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nerie française, le Grand-Orient de France. Bonaparte, qui connaissait la puissance de l'institution et qui la redoutait, avait voulu la dominer en ¡ui imposant un grand maître, le maréchal Magnan. Le Grand-Orient de France accepta la lutte, et Pelletan vint y prendre sa place de combat. Il présida la loge de l'Avenir il y apporta ce haut enseignement de philosophie et de patriotisme que ne pouvait supporter un gouvernement de mensonge, de violence, de démoralisation; mais, pour échapper à une exécution imminente et ménager des intérêts supérieurs, il résolut de suspendre pour un temps lui-même son activité. Loin d'être une défaite cette résolution était une victoire, et le gouvernement le comprit si bien que, plus tard, il ne fit aucune opposition à la reprise des travaux non plus qu'à celle du programme qui n'avait point été modifié.

Tel fut ce soldat intrépide de la Révolution et de la République, marchant au canon de l'effort pour la délivrance, de quelque point que sa voix se fit entendre, et laissant ainsi aux générations qui arrivaient à la vie politique, non seulement l'enseignement de l'écrivain, mais celui de l'exemple.

C'est pourquoi nous saluons de nos plus respectueuses et de nos plus tendres sympathies la mémoire de ce noble cœur et de ee patriote accompli.

Pour la Rédaction, le Secrétaire :

ÉTIENNE CHARAVAY.

UN ORATEUR ATHÉE

LE

CONVENTIONNEL JACOB DUPONT

Jacob Dupont, député d'Indre-et-Loire, ami des Girondins (1), parla plus d'une fois, à la Législative, sur les questions de finances, et se fit écouter: mais il ne comptait point encore parmi les orateurs quand, le 14 décembre 1792, il exposa avec beaucoup d'éclat les idées de Diderot et des Encyclopédistes en matière d'instruction publique et scandalisa les Robespierristes par une profession d'athéisme, faite du ton d'un philosophe réfléchi et non pas avec la légèreté du rhéteur Isnard.

Le 12 décembre, Lanthenas, au nom du comité d'instruction publique, avait présenté un projet de décret sur l'organisation des écoles primaires, qui devaient former le premier degré d'instruction.

Durand-Maillane lut un discours où il critiquait ce projet comme établissant un système d'éducation trop scientifique. A la fois catholique et disciple de Jean-Jacques Rousseau, il préférait hautement la vertu à la science, demandait pour les enfants quelques notions simples, qui les préservassent de l'in

(1) On a très peu de détails sur lui. La Biographie de Leipzig dit qu'il était maire de Pérusson.

fluence corruptrice d'une civilisation trop compliquée, trop savante; s'opposait à ce que l'État donnât un enseignement plus élevé que l'enseignement primaire; enfin concluait par un éloge pompeux de la religion catholique. D'autre part, Mazuyer combattit le plan proposé comme trop coûteux (1).

Dupont leur répondit à tous deux dans un discours vif et nerveux qui s'élève tellement au-dessus du ton ordinaire des débats auxquels il se rapporte que nous croyons en devoir citer la plus grande partie :

<< Vous avez entendu les articles d'un projet de décret qui vous ont été présentés par votre comité d'instruction. Ils étaient relatifs à l'organisation des écoles primaires, demandée avec tant d'insistance, et depuis si longtemps, par tous les citoyens de la République. Ce n'est pas sans une extrême surprise que j'ai vu deux orateurs se présenter à la tribune pour combattre l'article qui venait d'être décrété. Le premier, se déclarant le panégyriste de l'ignorance, mêlant à un très petit nombre de vérités un très grand nombre d'erreurs, a cherché à en répandre de si grossières, qu'il est impossible à tout citoyen impartial et tant soit peu sage, de garder plus longtemps le silence, et de ne pas indiquer du moins les plus saillantes, en attendant que

(1) Je ne connais du discours de Mazuyer que ce que Dupont lui-même nous en apprend. Quant au discours de Durand-Maillane, on le trouvera dans le Journal des débats et des décrets, supplément au n° 92, sous la date du 18 décembre 1792, à la suite du rapport et du projet de décret de Lanthenas, que le Moniteur rapporte, ainsi que le discours de Durand-Maillane, au 12 décembre. Préoccupés du procès de Louis XVI, les journaux mutilèrent cette discussion sur l'instruction publique et en intervertirent l'ordre à plaisir. Le Moniteur donne tout le discours de J. Dupont, le Journal des débats et des décrets se borne à le mentionner en ces termes: «< L'ordre du jour appelait la continuation de la discussion sur les écoles primaires. Jacob Dupont obtient la parole; il réfute l'opinion de Durand-Maillane et les calculs de Mazuyer. Quelques-unes de ses phrases sur la religion ont épouvanté les consciences de plusieurs membres de l'Assemblée. Déjà on criait sur lui: à la guerre civile. Jacob Dupont a dit: Je déclare que suis athée. On a ri, et il a terminé son opinion. Nous le donnerons en entier. » Cette promesse ne fut pas tenue. - Les deux journaux s'accordent pour placer le discours de Dupont dans la séance du 14 décembre 1792.- Le Républicain universel ne mentionne pas la discussion.

