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Alors seulement on aura une histoire véritable et impartiale de notre Révolution. Il faut tendre à ce but, et tous ceux qui apportent leur contingent à la grande œuvre ont droit à nos remerciements. M. Jean-Bernard est de ceux-là, et la Révolution française, qui met son honneur à encourager les études de l'histoire révolutionnaire et qui compte parmi ses patrons Carnot, Jean Macé, Édouard Charton, J.-C. Colfavru, Ernest Brelay, Anatole de la Forge, Henri Bordier et Auguste Dide, dont chacun connaît les magistrals travaux sur la Révolution, et parmi ses amis et collaborateurs l'élite des érudits spéciaux, tels que le docteur Robinet, Aulard, Victor Jeanvrot, François Rouvière, Antonin Dubost, Ernest Bosc, André Folliet, J. Penaud, Léon de Montluc, Albert Le Roy, Félix Bouvier, le docteur Arnaud, Emmanuel des Essarts, Gustave Hubbard, Maurice Spronck, la Révolution française, dis-je, adresse ses félicitations et ses encouragements à M. Jean-Bernard. Qu'il persévère dans son œuvre. Il a la foi et la passion nécessaires à ceux qui luttent. Et comment ne pas se passionner quand on raconte des événements aussi extraordinaires? Seul, l'esprit généralisateur, dont je parlais plus haut, pourra écrire sans passion l'histoire de la Révolution, car alors la vérité se sera fait jour et il n'y aura plus ni ennemis ni adversaires à combattre. Mais ce jour n'est pas encore venu.

ÉTIENNE CHARAVAY.

LES

ÉVÊQUES CONSTITUTIONNELS

ÉTIENNE NOGARET,
évêque de la Lozère.

Il y a près d'un siècle, les habitants des montagnes de la Lozère étaient loin d'être éclairés comme ils le sont aujourd'hui. La Révolution ne comptait dans ce département que de rares partisans. Mais c'est surtout après la promulgation de la loi sur la constitution civile du clergé que les prêtres fanatiques purent faire œuvre antipatriotique en exaltant, en soulevant ces masses ignorantes et crédules, grâce à des mensonges habilement débités sur les dangers imaginaires que couraient les personnes, les biens, les propriétés, les familles de ces bons pay

sans.

Madame de Fressac, née Lorvan, femme du chevalier de Fressac qui, au dire de certain biographe, était un «< partisan dévoué de la monarchie, » et que le duc d'Angoulême, en juin 1815, désigna comme préfet de la Lozère, écrivait de Vebron, le 22 juillet 1791, au général d'Albignac, commandant à Nîmes :

« ... Mon mari vien d'etre nommé il y a troi semeine au Directoire du département de la Lozère; depuis qu'il est dans ce pay la, il a vu que tout étoit arristocrate, le directoire meme, il n'y a que quelque membre qui ne le son poin. La ville de

Mende est meme devenue un repair d'arristocratie..... Néanmoi, la tranquillité n'a pas été troublée parce que les décret de l'Assemblée si éxécute très lentement et sertin pas du tout. Le peu de patriote qui si trouve son très gênés dans leur avis; il desirerai, Monsieur, est vous prie, de leur envoyer un régiment patriote; allors, tout changeroi dans ce pay là. Si vous ne pouvès poin envoyer de regiment sans les ordre du directoire, il est impossible de les avoir, expéter de quelque membre. Il vous prie toujour de leur accorder votre protection est de leur dire ou de me mander la conduite qu'il doivent tenir. L'Assemblée nationale vouloit envoyer de troupe il y a troi ou quatre moi, est le Directoire, qui est très gangrené, dit que la tranquillité n'étoit poin troublé; elle ne les poin efextivement dans ce moment, parce qu'on n'exécute point les decret de l'Assemblée (1)... »

C'est, en effet, ce que raconte Étienne Nogaret, évêque constitutionnel du département de la Lozère, dans la lettre suivante qu'il écrivait une semaine plus tard au même officier général :

« Monsieur le Commandant,

<< Permétés-moi de vous faire le tableau de ce qui se passe dans ce département. Le mal semble estre porté icy à son comble. Il n'y a que Marvejols et Florac qui soient dans le sens de la Révolution et veillent à l'exécution de la loi. Le reste du département et surtout la ville de Mende est infectée d'une aristocratie incroyable. Chanac, séjour du cy devant évêque, est le foyer qui a fanatisé tous les prêtres, et les prêtres ont fanatisé le peuple au point que je crains une insurrection générale dans ce département. La ville de Mende en donne le signal; cent prêtres qui sont le débris du cy devant chapitre inondent ce

