Page images
PDF
EPUB

vota avec la gauche et prêta le serment à la constitution civile du clergé. Gausserand fut élu évêque du Tarn le 13 mars 1791, après plusieurs ballottages distançant de quelques voix seulement l'abbé Sermet, le prédicateur toulousain fort renommé et qui fut élu à son tour évêque constitutionnel de Toulouse. Gausserand fut sacré par Gobel, métropolitan de la Seine, et entra à Albi le 25 avril 1791. Il remplaçait un prélat libertin et débauché, qui avait peu ou pas résidé; pourtant les réfrataires surent détacher les catholiques du nouvel élu au bénéfice de ce cardinal célèbre, qui était entré fort tard dans les ordres après avoir été l'amant en titre de mademoiselle Poisson, puis de mademoiselle Rohan et de nouveau de mademoiselle Poisson, devenue la Pompadour. C'est ce Bernis, poète érotique et musicien sentimental, que Voltaire appelait Babet-la-bouquetière, par une double allusion aux fleurs de rhétorique dont le cardinal semait ses rimes galantes, et à une grosse bouquetière dévergondée, fort à la mode, qui se tenait à la porte de l'Opéra et que le cardinal honorait de sa couche.

Le nouvel évêque d'Albi était au contraire de mœurs sévères, ce qui n'empêcha pas le clergé antirévolutionnaire de lui préférer le prélat viveur et corrompu. Gausserand, le 5 avril, avait déjà écrit au pape une lettre fort humble, qui se termine par cette phrase: « Je ne cesserai jamais de prêcher, soit par mon exemple, soit par mes paroles, l'attachement à la foi catholique et au siège de Rome, l'obéissance au pape et l'amour pour votre Sainteté. » Gausserand n'en fut pas moins déclaré schismatique et le cardinal de Bernis, son prédécesseur, lanca contre lui les foudres de l'église. Les catholiques restés fidèles à Rome appelaient Gausserand l'abesqué de paillo (l'évêque de paille).

Durant tout son épiscopat, de l'avis même de ses adversaires, l'évêque constitutionnel d'Albi montra beaucoup de modération et fit ses efforts pour se concilier les dissidents. Il éprouva beaucoup de peine, après le Concordat, à résigner ses fonctions;

même après avoir donné sa démission, le 21 nivôse an XII, il persistait à porter le costume d'évêque et plusieurs fois les autorités durent lui en intimer la défense. Il se rétracta le 2 mai 1804 dans une lettre adressée au pape, dans laquelle il demandait à rentrer dans la communion de l'Église. Il mourut en 1816, à l'âge de 67 ans, à Toulouse où il s'était retiré.

JEAN-BERNARD.

CHARLES GERMAIN

DISCIPLE DES BABOUVISTES.

Charles Germain, ami de Babeuf, et dont l'attitude fut si énergique lors du procès de Vendôme, est moins connu qu'il le mérite.

C'était un homme de talent, écrivant bien en prose et en vers, plus pratique que Babeuf et qui, certainement, avait toutes les qualités d'un chef de cohorte révolutionnaire.

Il se rencontra, pour la première fois (1), avec Babeuf, dans la prison des Baudets d'Arras; et là, correspondit secrètement avec lui, l'encouragea, le protégea, le dirigea même, et le sacra chef des Égaux.

C'est en réponse à l'une de ses lettres que Babeuf fit un jour cette amère réflexion: Nous ne sommes pas de ce monde!

Plus tard, Babeuf et Germain se retrouvèrent dans les conspirations des Babouvistes, et marchèrent constamment d'accord, quoique d'un pas inégal.

On s'étonnera toujours que Germain, qui connaissait admirablement Babeuf, et qui était le mieux en situation de le juger, ne lui ait pas même consacré une notice. Est-ce ingratitude? Est-ce indifférence ou prudence? Nous ne pouvons que constater le fait.

Voici de lui une pièce de vers inédite, dont l'original est aux Archives nationales.

(1) Voir le chapitre : Babeuf dans la prison d'Arras, de notre Histoire de Gracchus, Babeuf et du Babouvisme (2 vol. in-8, sous presse).

