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« Et vous, véritables représentants du peuple, législateurs patriotes, venus de tous les coins de l'empire pour mettre en commun vos lumières et vos bonnes intentions, en vain étudiezvous les besoins de vos commettants; en vain interrogez-vous la sagesse de tous les lieux et de tous les âges, pour en appliquer les résultats à la régénération de votre pays. A quoi aboutiront vos travaux assidus et pénibles? Votre bon génie vous inspire vainement des décrets accommodés aux circonstances; à côté de vous est le génie du mal qui veille pour détruire le bien à mesure que vous l'opérez.

<< Comme au château des Tuileries on doit sourire avec dédain, en jetant les yeux sur la salle du Manège! Là dedans laissez-les tout à leur aise motionner, discuter, délibérer; en dernière analyse, il n'en sera toujours que ce que je voudrai, se dit la cour. La nation veut absolument avoir une volonté à elle, et n'obéir désormais qu'aux lois qu'elle se sera faites. Nation inconséquente et frivole, il n'y a pas beaucoup de gloire à te tromper! Tu relis avec orgueil la Déclaration des Droits de l'homme et ta Constitution; tu en multiplies les pages comme les grains de la mer, afin que le reste des nations de l'Europe apprenne de toi à être libre; tu contemples avec complaisance tes décrets fondamentaux qui sont tous des chefs-d'œuvre à tes yeux! Exceptes-en un du moins et vois comme il a été aisé de renverser l'échafaudage de ton système représentatif! Une seule loi surprise au jugement sain dont tu dis avoir fait preuve, a suffi pour infirmer toutes les autres. Il est beau de n'obéir qu'à des lois résultat du concours de toutes les volontés; mais y a-t-il de quoi te vanter de ta législation nouvelle, qui confère à un pouvoir constitué, et placé par toi hors de toi, une volonté individuelle et négative, plus forte que toutes les autres volontés positives ensemble, puisqu'elle a la faculté d'en suspendre l'exercice! La loi permet tout ce qu'elle ne défend pas; mais le roi est plus puissant qu'elle, puisqu'il a le droit de

défendre non seulement ce qu'elle permet, mais même ce qu'elle ordonne.

<< Nation imprudente, continue la cour en s'applaudissant et en insultant à nos réflexions tardives, tu as donné dans le premier piège que je t'ai tendu, et il ne m'en a fallu qu'un. Va ! le seul veto me venge assez de tous les dégoûts dont tu m'abreuves depuis deux années. Ne vante plus ton courage et tes sentiments romains, la perspicacité de ta vue et la finesse de ton tact, peuple imbécile qui n'aime que le bruit et le mouvement; parce que tu t'agites, tu te crois libre: sois détrompé, et vois toute l'étendue de l'abîme où j'ai su t'entraîner au milieu de tes chants d'allégresse et de tes menaces. Va! sache que tu es fait pour être esclave, et que tu le seras tant que j'aurai le veto, et c'est la Constitution que tu idolâtres qui me l'a donné. Tu m'as forcé à l'accepter, ce pacte solennel; j'ai le droit à mon tour de t'obliger à en exécuter toutes les clauses. Peuple né seulement pour porter mon bagage, marche devant moi, et ne t'avise pas de regimber: la verge du veto, continuellement levée sur ta tête, te fera rentrer dans le devoir; obéis et sers, dans tes loisirs, rêve à l'indépendance, si cela t'amuse, j'y consens, et paye des représentants pour te faire des décrets; mais ceux-là seuls qui me plairont auront force de loi; je suis toujours ton législateur suprême comme auparavant, et je puis encore te dire : Car tel est mon bon plaisir; j'ordonnais, sic volo, je défends veto; la chose est restée, il n'y a que le mot qui n'est plus le même, j'étais jadis roi de France, c'est-à-dire seigneur suzerain d'un fief de vingt-cinq mille lieues carrées, aujourd'hui je suis roi des Français, c'est-à-dire maître de leurs volontés. La Constitution m'a fait plus grand que je n'étais. Monarques de l'Europe, hâtez-vous, imitez-nous permettez à vos États de s'assembler, et n'appréhendez rien. Si vous obtenez le veto, vous serez encore tout-puissants.

« Si ce n'est pas là ce qu'on dit tout haut au comité des Tui

leries, c'est bien là ce qu'on y pense. Mais toute médaille a son revers, et le triomphe de la cour pourrait bien ressembler à ceux des Romains: derrière le char triomphal, des citoyens se faisaient plaisir de jeter quelques feuilles d'absinthe dans la coupe des louanges où s'enivrait le vainqueur; quelques vérités dures s'échappaient du milieu de la foule et perçaient jusqu'à son oreille superbe à travers le nuage d'encens qui exaltait son

cerveau.