(1) L'original fait partie de notre collection d'autographes. Nous l'avons recopié textuellement, mais en y mettant la ponctuation qui fait totalement défaut. Si M. Taine avait vu cette lettre, écrite par une noble main, il aurait été plus indulgent à l'égard des sans-culottes dont l'orthographe n'était pas plus fantaisiste et dont l'écriture était peut-être moins détestable.

pays d'écrits incendiaires qui éloignent le peuple de la cathédrale et le portent à la révolte; on l'a tellement séduit qu'il se porte à nous huer, à nous insulter publiquement dans les rues, lors même des fonctions de notre ministère, à venir chanter le jour et la nuit sous nos fenêtres les chansons les plus insultantes; nous avons souffert jusqu'icy avec patience touts ces outrages, mais mes vicaires et moi n'avons assez de force pour résister aux menasses qu'on nous fait d'incendier la maison épiscopale; nous ne pouvons exercer notre ministère de nuit. auprès des malades sans exposer notre vie. Je ne puis moimême achever l'organisation de la cathédrale, vu que les sujets que j'apelle craignent d'estre sous les coups qui nous menassent. Tous ces maux et ceux qui résultent du défaut de remplacement des curés réfractaires ne finiront jamais, et le remplacement des curés ne se faira jamais sans le secours des troupes de ligne; on voit icy ce désordre, on voit cette révolte contre la loi avec tranquilité; on craint, on n'ose rien entreprendre, ou mieux on ne veut rien entreprendre pour opérer la réforme; l'opinion du peu des patriotes est icy sans fruit. Jugés, Monsieur, de la nécessité du prompt secours que je demande ; le mal est grand, le mal est instant, accordès nous donc, Monsieur, des troupes de ligne pour l'exécution de la loi et pour notre sécurité, je vous en fais ma prière; votre amour pour le bien me fait espérer de vous cette grâce; je vous en témoignerai toujours ma reconnaissance par mon parfait dévouement.

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« E. NOGARET, évêque du département de la Lozère. »

Mende, le 30 juillet 1791.

<< P. S. On vient de trouver ce matin une grande quantité d'écrits répandus dans toutes les rues, où on lit ces mots : Peuple, soulevés vous pour chasser ou plustôt pour massacrer ces prêtres constitutionels. Il ne sera plus tems de nous don

ner du secours quand nous serons devenus victimes de la rage du peuple; la paix n'est pas troublée, a-t-on dit, mais veut-on attendre que nous soyons immolés. Nous ne comptons icy absolument sur aucun secours (1). »

Le courage n'était pas, on le voit, la qualité dominante de Nogaret.

F. ROUVIERE.

DOMINIQUE LA COMBE,

évêque constitutionnel de Bordeaux.

Dominique La Combe, né à Montrejeau (Haute-Garonne), le 26 juillet 1749, était recteur du collège de Guyenne à Bordeaux, au moment de la Révolution. Il fut un des premiers à prêter serment à la Constitution civile du clergé, et fut élu curé de Saint-Paul à Bordeaux. Peu après, il devint député à l'Assemblée législative. La lettre suivante, adressée, le 14 janvier 1792, par La Combe, au président de cette Assemblée, nous apprend que le nouveau député n'avait pu encore, à cette date, quitter sa cure pour venir siéger à Paris.

« Monsieur le Président,

« Je venais d'être nommé curé de Saint-Paul à Bordeaux, lorsque je fus élu député à la première législature. J'acceptai cette honorable mission, espérant qu'il me serait facile de trouver un pasteur qui voulût, pendant mon absence, me remplacer auprès de mon troupeau. Mais jusqu'à présent mes recherches ont été inutiles; et dans une crise où le fanatisme redouble ses efforts, je n'ai pas cru devoir abandonner une paroisse de neuf mille âmes dont je suis le seul ministre avec un jeune coopérateur, pour aller prendre ma part du fardeau que sept cent cinquante législateurs soutiennent avec tant de gloire. Monsieur

(1) L'original est en notre possession.

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