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tion ne devrait pas vous arrêter; là où domine le régime militaire, là il n'y a plus de liberté, et ce n'est pas avec le secours de tels hommes qu'une Constitution libre s'établit ; mieux vaut avoir dix ennemis déclarés qu'un seul ennemi caché. Je ne sais qui a fait plus de mal à la France, Coblentz ou les faux patriotes qui se sont fait nommer dans nos administrations et dans nos armées. Mais, dit-on, on remplacera difficilement ces officiers généraux, car ils sont expérimentés. C'est avec cette crainte éternelle qu'on nous a empêchés d'avoir une armée patriotique. Plût au ciel que, dès l'origine, le génie de la France nous eût délivrés de ces officiers avilis par des préjugés. A quoi nous ont-ils servi jusqu'ici? Ils se paralysent volontairement, ou ils quittent leur poste au moment du combat: avec du patriotisme, du courage, du bon sens, on forme en peu de temps de bons officiers, non à la prussienne, mais à la française, etc... Ces considérations ne peuvent donc pas nous empêcher d'être justes. Dans un gouvernement quel qu'il soit, dit Rousseau, où un individu est au-dessus de la loi, tous les autres sont soumis à celui-là, et il n'y a plus de liberté. »

L'Assemblée ordonna l'impression du discours de Brissot; puis, par une inconcevable contradiction, elle repoussa les conclusions du rapport par 406 voix contre 224.

La proclamation de ce vote par le président fut accueillie avec stupeur d'abord, puis avec une indignation violente par la population de Paris. On le considéra comme un acte d'abdication dans les circonstances graves où se trouvait la patrie, et l'on ne doutait plus que la proposition de déchéance n'eût le même sort que la demande de mise en accusation de La Fayette. Les plus sages durent se rendre à cette opinion trop justifiée qu'il n'y avait aucun acte d'énergie à attendre d'une Assemblée qui, comprenant le péril de la situation, n'avait plus aucune énergie pour le combattre.

La séance du 9 acheva de porter cette conviction dans les es

prits les plus sincères, et l'opinion dominante était que le peuple seul, dans un suprême effort de patriotisme et de résolution, pouvait sauver la patrie et la liberté.

L'insurrection était donc, dès le 20 juin, faite dans les esprits: le peuple s'y préparait ostensiblement, la cour ne cachait pas ses formidables apprêts d'agression ou de défense; et la journée du 10 août ne fut une surprise pour personne.

Ce que nous avons voulu établir, en restreignant l'exposé de ces événements aux documents parlementaires extraits du Moniteur, c'est que la nation fut contrainte par les trahisons et les provocations du pouvoir exécutif à le renverser, et à chercher dans sa défaite, devenue nécessaire, le salut de la France et de la Révolution.

Quant au drame grandiose et terrible qui s'appelle la journée du 10 août, nous convions le lecteur à en suivre les émouvantes phases dans les pages éloquentes que lui a consacrées Michelet. Nous n'en reproduisons que cet extrait :

<«<L'insurrection seule, la plus prompte insurrection pouvait encore sauver la France. Il n'y avait pas un jour à perdre. La royauté, toujours aux Tuileries, servant de point de ralliement aux nobles et aux prêtres par tout le royaume, c'était le plus formidable auxiliaire des armées de la coalition. La reine attendait, appelait ces armées la nuit et le jour. Elle avouait à ses femmes ses vœux et ses espérances. « Une nuit, dit madame <«< Campan, que la lune éclairait sa chambre, elle la contempla, «<et me dit que dans un mois elle ne verrait pas cette lune, saus « être dégagée de ses chaînes. Elle me confia que tout marchait « à la fois pour la délivrer. Elle m'apprit que le siège de Lille « allait se faire, qu'on leur faisait craindre que, malgré le com«mandant militaire, l'autorité civile ne voulût défendre la «ville. Elle avait l'itinéraire des princes et des Prussiens ; tel « jour ils devaient être à Verdun, tel jour à un autre endroit. »

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« Quelle était la pensée forte et calme sur laquelle dormait le peuple, et qui servit d'oreiller à tant d'hommes dont cette nuit (9 au 10 août) fut la dernière? Un des combattants du 10 août, qui vit encore, me l'a expliqué nettement : « On vou<«< lait en finir avec les ennemis publics; on ne parlait ni de << république ni de royauté; on parlait de l'étranger, du << comité autrichien qui allait nous l'amener. Un riche boulan« ger du Marais, qui était mon voisin, me dit sous le feu le plus vif, dans la cour des Tuileries: c'est un grand péché de << tuer ainsi des chrétiens; mais enfin c'est autant de moins << pour ouvrir la porte à l'Autriche. »

<«< Le 10 août, disons-le, fut un grand acte de la France. Elle périssait, sans nul doute, si elle n'eût pris les Tuileries.