ce discours très peu philosophique, digne des siècles précédents, soit plus connu, et qu'il puisse être réfuté dans toutes ses parties; le second, s'appuyant sur une fausse base, a énoncé un faux résultat, déduit d'un plus faux calcul; mais les erreurs avancées, et le poison distillé par les opinants, sont de nature à ne pas rester sans réponse et sans antidotes, à moins que la Convention nationale ne consentît à rétrograder de deux siècles et à nous faire redevenir Barbares, Goths ou Vandales.

« Je remarquerai d'abord que Durand-Maillane a osé répéter, après le 10 août 1792, des sophismes et des paradoxes du philosophe génevois qui, après avoir dit que le besoin éleva les trônes, et que les sciences et les arts les ont affermis, ajoute que les sciences et les arts corrompent les mœurs; je le demande à Durand-Maillane, député des Bouches-du-Rhône, en présence de l'image de Brutus et de celle de Jean-Jacques lui-même : qu'est-ce donc qui arma les braves Marseillais contre les rois et la royauté? Sont-ce les préjugés et l'ignorance du quatorzième siècle, ou la philosophie et les lumières de la fin du dix-huitième? Qu'est-ce donc que cette prétendue corruption de mœurs (1), tellement exagérée, qu'il faudrait penser, suivant nos aristarques, à voir bientôt la vertu et la probité exilées de la terre de la liberté? Sans doute, sur cette terre heureuse, il existe des hommes pervers et corrompus, comme dans toutes les associations civiles et politiques qui réunissent plusieurs millions d'individus; mais comparons, je vous en conjure, les mœurs de certains peuples de l'Asie, à cette époque abrutis par l'ignorance et le despotisme, et les mœurs de la masse du peuple français régénéré et éclairé, depuis le milieu de ce siècle, par une série de philosophes dont, à la vérité, on se plaît aujourd'hui à dire autant de mal que l'on en disait dans le conseil des rois. En faveur de

(1) Durand-Maillane avait dit: « Peut-être ne sommes-nous si corrompus que parce que nous sommes trop savants. >>

quel peuple sera l'avantage? Ne sortons point, je le veux encore, du cercle tracé autour de la France.

<«< Eh quoi! les mœurs de nos pères du quinzième et du seizième siècle étaient-elles moins corrompues que les nôtres ? Je dis plus pouvaient-elles être moins corrompues que les nôtres ? Les passions qui forment les habitudes des hommes, comme celles des peuples, ne sont-elles pas les mêmes, à des époques plus ou moins éloignées; et si ces passions sont évidemment les mêmes; si, aux yeux des hommes réfléchis et qui s'en dépouillent pendant quelques instants pour juger les hommes et les peuples, il n'y a de différence que dans la direction et l'intensité que savent leur imprimer la nature, le principe et la forme des gouvernements, pourquoi veut-on que l'ignorance, qui se trouve alors d'un côté, soit meilleure pour l'espèce humaine, soit plus morale que la philosophie, la raison éclairée et perfectionnée qui se trouvent de l'autre côté? Est-ce à l'époque où la masse entière de tout un peuple immense s'est soulevée pour que chaque individu reprenne son caractère et sa dignité d'homme; est-ce à cette époque que l'on voudra nous faire entendre qu'il n'y a plus ni probité, ni vertu, ni grandeur d'âme? Il est clair, au contraire, que le peuple fût-il le plus corrompu de tous les peuples, ses mœurs doivent devenir plus pures nécessairement par la nature même de la catastrophe que les progrès des lumières et de la raison ont amenée. Tout peuple plongé dans l'ignorance, où les sciences, les arts et les lettres ne sont pas cultivés, est condamné à être esclave, c'est-à-dire à n'avoir que des mœurs corrompues; jamais un pareil peuple ne connaîtra le dogme sacré de l'insurrection, de la résistance à l'oppression; et quand il connaîtrait ce dogme sacré, vous ne le lui verriez jamais mettre en pratique. Mais tout peuple éclairé sera libre quand il le voudra. Je dis plus: les lumières amènent nécessairement la liberté, parce qu'elles font connaître les droits d'un chacun, droits que l'ignorance, dans laquelle on voudrait nous

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