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LE MINISTÈRE GIRONDIN (FIN MARS 13 JUIN 1792).

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La période de quatre mois et demi qui va courir du 20 avril, époque de la déclaration de guerre contre l'Autriche, à la sanglante et décisive journée du 10 août, est la plus sombre, la plus anxieuse, la plus dramatique parmi celles, si nombreuses et si émouvantes, qui ont marqué les grandioses et douloureuses étapes de la Révolution.

Le duel n'est plus seulement dans les régions officielles entre les délégations supérieures du pouvoir, entre l'Assemblée et l'Exécutif, bataillant sur l'étroit terrain de la Constitution : du sentiment de tous, et sans équivoque possible, il est bien nettement entre le roi et la nation.

La guerre a été déclarée à l'Autriche; le roi, d'accord avec l'empereur, continue son œuvre de trahison avec le ministère occulte que tout le monde sent dans l'ombre, et que l'histoire

devait traîner plus tard en pleine lumière comme le plus irrécusable témoignage des crimes de la royauté, et comme la justification de sa déchéance nécessaire et de son irrémédiable indignité.

C'est bien là le Comité autrichien dénoncé par le journaliste Carra, par le député Brissot; il a ses deux agents à l'extérieur :

Breteuil à Vienne, et Mercy d'Argenteau à Bruxelles; aux Tuileries, il a pour directeur le roi et la reine, pour conseillers les ex-ministres Delessart, Bertrand de Moleville, Montmorin.

Le discours de Brissot suscita une émotion profonde : il déterminait ainsi, avec une sinistre vraisemblance, ce qu'il appelait luimême les traits caractéristiques de ce Comité : « 1° dévouement absolu de ce qu'on appelle la prérogative royale; 2o dévouement absolu aux intérêts de la maison d'Autriche; 3° point d'alliance avec la Prusse et l'Angleterre, quelque faciles et avantageuses qu'elles fussent; 4° indulgence envers les émigrés rebelles, sans adhérer cependant à toutes leur vues; 5° opposition à la guerre contre la maison d'Autriche, après l'avoir provoquée; 6o enfin projet d'établir deux chambres. >>

Telle fut la thèse que Brissot s'efforça de justifier.

Les mémoires publiés par Bertrand de Moleville, t. VIII, p. 39, ont démontré que ce programme de trahison n'avait rien de chimérique, et que le Comité autrichien, à l'existence duquel croyait le peuple, n'avait point été une création folle de l'imagination.

Bertrand de Moleville nous révèle que ce fut le génevois Mallet du Pan qui fut chargé par le roi, dès la déclaration de la guerre, de transmettre à l'empereur d'Autriche les instructions que devaient suivre les armées étrangères dans leur action contre la France, et ces instructions n'ont rien de contradictoire avec les traits caractéristiques signalés dans la dénonciation de Brissot.

On y saisit déjà l'inspiration du sauvage manifeste de Brunswick.

Le ministère girondin évidemment n'avait été imaginé par le Comité autrichien que pour couvrir les préparatifs non encore achevés de la conspiration royaliste, et endormir dans une fausse sécurité la vigilance des défenseurs de la Constitution.

A l'intérieur la situation devenait chaque jour plus violente :

à Paris, les Feuillants, anciens membres du club des Amis de la Constitution, étaient passés, sans réserve, dans le camp de la faction contre-révolutionnaire et faisaient cause commune avec le Comité autrichien. Le club des Jacobins s'était divisé sur la question de la guerre, et la politique meurtrière des suspects, des rivalités et des haines personnelles, inaugurée par Robespierre, qui en sera la plus sinistre personnification, y remplaçait les patriotiques préoccupations de l'immense majorité de la nation qui se précipitait d'enthousiasme aux frontières, sachant bien que c'était là qu'il fallait vaincre, pour en finir à l'intérieur avec la contre-révolution.

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Mais le plus redoutable ennemi c'est toujours le prêtre insermenté il avait la toute-puissance de l'impunité, car les décrets de l'Assemblée ne sauraient l'atteindre puisque le roi leur refusait obstinément la sanction, et il pouvait, sans crainte de la répression, organiser partout la guerre civile. En vain l'Assemblée manifestera sa résolution de mettre un frein à l'audace de la faction cléricale en supprimant, sur la proposition de l'évêque constitutionnel Torné, les congrégations séculières ecclésiastiques et laïques, en supprimant les corporations religieuses des deux sexes, même celles vouées au service des hôpitaux; en défendant l'exhibition du costume ecclésiastique (28 avril 1792) rien n'arrêtera l'ardente action du fanatisme qui, impatiente de toute temporisation, se manifestait partout dans les plus atroces excitations. La nation se levait dans un entraînement incompressible pour combattre : plus de 600,000 volontaires s'étaient mis en route, insouciants des obstacles administratifs, et pleins de confiance dans la souveraine sollicitude de la patrie que faisait le prêtre pour arrêter ce flot d'héroïsme qui menaçait d'anéantir, comme une trombe, à la frontière, Autrichiens, Prussiens, émigrés? L'argent étant le nerf de la guerre, le prêtre s'en allait prêchant partout la croisade contre l'armée de France, ajoutant au Credo cet abominable article: QUI PAYE