«Ne serait-il pas possible de rétablir cet ancien usage? Ne se trouvera-t-il pas quelque franc patriote assez courageux pour hanter la cour, dans l'espoir de saisir la première occasion de faire parvenir au roi lui-même quelques vérités utiles et salutaires de l'espèce de celle-ci:

<< Louis! tout succède à nos vœux, et même au delà; la Révolution, qui semblait devoir saper la base d'un trône souillé par quatorze cents ans de crimes, n'a fait que vous le rendre plus commode et mieux assuré que jamais. Vous venez de frapper de nullité une loi qui suspendait le glaive de la justice sur la tête des ennemis de la patrie, seule guerre qu'il était de notre dignité de déclarer aux émigrants et à leurs alliés. Votre second veto est encore une grâce accordée à d'autres traîtres, forts de la faiblesse des esprits, ennemis domestiques plus dangereux peut-être que ceux du dehors.

« Ces deux premiers essais de l'exercice du droit le plus redoutable qu'on ait imaginé de confier individuellement à un homme ont été trop heureux pour ne pas vous enhardir; et désormais, sans doute, le veto sera comme le van du laboureur, qui retient le bon grain et ne laisse aller que la balle stérile. Vous, manifestez clairement l'intention de ne sanctionner que les décrets insignifiants ou qui vous seront agréables, et de refuser le caractère de loi à ceux dictés par l'opinion, attendus par le peuple, mais hors du sens de votre comité.

« Vous avez pour vous la Constitution; vous n'usez que d'un

droit qu'elle vous donne: il n'y a rien à vous dire. Ce n'est pas vous qui avez sollicité la loi du veto, du moins vous ne l'avez pas fait officiellement, en un mot c'est un décret constitutionnel. Malheur au malavisé qui se lèverait maintenant pour réclamer contre ! Ce serait un factieux, un mauvais citoyen. N'est-ce pas bien là ce que vous avez droit de répondre, ce que le parti qui vous représente dans l'Assemblée nationale a répondu au courageux Delcher? et cette réponse ne souffre pas de réplique. Vous et les vôtres êtes parfaitement en mesure.

<< Mais est-ce donc tout que d'avoir pour lui le sens littéral de la loi? et pourra-t-on impunément violer l'esprit qui l'a dictée ? Suffit-il d'invoquer et de remplir les formes? Appuyé sur elles, sera-t-il permis d'insulter à la raison, de fouler aux pieds les convenances sociales, et de compromettre le repos et le bonheur de toute une nation? La Constitution est chose sainte, et, avec les meilleures intentions du monde, personne ne doit y toucher; mais aussi tout ce qu'elle ne défend pas est permis.

Voyez l'article V de la Déclaration des Droits. Or, elle ne défend pas de se mettre en garde contre un prince qui ferait un indigne abus du pouvoir monstrueux que la loi lui donne.

<« La loi recommande le respect envers tous les pouvoirs constitués, mais elle ne défend pas le mépris pour la personne du magistrat suprême qui avilirait, par son caractère équivoque, la majesté de la nation dont il se dit le représentant héréditaire; mais elle ne nous défend pas de manquer de confiance envers ceux de nos fonctionnaires publics qui nous deviendraient suspects par une conduite louche et perfide, parce que la confiance ne se donne pas en vertu du décret, fûtil émané du sein de l'aréopage.

<< La Constitution accorde au prince un veto suspensif et ne prononce aucune peine contre les législateurs assez lâches pour le laisser dégénérer en veto absolu; mais elle ne parle pas du

veto de l'opinion pubique; elle ne défend donc pas, elle permet donc d'en appeler à l'opinion publique pour frapper à son tour de nullité le veto royal, suspensif ou absolu.

<< La Constitution a décrété la loi martiale, mais elle ne défend pas, donc elle permet au peuple de se rassembler sans armes sur le passage du roi ou aux portes de son château, et de lui faire dire par un orateur député par lui:

<«< Sire! nous sommes ici présents sous vos fenêtres cinquante mille citoyens paisibles, pas si bien habillés que vos gardes, mais nous nous sommes dépouillés pour les vêtir. Écoutez-nous sans intermédiaire : nous venons vous parler de vos veto. Vous avez attendu bien tard pour en user; cependant le décret du marc d'argent vous en offrait une belle occasion. Il paraît que vous voulez réparer le temps perdu; mais nous vous le demandons sans humeur, répondez-nous de même si vous prenez l'habitude de dire veto à chaque bonne loi, à chaque décret urgent, à quoi nous servira-t-il d'avoir une Assemblée nationale? Ce n'était pas la peine qu'ils accourussent de si loin et qu'ils fissent tant de beaux discours pour bien arranger un décret que vous anéantissez d'un mot! Savez-vous, sire, que c'est bientôt dit, veto, et qu'on a été plus longtemps à combiner la loi contre les émigrants et les prêtres? Convenez avec nous, sire, qu'il n'est guère probable que vous possédiez à vous seul plus de lumières et de sagesse que les quatre-vingt-trois départements ensemble; convenez qu'il est étrange d'attacher la destinée d'un peuple immense à deux syllabes tombées de vos lèvres royales. Du fond de votre palais, obsédé la nuit et le jour par une épouse vindicative et une sœur bigote, entre un Barnave et un Dandré, un Malouet et un Talleyrand, comment pourriezvous vous flatter de connaître la véritable disposition des esprits? Dites! comment s'y est-on pris pour vous persuader de mettre votre volonté particulière, ou plutôt les décisions de votre petit comité des Tuileries, à la place du vouloir général ? Il faut autre

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