Enfin, le 13, sur le rapport de MURAIRE, au nom de la Commission des Douze, et conformément aux conclusions du rapporteur, elle levait la suspension prononcée contre le maire de Paris, par l'arrêté du département de Paris du 4 juillet, et confirmée par la proclamation du roi du 11 du même mois.

Elle décrétait en même temps que le pouvoir exécutif ferait passer dans le jour deux expéditions du présent décret, l'une au département, l'autre à la municipalité.

Le décret fut accueilli avec enthousiasme par la grande majorité des sections de Paris; et le lendemain, 14 juillet, à la dernière fête de la Fédération que devait voir la monarchie, ce fut aux cris répétés de vive Petion, vive la Liberté, que fut acclamé le cortège officiel se rendant au Champ de Mars pour y renouveler le serment civique à la Constitution. Quant au roi, il ne fut partout accueilli que par le froid silence de la garde

nationale et du peuple. « Tous les spectateurs, dit un historien royaliste, Maton de la Varenne, ceux mêmes qui s'intéressaient à lui, regardèrent ce triomphe comme l'avant-coureur d'une chute prochaine : sa femme surtout le dit perdu. »

Et ce pressentiment était fondé. A cette fête de la Fédération, en effet, assistait une grande partie des fédérés, conviés par l'Assemblée nationale à cette imposante manifestation, et qui devaient participer d'une façon si héroïque à la sanglante journée du 10 août.

Reçus avec effusion par la municipalité et par les patriotes, ces vaillants, qui ne faisaient à Paris qu'une halte avant de se rendre à la frontière, avaient, conformément à la motion de Danton aux Jacobins, juré de ne se séparer que lorsque les traîtres auraient été punis ou auraient passé à l'étranger.

Chaque jour la fermentation des esprits allait croissant. L'opinion s'irritait aux nouvelles répandues sur les insurrections partielles suscitées par les ennemis, nobles et prêtres, de la Constitution, sur les mouvements offensifs de la coalition étrangère, envahissant le territoire, et guidée par les émigrés; elle s'indignait des lenteurs de l'Assemblée à mettre hors la loi le général La Fayette, dont la conduite factieuse avait été dénoncée par les orateurs les plus autorisés de l'Assemblée. Enfin, les esprits les moins passionnés concevaient les plus vives alarmes de l'obstination du roi à ne pas sanctionner le décret du 11, qui proclamait la patrie en danger; et l'explosion de la colère était imminente, quand le roi se détermina à sanctionner le décret.

La proclamation eut lieu à Paris les 22 et 23 juillet, avec un cérémonial imposant et lugubre. A sept heures du matin, le Conseil général s'assemblait à la maison commune; les six légions de la garde nationale se réunissaient à six heures avec leurs drapeaux sur la place de Grève. Le canon d'alarme du Pont-Neuf tirait trois salves d'heure en heure, auxquelles il était répondu par une pièce de canon à l'arsenal. Quatre huissiers à cheval

portaient quatre enseignes ayant chacune une de ces inscriptions Liberté, Égalité, Constitution, Patrie; douze officiers municipaux revêtus de leurs écharpes, des notables, membres du Conseil, et un garde national à cheval, portaient une grande bannière tricolore, avec la déclaration: Citoyens, la patrie est en danger; enfin venaient six pièces de canon, un détachement de garde nationale et un détachement de cavalerie qui fermait le cortège.

A chacune des places désignées pour la proclamation, le cortège faisait halte; on commandait le silence par un roulement de tambours, après quoi un officier municipal lisait à haute voix l'acte du Corps législatif et disait : « La patrie est en danger. »

En même temps se dressaient sur toutes les grandes places des amphithéâtres pour recevoir les enrôlements. Sous des tentes ornées de banderoles tricolores et de couronnes de chêne, et sur le devant de l'amphithéâtre, une table posée sur deux caisses de tambour servait de bureau pour recevoir et inscrire les noms des citoyens. Trois officiers municipaux assistés de six notables recevaient les inscriptions et délivraient aux inscrits le certificat de leur enrôlement.

L'affluence des volontaires fut immense : il y avait des hommes de tout âge, de toutes conditions, depuis des enfants au-dessous de seize ans jusqu'à des hommes déjà grisonnants. C'était une ivresse, une fureur de patriotisme; c'était la grande insurrection de la patrie, qui se préparait pour exterminer partout à l'extérieur et à l'intérieur ses ennemis, et assurer les destinées encore si fragiles de la Révolution.