L'IMPOT EST DAMNÉ. « Nul point de foi, dit Michelet, trouvait le paysan plus crédule; avec ce simple mot, habilement répandu, le prêtre, sans bouger, paralysait l'action du gouvernement, tranchait le nerf de la guerre, livrait la France à l'ennemi. »

Aussi, le 5 mai 1792, Français de Nantes, dans son rapport sur les prêtres insermentés à la tribune de l'Assemblée nationale, signalait-il en ces termes les dangers extrêmes de la situation : « Le projet de loi que le Comité vient de soumettre à votre discussion renferme des dispositions sur les prêtres dissidents qui sont tellement importantes que le salut public dépend peut-être de la détermination que vous allez prendre..... Le despotisme, dans tous les pays, s'est appuyé sur deux choses: sur une armée et sur une église. Lors de la Révolution française, les chefs de l'armée ont fui; les soldats se sont souvenus qu'ils étaient citoyens, et le despotisme a manqué par cette base. -- L'Église, toujours ambitieuse et adroite, toujours forte des grands intérêts dont elle sait couvrir le sien, toujours puissante, par ce qu'elle promet et par ce dont elle menace, toujours active dans les souterrains mystérieux que la politique a su lui ménager, a tenu plus ferme, et elle a continué de se conduire d'après ce système raisonné qu'on lui voit suivre depuis quinze siècles, et dont les combinaisons ont toujours été d'attirer à elle le pouvoir et les richesses dans les temps d'ignorance, sous le nom d'Eglise triomphante, et de se rattacher dans les temps de lumière les esprits faux et prévenus sous le nom d'Église persécutée. Ses pontifes ont fui; mais un grand nombre de ses ministres, au lieu de se rappeler qu'ils appartiennent à la Patrie, ont feint de se rappeler qu'ils appartenaient à Dieu, nom sous lequel on a commis toutes sortes de crimes sur la terre.

..... « Il est connu de tout le monde qu'un grand nombre de dissidents, depuis trente mois, ont écrit, prêché, confessé pour la cause de la contre-révolution, fanatisé et armé les villages, et que pas un seul n'a été puni..... Je suppose que les quinze ou

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vingt mille dissidents aient dans leur faction une vingt-cinquième partie de la population, c'est-à-dire un million d'êtres, y compris les femmes, les enfants et les imbéciles par nature, et les imbéciles par art; voilà une cause toujours agissante d'anarchie, voilà un moyen de contre-révolution que vous laissez s'inoculer dans l'État, qui provoquera des attaques,... de sorte qu'il s'agit peut-être, ou de dissoudre ce moyen, ou de laisser se dissoudre un jour sa constitution.

«..... Et si les gardes nationales sont obligées de se porter aux frontières, que deviendra alors l'intérieur, abandonné par les patriotes et livré au fanatisme? Et quel est celui d'entre vous qui peut ne pas trembler lorsqu'il réfléchit que vous avez auprès de vos armées et le long des frontières des hommes qui peuvent en ouvrir les portes aux ennemis, en accroître le nombre de tous les simples dont ils ont la confiance, et qu'ils ont des bannières toutes prêtes pour les soldats de l'Église et des absolutions pour tous les conspirateurs! etc. »

Après une discussion approfondie, l'Assemblée vota le 27 mai le décret de déportation contre les prêtres insermentés, convaincus d'avoir excité des troubles, décret dont voici l'énergique exposé des motifs : « Considérant que les efforts auxquels se livrent constamment les ecclésiastiques non sermentés pour renverser la Constitution, ne permettent pas de supposer à ces ecclésiastiques la volonté de s'unir au pacte social, et que ce serait compromettre le salut public que de regarder plus longtemps comme membres de la société des hommes qui cherchent évidemment à la dissoudre; considérant que les lois générales sont sans force contre ces hommes qui, agissant sur les consciences pour les égarer, dérobent presque toujours leurs manœuvres criminelles au regard de ceux qui pourraient les faire réprimer et punir. >>

Le ministère n'avait pas seulement les yeux ouverts sur la conspiration cléricale; il suivait, avec une égale vigilance,

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