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Chaque nation a seule le pouvoir de se donner des lois et le droit inaliénable de les changer à son gré. Ce droit n'appartient à aucune ou leur appartient à toutes avec une entière égalité; l'attaquer dans une seule, c'est déclarer qu'on ne le reconnaît dans aucune autre. Vouloir le ravir à un peuple étranger, c'est annoncer qu'on ne le respecte pas dans celui dont on est le concitoyen ou le chef; c'est trahir sa patrie, c'est se proclamer l'ennemi du genre humain. La nation française devait croire que des vérités si simples seraient senties par tous les princes, et que, dans le dix-huitième siècle, personne n'oserait leur opposer les vieilles maximes de la tyrannie. Son espérance a été trompée, une ligue s'est formée contre son indépendance, et elle n'avait que le choix d'éclairer ses ennemis sur la justice de sa cause, ou de leur opposer la force des armes. Instruite de cette ligue menaçante, mais jalouse de conserver la paix, l'Assemblée nationale a d'abord demandé quel était l'objet de ce concert entre les puissances si longtemps rivales; et on lui a répondu qu'il avait pour motif le maintien de la tranquillité générale, la sûreté et l'honneur des couronnes, la crainte de voir se renouveler les événements qu'ont présentés quelques époques de la Révolution française. Mais comment la France menacerait-elle la tranquillité générale, puisqu'elle a pris la résolution solennelle de n'entreprendre aucune conquête, de n'attaquer la liberté d'aucun peuple, puisqu'au milieu de cette lutte longue et sanglante, qui s'est élevée dans les PaysBas et dans les Etats de Liège, entre le gouvernement et les citoyens, elle a gardé la neutralité la plus rigoureuse? Sans doute, la nation française a prononcé hautement que la souveraineté du peuple n'appartient qu'au peuple, qui, borné dans l'exercice de sa volonté suprême par les droits de la postérité, ne peut déléguer de pouvoir irrévocable; elle a hautement. reconnu qu'aucun usage, aucune loi expresse, aucun consentement, aucune convention ne peuvent soumettre une société

d'hommes à une autorité qu'ils n'auraient pas conservé le droit de reprendre. Mais quelle idée les princes se faisaient-ils donc de la légitimité de leur pouvoir ou de la justice avec laquelle ils l'exercent, s'ils regardaient l'énonciation de ces maximes comme une entreprise contre la tranquillité de leurs États? Diront-ils que cette tranquillité pourrait être troublée par les ouvrages, les discours de quelques Français ? Ce serait alors exiger, à main armée, une loi contre la liberté de la presse; ce serait déclarer la guerre au progrès de la raison; et quand on sait que partout la nation française a été impunément outragée, que les presses des pays voisins n'ont cessé d'inonder nos départements d'ouvrages destinés à solliciter la trahison, à conseiller la révolte; quand on se rappelle les marques de protection ou d'intérêt prodiguées à leurs auteurs, croira-t-on qu'un amour sincère de la paix, et non la haine de la liberté, ait dicté ces hypocrites reproches? On a parlé des tentatives faites par les Français pour exciter les peuples voisins à reprendre leur liberté, à réclamer leurs droits. Mais les ministres qui ont répété ces imputations, sans oser citer un seul fait qui les appuyât, savaient-ils combien elles étaient chimériques? Et ces tentatives. eussent-elles été réelles, les puissances qui ont souffert le rassemblement de nos émigrés, qui leur ont donné des secours, qui ont reçu leurs ambassadeurs, qui les ont publiquement admis dans leurs conférences, n'auraient pas conservé le droit de se plaindre, ou bien il faudrait dire que tout est légitime contre les peuples, que les rois seuls ont de véritables droits, et jamais l'orgueil du trône n'aurait insulté avec plus d'audace à la majesté des nations.

« Le peuple français, libre de fixer la forme de sa Constitution, n'a pu blesser, en usant de ce pouvoir, ni la sûreté ni l'honneur des couronnes étrangères. Les chefs des autres pays mettraient-ils donc au nombre de leurs prérogatives le droit d'obliger la nation française à donner au chef de son gouvernement

un pouvoir égal à celui qu'eux-mêmes exercent. dans leurs États? Voudraient-ils, parce qu'ils ont des sujets, empêcher qu'il n'existât ailleurs des citoyens libres? Et comment ne s'apercevraient-ils pas qu'en se croyant tout permis pour maintenir ce qu'ils appellent la sûreté des personnes, ils déclarent légitime tout ce qu'on pourrait entreprendre pour la restauration de la liberté des autres peuples. Si des violences, si des crimes ont accompagné quelques époques de la Révolution française, c'était aux seuls dépositaires de la volonté nationale qu'appartenait le pouvoir de les punir ou de les ensevelir dans l'oubli. Tout citoyen, tout magistrat, quel que soit son titre, ne doit demander justice qu'aux lois de son pays, ne peut l'attendre que d'elles. Les puissances étrangères, tant que leurs sujets n'ont pas souffert de ces événements, ne peuvent avoir le droit de s'en plaindre ni de prendre des mesures hostiles pour en empêcher le retour. La parenté, l'alliance personnelle entre les rois n'est rien pour les nations; esclaves ou libres, des intérêts communs les unissent; la nature a placé leur bonheur dans la paix, dans les secours mutuels d'une douce fraternité: elle s'indignerait qu'on osât mettre dans une même balance le sort de vingt millions d'hommes et les affections ou l'orgueil de quelques individus? Sommes-nous donc condamnés à voir encore la servitude volontaire des peuples entourer de victimes humaines les autels des faux dieux de la terre?

