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leur éloquence, car elles partaient du cœur, elles sortaient de bouches nullement grossières, mais passionnées. Et puis pour quelques séances orageuses, combien de séances calmes et majestueuses ne comptèrent pas la Législative et la Convention! Même dans le tumulte les Montagnards obtenaient le silence et les Girondins arrivaient à le conquérir à force de génie. Ces cris, dont nous avons cité des exemples, étaient des intermèdes violents, qui font connaître les orateurs de ce temps - là presque aussi bien que leurs grands discours, et dont on regrette que les journaux ne nous aient pas plus souvent donné le détail. Si aujourd'hui le Français paisible souffre de ces violences, il aurait tort d'oublier que ce ne furent pas là des conditions défavorables à l'art de la parole politique. Tacite, que les hommes de ce temps-là aimaient à traduire, n'a-t-il pas dit que les orages mêmes du forum libre donnaient un aliment à la grande éloquence? Quæ singula etsi distrahebant rempublicam, exercebant tamen illorum temporum eloquentiam (1).

VII

Mais quelle éloquence pouvait-il y avoir avec le bonnet rouge, la carmagnole, les sabots, le tutoiement? Je réponds qu'on a singulièrement exagéré la liberté de tenue des Législateurs et des Conventionnels. Qu'on prenne une des estampes qui représentent le procès de Louis XVI, et on verra qu'en janvier 1793 pas un député ne portait encore le bonnet rouge. Oui, Brissot recommanda, en 1792, le bonnet rouge et la coiffure à la Titus. La coiffure fut généralement adoptée: mais je doute que Brissot lui-même ait paru à la Convention avec le bonnet sur la tête. Il y aurait, certes, autant de pédantisme à disculper cette mode inoffensive qu'à la critiquer. Mais enfin il est constant que la

(1) De oratoribus, XXXVI.

plupart des députés s'en abstinrent jusqu'au bout. Quant à la carmagnole et aux sabots, au fort de la Terreur, une infime minorité de Conventionnels prirent en effet ce costume par peur, et non par goût (1). Ce fut pour leur lâcheté une leçon sévère que l'attitude des chefs de la Montagne, dont la plupart dédaignèrent, avec Robespierre, une mascarade qui était une basse flatterie à l'adresse du public des tribunes. Quant au tutoiement, qui n'a rien d'ailleurs d'antioratoire, qui fut même éloquent à son heure, c'est encore une erreur de croire que les orateurs révolutionnaires en usèrent généralement. «< Guadet (dit Paganel), président de l'Assemblée législative, tutoya ses collègues et ne crut pas avilir cette première dignité. Le tutoiement devint universel parmi la multitude, disposée à ce nouvel usage par son éducation (2)... » Comme Paganel fit partie de la Législative et de la Convention, la plupart des historiens ont accepté son dire sans vérifier. S'ils avaient consulté le Moniteur, le Journal des Débats et le Logographe, ils y auraient vainement cherché trace de ce tutoiement pendant les deux présidences de Guadet à la Législative (22 janvier 1792 et 10 août). Président de la Convention, il s'adressa en ces termes à Danton, le 26 octobre 1792 « Danton, je vous rappelle à l'ordre pour vous être servi d'une expression très déplacée (3). » Ce n'est que dans la seconde moitié de l'année 1793 que le tutoiement devint un usage officiel : mais, dans la langue parlementaire, il ne fut jamais obligatoire, et beaucoup d'orateurs ou manquèrent à cette mode populaire ou surent l'esquiver.

(1) Léonard Bourbon fut un de ceux qui s'abaissèrent à ces artifices grossiers A la Convention, il fut un des premiers qui introduisirent l'usage de l'avilir par des formes indécentes, comme d'y parler le chapeau sur la tête et d'y siéger avec un costume ridicule. » (Note manuscrite de Robespierre, ap. Courtois, p. 192).

(2) Essai historique et critique, 1, 460-462.

(3) Même formule dans le Journal des débats et des décrets (p. 693): « Le président, s'adressant à Danton, lui a dit: Danton, je vous rappelle à l'ordre.... >> M. Biré (Légende des Girondins, p. 77) a répété l'erreur de Paganel.

