pas assez forte pour porter les idées dont Mirabeau l'avait enivré. » Et que dire du chapitre de Quatre-Vingt-Treize où le poète fait de Danton une sorte de prostitué politique?

Sur Mirabeau, Victor Hugo a publié des pages plus éloquentes que documentées. Il a imaginé l'orateur de la Constituante bien plus qu'il ne l'a vu. Les imaginations du poète sont splendides, sans doute; on voudrait, lorsqu'on les connaît, que la réalité eût pris la peine de s'y conformer; on souhaiterait que le tribun eût ressemblé au lion agité, furieux, bondissant, que Victor Hugo nous raconte; mais la prosaïque histoire exige qu'on voie en Mirabeau un orateur sobre de gestes, à la parole grave et majestueuse.

Au surplus, nous le répétons, ce sont là d'insignifiants détails dans une œuvre colossale. Il faut, en outre, s'empresser d'ajouter qu'en plusieurs circonstances Victor Hugo a apprécié la partie et l'esprit de la Révolution française avec un éclat sans égal de vérité et d'admiration. Il suffit de signaler, à ce sujet, le chapitre sur le vieux conventionnel qui se rencontre dans les Misérables et les vers magnifiques où il célèbre, dans les Châtiments, l'héroïsme des soldats de l'an II:

La liberté sublime emplissait leurs pensées
Flottes prises d'assaut, frontières effacées
Sous leur pas souverain,

O France, tous les jours c'était quelque prodige,
Chocs, rencontres, combats; et Joubert sur l'Adige,
Et Marceau sur le Rhin!

On battait l'avant-garde, on culbutait le centre,
Dans la pluie et la neige et de l'eau jusqu'au ventre,
On allait en avant!

Et l'un offrait la paix, et l'autre ouvrait ses portes,
Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes,

Se dispersaient au vent!

Oh! que vous étiez grands au milieu des mêlées,
Soldats ! l'œil plein d'éclairs, faces échevelées

Dans le noir tourbillon.

Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête,
Et comme les lions aspirent la tempête

Quand souffle l'aquilon.

Eux dans l'emportement de leurs luttes épiques,
Joyeux, ils savouraient tous ces bruits héroïques,
Le fer heurtant le fer,

La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
Et ton rire, ô Kléber!

Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères !
Contents, ils disaient oui !

Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes !
Et l'on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui.

La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
Ils eussent sans nul doute escaladé les nues,

Si ces audacieux,

En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République,

Montrant du doigt les cieux!

Ce sont là d'inoubliables accents; la poésie française n'en a pas de plus fiers et l'humanité n'en a pas entendu de plus grandioses.

Victor Hugo (contrairement à l'opinion commune) ne s'était pas converti sur le tard, seulement, aux idées républicaines. Je trouve, dans le Journal des idées et des opinions d'un révolutionnaire qu'il fit paraître en 1830, cette prophétie sur la République et cette définition de la République: « La République, selon moi, la République qui n'est pas encore mûre, mais qui aura l'Europe dans un siècle, c'est la société souveraine de la société; se protégeant, garde nationale; se jugeant, jury; s'administrant, commune; se gouvernant, collège électoral. »

Quelques années plus tard il écrivait à un de ses amis : «< La

République sera la couronne de nos cheveux blancs. » Enfin,
quelques semaines avant sa mort, il disait à notre vaillant
Anatole de la Forge qui lui parlait de la célébration du cente-
naire de 1789 : « Ce sera la grande fête de l'humanité; oui,
vous avez raison, ce serait la suprême récompense de la pré-
sider. Mais c'est trop tard, j'appartiens à Dieu. »

AUGUSTE DIDE.

P.-S. J'ai reçu deux excellents ouvrages dont je compte
parler prochainement : le premier a pour titre : l'Ancien régime
dans une bourgeoisie lorraine. C'est une savante et très curieuse
étude historique de M. Munier-Jolain, jeune avocat d'avenir. Le
livre de M. Munier-Jolain a pour éditeur M. Berger-Levrault.

Le second ouvrage est un traité, un manuel plutôt d'édu-
cation nationale par Championnet. Il est agrémenté de très
amusants et très pittoresques dessins. Cet intéressant volume,
dû à la plume d'un des plus admirables soldats de la Révolu-
tion, a été publié par le très érudit M. Marcellin Pellet et édité
par M. Quantin. Le livre de Championnet a sa place marquée
dans toutes nos bibliothèques populaires. C'est un joli et char-
mant livre à mettre dans les mains de nos enfants et de nos
écoliers.

Paris.

-

A. D.

Le Gérant: CL. CHARAVAY.

Imp. E. CAPIOMONT et V. RENAULT, rue des Poitevins, 6.

TABLES

TABLE DES COLLABORATEURS

Notes sur Char- | JEAN-BERNARD. Les députés de
les Germain, p. 804. Une bro- Toulouse à l'Assemblée consti-
chure de Mirabeau restituée à Ba-
tuante, p. 704. - Notice sur l'évêque
beuf, p. 889.
Gausserand, p. 801. L'évêque
Sermet, p. 915. - L'élection du car-
dinal de Brienne comme évêque
constitutionnel de Toulouse, p. 288.