<«< Ainsi, ces prétendus motifs d'une ligue contre la France n'étaient tous qu'un nouvel outrage à son indépendance. Elle avait droit d'exiger une renonciation à des préparatifs injurieux, et d'en regarder le refus comme une hostilité. Tels ont été les principes qui ont dirigé les démarches de l'Assemblée nationale; elle a continué de vouloir la paix, mais elle devait préférer la guerre à une patience dangereuse pour la liberté. Elle a juré de périr plutôt que de souffrir que l'on portât atteinte à la souveraineté du peuple ni surtout à cette égalité sans laquelle

il n'existe, pour les sociétés humaines, ni justice, ni bonheur. Reprocherait-on aux Français de n'avoir pas respecté les droits des autres peuples, en n'offrant que des indemnités pécuniaires, soit aux Allemands possessionnés en Alsace, soit au pape? Les traités avaient reconnu la souveraineté de la France sur l'Alsace, et elle y était paisiblement exercée depuis plus d'un siècle. Les droits que ces traités avaient réservés sont des privilèges. La nation devait un dédommagement aux possesseurs pour les avantages réels qui en étaient la suite; c'est là tout ce que peut exiger le droit de propriété, quand il se trouve en opposition avec la loi, en contradiction avec l'intérêt public. Dira-t-on qu'on peut, pour dédommager ces princes, leur abandonner une portion du territoire? Non, une nation généreuse et libre ne vend point les hommes, elle ne condamne point à l'esclavage, elle ne livre point à des maîtres ceux qu'elle a une fois admis au partage de sa liberté.

Les citoyens du Comtat étaient maîtres de se donner une constitution, ils pouvaient se déclarer indépendants, ils ont préféré d'être Français, et la France ne les abandonnera point après les avoir adoptés. Eût-elle refusé d'accéder à leurs désirs? Leur pays est enclavé dans son territoire, et elle n'aurait pu permettre à leurs oppresseurs de traverser la terre de la liberté, pour aller punir des hommes d'avoir osé se rendre indépendants, et reprendre leurs droits. Ce que le pape possédait dans ce pays était le salaire des fonctions du gouvernement; le peuple, en lui ôtant ses fonctions, a fait usage d'un pouvoir qu'une longue servitude avait suspendu, mais n'avait pu lui ravir, et l'indemnité proposée par la France n'était pas même exigée par la justice.

« On a fait entendre que le vœu du peuple français pour le maintien de son égalité et de son indépendance, était celui d'une faction; mais la nation française a une Constitution; cette Constitution a été reconnue, adoptée par la généralité des

citoyens; elle ne veut être changée que par le vœu du peuple, et suivant des formes qu'elle-même a prescrites. Tant qu'elle subsiste, les pouvoirs établis par elle ont seuls le droit de manifester la volonté nationale; et c'est par eux que cette volonté a été déclarée aux puissances étrangères. C'est le roi qui, sur l'invitation de l'Assemblée nationale, et en remplissant les fonctions que la Constitution lui attribue, s'est plaint de la protection. accordée aux émigrés, a demandé inutilement qu'elle leur fût retirée; et l'on doit s'étonner sans doute d'entendre annoncer, comme le cri de quelques factieux, le vœu solennel du peuple, publiquement exprimé par ses représentants légitimes.

<«< Quel titre aussi respectable pourraient donc invoquer les rois qui forcent des nations égarées à combattre contre les intérêts de leur propre liberté, à s'armer contre des droits qui sont aussi les leurs, à étouffer sur les débris de la Constitution française, les germes de leur propre félicité et les communes espérances du genre humain?... Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'une faction qu'on accuse d'avoir conspiré pour la liberté universelle du genre humain?... C'est donc l'humanité tout entière que des ministres esclaves osent flétrir de ce nom odieux!... Mais disent-ils, le roi des Français n'est pas libre. Eh! n'est-ce donc pas être libre que de ne dépendre que des lois de son pays? La liberté de les contrarier, de s'y soustraire, d'y opposer une force étrangère, ne serait pas un droit, mais un crime.

« Mérite-t-on le nom d'agresseur lorsque menacé, provoqué par un ennemi injuste et perfide, on lui enlève l'avantage de porter les premiers coups? Ainsi, loin d'appeler la guerre, l'Assemblée nationale a tout fait pour la prévenir. En demandant des explications nouvelles sur des intentions qui ne pouvaient être douteuses, elle a montré que si l'orgueil des rois est prodigue du sang de leurs sujets, l'humanité des représentants d'une nation libre est avare du sang de ses ennemis.

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