Dès le lendemain on voyait partout sur les routes les jeunes engagés de la veille qui, le sac au dos et vêtus des habits de leur profession, marchaient aux places de concentration qui leur avaient été désignées; mais, en même temps, ceux qui restaient encore et qui bientôt devaient les suivre, les fédérés, faisaient entendre au sein de l'Assemblée nationale le vœu suprême

des volontaires qui allaient aux frontières mourir pour la patrie et la liberté.

Dans la séance du 23, une députation de fédérés était introduite, et son orateur s'exprimait ainsi :

<< Législateurs, pouvez-vous vous dissimuler encore la source de nos maux ou en ignorer les remèdes ? Permettez que nous vous les indiquions, nous citoyens des quatre-vingt-trois départements, que l'amour de la liberté a réunis ici. Nous, forts de l'opinion de la très grande majorité des citoyens du royaume, nous vous disons que la source de nos maux est dans l'abus qu'a fait de son autorité le chef du pouvoir exécutif, dans les états-majors de l'armée, une partie des directoires de départements, des directoires de districts et des tribunaux ; et, puisqu'il faut tout dire, il existe dans votre sein. (Nombreux applaudissements dans une grande partie de la salle et dans toutes les tribunes.) Législateurs, le péril est imminent; il faut que le règne de la vérité commence: nous sommes assez courageux pour vous le dire, soyez assez courageux pour l'entendre; délibérez, séance tenante, l'unique moyen de remédier à nos maux : suspendez le pouvoir exécutif; la Constitution vous autorise à le juger. Or, vous ne pouvez le faire sans avoir le droit de le suspendre; convoquez les assemblées primaires, afin de connaître d'une manière immédiate et certaine le vœu du peuple. (Une partie de l'Assemblée applaudit.) Faites nommer une Convention nationale pour prononcer sur certains articles prétendus constitutionnels. — Il n'y a pas un instant à perdre. Évitez à votre patrie des secousses terribles; craignez d'attirer sur vos têtes une effroyable responsabilité. Si vous donniez à la nation une preuve d'impuissance, il ne resterait à la nation qu'une ressource, ce serait de déployer toute sa force et d'écraser ellemême ses ennemis. >>

Cette proposition sera reprise vigoureusement par les députés Crestin et Duhem, dans la séance du 25; mais elle sera formu

lée d'une façon bien autrement autorisée par la Commission extraordinaire de l'Assemblée, au nom de laquelle le député Guadet, dans la séance du 26, donna lecture d'un projet d'adresse au roi, ainsi conçu :

« La nation française vous a confié le soin de sa défense, et les officiers de nos troupes ont fui chez les puissances étrangères, où, réunis à vos parents, à vos courtisans, à vos gardes, ils forment une armée et nous ont déclaré la guerre. La Constitution vous a chargé de veiller sur les intérêts extérieurs de l'empire, et l'allié pour lequel nous avons prodigué notre sang et nos trésors est devenu notre ennemi; c'est en votre nom qu'il a soulevé contre nous une ligue de rois, ennemis de cette liberté que vous avez juré de maintenir, protecteurs d'une autorité à laquelle vous avez renoncé tant de fois.

« Le peuple français voit ses frontières envahies, ses campagnes menacées; son sang a coulé sous le fer des soldats du despotisme: d'un bout du royaume à l'autre, des prêtres, des nobles, des factieux de toute espèce troublent le repos des citoyens, et, tous s'honorent du titre de vos défenseurs. Par quelle fatalité, sire, n'avons-nous pour ennemis que des hommes qui prétendent vous servir! Par quelle fatalité sommes-nous obligės de douter si ces ennemis de la France vous servent ou vous trahissent!

« Dans ce moment de danger, vous pouviez beaucoup, vous pouviez tout pour la sûreté de l'empire. Un ministère vigilant et ferme, digne de la confiance du peuple, appuyé de celle de ses représentants, assuré de la vôtre, eût bientôt rétabli l'ordre dans les armées, la paix dans les départements; et la France a dû être étonnée de voir des ministres dont elle connaissait le patriotisme, remplacés tout à coup par des hommes inconnus ou suspects, bientôt suivis par d'autres non moins inconnus encore. Quelques-uns peuvent sans doute être dignes de leur place; mais pouvons-nous attendre, aujourd'hui, qu'ils aient eu

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