Elle date de ses premières relations avec Babeuf.

Charles Germain à ses compagnons d'infortune.

Des prisons d'Arras, le 26 floréal an III.

Salut à vous dont la sainte énergie,
L'ardent courage et la mâle fierté,
Ont tant de fois sauvé la Liberté
Des noirs complots d'une cabale impie;
Salut à vous qui de la tyrannie
Pensiez avoir brisé tous les ressorts,
Quand vous voyiez respirer la Patrie
Applaudissant à vos vaillants efforts;
Salut à vous, compagnons d'infortune,
Braves amis, dignes d'un sort plus doux!...
Qui l'aurait cru, qu'un jour sous les verroux
Nous trainerions une vie importune,
Que les vengeurs du Peuple et de ses Droits,
Ceux dont le bras a renversé le trône,

Brisé le sceptre et foudroyé les rois,
Dans des cachots, que l'opprobre environne,
Chargés de fers!... Hélas ! qui l'aurait cru?...
Ainsi l'on voit dans Rome et dans Athènes
Se dégageant de ses ignobles chaînes
Le crime altier proscrire la vertu :

De sa Patrie il exile Aristide,
Arme Caton d'un poignard suicide,
Chasse Pompée et défait Cassius;

Le grand Lycurgue à Sparte est sa victime;
Epargne-t-il le vainqueur de Brennus?
Rien, mes amis, n'est sacré pour le crime;
Candeur, morale et magnanimité,

Il souille tout de son souffle empesté ;
Mais ses succès n'ont que l'éclat du verre,
Le même jour les voit naître et flétrir.
Ainsi Fréron, d'une gloire éphémère,
Quand tu jouis ce n'est que pour périr.
Oui, pour périr, toi, tes lâches complices,
Couverts de fange, en proie au vil mépris,
Vous mourrez tous les plus honteux supplices

De vos forfaits seront l'indigne prix.

De nos revers, ton âme enorgueillie,

Tu crois en vain fonder ta tyrannie
Et sous ton joug anéantir l'État;

César vainquit aux champs de Thessalie,
Bientôt Brutus le vainquit au Sénat.
Déjà l'Étrusque avait franchi le Tibre,
Déjà Tarquin s'avançait en vainqueur.
Peuple Romain, tu voulus être libre,
Scævole seul te suffit pour vengeur.
N'avons-nous pas nous aussi nos Scœvoles,
Leur fier courage et leurs hardis moyens?
N'avons-nous pas aussi nos Capitoles?
N'avons-nous pas nos rochers Tarpéïens?
Oui, nous vaincrons, recevez-en l'augure;
Mes chers Amis, vainement les pervers,
Les gouvernans nous forgeroient des fers;
Nous les vaincrons; l'intrigue, l'imposture,
Disparaîtront dans la nuit des enfers.
La Liberté n'est point un frêle arbuste
Qu'un vent léger couche dans le vallon;
Un tronc noueux porte sa tête auguste,
Jusques aux cieux, et sa touffe robuste
S'émeut à peine au courroux d'Aquilon :
Et tu voudrois, homme aussi vil que lâche,
Homme, que dis-je? Est-il homme, Fréron?
Toi, l'ébranler!... Hé bien, lève la hache,
Frappe et subis le destin de Milon.
Et toi, Français, dont la valeur insigne
A fait pâlir l'Europe et tous les rois,
Tu souffrirois... Non, ton âme s'indigne,
Tu vas voler à de nouveaux exploits...
Tu vas frapper les tyrans, les perfides;
Les scélérats, ils vouloient t'asservir!
Tourne contre eux leurs projets homicides,
Qu'aucun n'échappe, ils doivent tous périr.

CH. GERMAIN.

Charles Germain est né à Narbonne le 20 septembre 1770. Suivant son acte de baptême, que nous avons en mains, il était fils de messire Philippe-Nicolas Germain, conseiller du roi et contrôleur au grenier à sel de Senlis, et de dame Julie Dantan.

« PreviousContinue »