«La chose était fort difficile. Elle ne fut nullement exécutée comme on l'a dit, par un ramas de populace, mais véritablement par le peuple, je veux dire par une masse mêlée d'hommes de toute classe: militaires et non militaires, ouvriers et bourgeois, parisiens et provinciaux.

«Tout cela fut enlevé d'un même mouvement d'indignation, de patriotisme.

« Il faut le répéter. Il n'y eut aucun auteur du 10 août, rien que l'indignation publique, l'irritation d'une longue misère, le sentiment que l'étranger approchait, et que la France était trahie. Nul homme alors, ni Danton, ni Santerre, ni personne n'avait assez d'ascendant pour décider un tel mouvement. Il n'y eut aucun général de l'insurrection.

«... La France fut sauvée par la France, par des masses inconnues.

<< L'impulsion fut donnée par l'étranger même, par ses menaces insolentes. Nous lui devons ce magnifique élan de colère nationale, d'où sortit la délivrance. »>

J.-C. COLFAVRU.

(à suivre.)

LE DÉPARTEMENT

DE SEINE-ET-MARNE

A LA CONVENTION

CROQUIS HISTORIQUE ET BIOGRAPHIQUE.

III. BERNIER.

Louis-Toussaint-Cécile Bernier naquit à Crécy en Brie, sur la paroisse Notre-Dame de la Chapelle, le 20 janvier 1761, de Toussaint Bernier, marchand, et de Cécile-Euphrosine Juvigny (1). Après avoir fait ses études au séminaire-collège de Meaux, il étudia le droit et devint avocat. En 1792 il occupait dans cette dernière ville une modeste charge, et s'y distinguait par une probité sévère et une expérience prématurée ; jointes à ces qualités précieuses, ses opinions libérales, ses idées élevées, sa facilité d'élocution, inspirèrent la confiance et le si

(1) Registres de baptêmes de Notre-Dame de la Chapelle-sur-Crécy. Parrain : Juvigny, avocat au parlement, notaire et procureur au bailliage de Crécy; marraine, Marguerite Coquillet, veuve de Louis Jannot, marchand. Les biographes ont souvent confondu Louis-Toussaint-Cécile Bernier avec son homonyme Louis-François Bernier, député à l'Assemblée législative (17911792) pour le département de l'Oise. Ce dernier, né à Passy en Valois (Aisne) le 28 décembre 1754, a terminé sa carrière le 12 avril 1823, cultivateur et maire de Marizy-le-Grand.

gnalèrent au choix de ses concitoyens. Élu maire, il fut presque aussitôt appelé à siéger à la Convention nationale.

La trop courte carrière de Bernier est peu connue. Comme homme politique, il a publié quelques brochures, rares aujourd'hui, et dans le procès de Louis XVI il vota pour la détention jusqu'à l'acceptation de la Constitution, avec sursis permettant au peuple de « juger directement le ci-devant monarque. »

« Vous avez vous-mêmes déclaré, dit-il à ses collègues, que tout ce qui aurait rapport au sort général de la République, que tout ce qui pourrait influer sur la Constitution, serait soumis à la sanction, à la ratification du peuple : j'ai la conviction intime que la décision que vous porterez sur Louis Capet aura une très grande influence sur le sort général de la République et sur la constitution que vous proposerez. Le peuple doit donc en disposer suivant son intérêt (1). »

Bernier s'acquitta de plusieurs opérations délicates dont il il fut chargé par la Convention après le 9 thermidor, et parvint, non sans difficultés, à éviter les proscriptions qui l'ont menacé. Une loi du 12 pluviôse an III entre autres, l'envoya en mission dans les départements d'Eure-et-Loir et de l'Eure. Là, il procéda d'abord au désarmement des anciens comités révolutionnaires (2); sa conduite sage et énergique lui permit d'échapper aux excès d'une émeute soulevée à Évreux à l'occasion du transport des grains destinés à la ville de Paris. Dans la séance du 25 germinal le député Auguis, au nom du comité de Sûreté générale, donna lecture à la Convention d'une lettre dans laquelle le patriote Bernier rendait compte des faits : « Hier 21 germinal, à trois heures après-midi, j'arrive des Andelys à Évreux ; j'apprends que seize voitures chargées de grains destinées pour Paris ont été arrêtées à Vernon et les blés distribués

(1) Opinion de L.-T.-C. Bernier; Paris, Cérioux, in 8° de 3 pages.

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(2) Moniteur du 15 floréal an III. - Voir aussi son discours prononcé à Chartres le 9 ventôse; Chartres, Durand, in-4°.

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