Est-il vrai que ce tutoiement ait été inventé, conseillé par Brissot ? Il n'en usa jamais à la tribune et dans le Patriote français, il se borna à de sages réflexions sur l'emploi des mots monsieur et citoyens : « Outre l'aristocratie des titres féodaux, écrit-il le 21 septembre 1792, il y avait aussi l'aristocratie des titres bourgeois; et cette aristocratie n'est pas encore détruite. L'orgueil citadin met encore une grande différence dans ses appellations Monsieur, le sieur, le nommé, etc. Il y a une gradation dont les nuances n'échappent pas aux oreilles susceptibles de nos bourgeois. La Convention nationale, qui doit balayer ces misérables restes de l'ancien régime, ne souffre pas dans son sein le titre de Monsieur: on lui a substitué celui de citoyen. » Et Brissot proposait même de ne faire précéder les noms d'aucun titre : « Disons Petion, Condorcet, Payne, comme on disait à Rome Caton, Cicéron, Brutus. » Cet usage prévalut, et, quant au titre de Monsieur, il est bien vrai qu'à la Convention il ne fut employé que par ironie (1). En tout cas, quand la Révolution simplifia ainsi le code du cérémonial, si les orateurs parlementaires acceptèrent en partie cette réforme, ce fut bien moins pour plaire au peuple des ouvriers et des paysans que pour imiter la noble familiarité de ces Grecs et de ces Romains qu'on avait entrevue au collège. Les uns acceptèrent le tutoiement, la suppression du mot monsieur, par esprit de fraternité ou par politique; à d'autres, j'en suis sûr, ces formules nouvelles parurent plus belles, parce qu'elles étaient plus classiques. Il en est, certes, que le bonnet rouge séduisit par sa forme archaïque, et quand Brissot en conseille l'usage, il allègue pompeusement Rome et la Grèce (2).

(1) Le 14 janvier 1793, Thuriot dit : « Je demande à répondre à Buzot, puis que monsieur (Hardy) ne veut pas lui répondre. » Et Buzot, le 28 janvier suivant : « Quand ces messieurs parlent, je ne les interromps pas. Plusieurs voix à gauche de la tribune: C'est vous qui êtes un monsieur. » Cf. Mon., réimpr., xv, 570, 572, 695.

(2) Patriote français du 6 février 1792.

Que résulte-t-il de ces remarques? Qu'on s'est trompé lorsqu'on a considéré ces formes de costume et de langage comme universellement adoptées à la Législative et à la Convention. Si Robespierre eût été le seul à se vêtir et à parler avec la politesse de l'ancien régime, son rôle n'eût pas été soutenable. Ces déguisements, inoffensifs d'ailleurs, furent étrangers à Vergniaud, à Danton, à Billaud, à Saint-Just, à Camille Desmoulins, à Couthon, pour citer au hasard les plus doux et les plus violents. Mais c'est de la naïveté de voir dans ce tutoiement et dans ce bonnet rouge un retour volontaire à la barbarie et comme «< la livrée du crime; » en cela, on était pédant, on l'était avec délices, mais on ne se croyait pas mal élevé.

F.-A. AULARD.

L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

SON OEUVRE.

SON ACTION.

(HUITIÈME ARTICLE.)

LA JOURNÉE DU 10 AOUT 1792.

Le manifeste prussien de Brunswick était une provocation sauvage: <«< il tomba comme sur de la poudre tombe une étincelle. »

Il ne fit pas le 10 août, qui était inévitable; mais il le précipita en lui donnant comme une irrésistible impulsion l'indignation et la révolte de tous les Français qui plaçaient au-dessus de toutes les divisions politiques l'indépendance et l'amour de la patrie.

Vainement Louis XVI, continuant son rôle misérable de duplicité, enverra le 3 août à l'Assemblée nationale un message dans lequel il protestera, comme toujours, de son dévouement à la Constitution, de son amour pour la nation; vainement il affirmera qu'il n'a négligé aucun moyen d'assurer le succès de nos armes contre l'agression étrangère. C'est par des murmures que l'Assemblée recevra ces déclarations dont elle connaît la valeur ; et lorsque quelques membres de droite, amís aveugles ou complices de la cour, demanderont l'impression de ce message, le député Ducos appuiera et fera voter la question préalable, proposée par son collègue LACROIX, en déclarant, aux

4e ANNÉE. - II.

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