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âgé de trente-quatre ans, taille de cinq pieds deux pouces, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, front haut, visage un peu allongé, et prêtez-lui aide et assistance en cas de besoin, et a signé : « BOUCHEREAU.

<< FROMENT.

« Délivré en la Maison Commune de Chauny le six novembre mil sept cent quatre-vingt-douze.

« HANRY, pour l'absence du secrétaire. >>

Au verso de ce passe-port se trouve la mention suivante :

<< Vu par nous administrateurs composant le Directoire du district de Chauny, en séance publique et permanente, le passeport de l'autre part délivré au citoyen Bouchereau, et que nous déclarons ne viser qu'avec le plus sensible regret qui est au delà de toutes expressions, parce qu'il nous sépare d'un citoyen aussi estimable qu'utile et qui, par son patriotisme et ses rares talents, a bien mérité de la patrie et des administrations.

Fait à Chauny le 6 jour de novembre 1792 l'an Ier de la République française.

(Suivent huit signatures.)

(Communiqué par MM. E. Dapremont, adjoint au maire de Chauny, et Picaud, conseiller municipal.)

LA RÉVOLUTION AU SALON

Dans le bel article écrit par M. Carnot pour le premier numéro de la Révolution, nous lisons cette phrase: « La cause de la Révolution n'a pas besoin d'être plaidée : elle est gagnée ; le devoir est maintenant de rassembler et de mettre en lumière les documents épars de son histoire, afin d'en préciser de mieux en mieux la tradition. » Ces lignes écrites, il y a quatre ans, sont tout le programme de notre Revue qui a déjà rendu de grands services à tous ceux qui s'occupent de la merveilleuse époque, une des plus curieuses, des plus intéressantes et des plus troublantes de l'histoire des peuples. Mais l'œuvre entreprise ne serait pas complète si on négligeait une série importante de documents fournis par des peintres et des sculpteurs qui sont, eux aussi, des chercheurs, des trouveurs et des propagateurs. Telle toile nous en dit quelquefois plus long que bien des volumes indigestes que nous pourrions citer; une statue d'un des hommes de la Révolution frappe souvent davantage la foule que les études les plus consciencieuses. La Révolution n'avait pas le droit d'ignorer ces travaux du pinceau et du ciseau, du crayon et du burin, qui sont aussi des pages éloquentes de notre histoire révolutionnaire; telle est la raison de ce salon dans notre Revue.

Nous voulons faciliter aux futurs historiens la besogne en leur indiquant les documents qui passent tous les ans sous nos yeux aux diverses expositions du palais de l'Industrie. Quelle admirable histoire de la Révolution ne ferait-on pas, rien qu'en reproduisant les tableaux des maîtres retraçant les principaux événements, ou faisant revivre les traits des personnages de

l'épopée nationale! Mais, hélas! où se trouvent tous ces tableaux, où sont cachées les nombreuses statues qui pourraient former les divers chapitres de cette histoire artistique sans précédent ?

Que de richesses documentaires qui ont ainsi figuré dans les galeries des diverses expositions depuis près de cent ans, et qui sont à peu près perdues pour nous! Nous voulons tâcher de dresser ce catalogue que nous aurions désiré voir commencer par nos devanciers.

En prenant la plume de critique, faut-il que nous fassions une profession de foi artistique? A quoi bon !

Oh! ce n'est pas que cela soit plus difficile qu'autre chose en somme, et c'est à la portée du premier venu. Rien n'est plus aisé que de drainer quelques expressions techniques, quelques termes du métier dans les ouvrages spéciaux, et de nous donner ensuite l'air entendu d'un critique influent en jetant toutes ces locutions ramassées aux bons endroits aux yeux des naïfs. Mais nous n'en ferons rien; nous ne sommes pas de ceux qui barbouillent leurs écrits de termes pédants et vagues pour se donner des mines de régents. Non, nous estimons que l'on peut très bien parler arts sans pour cela faire le sucré ; la peinture et la sculpture ayant, suivant notre modeste avis, pour but principal de reproduire la nature telle qu'elle est ou telle qu'elle fut, pour juger de la ressemblance entre le tableau et le modèle point n'est besoin d'avoir dévalisé les tables analytiques des œuvres de Charles Blanc. Si par exemple nous avons à juger une toile qui ait l'intention de nous représenter une jeune fille à son premier frisson, et que le peintre ait donné à son personnage des manières raides, « momiesques,» fades, sans expressions, ternes en tout, nous dirons : Eh bien non! vrai ! ce n'est pas ça. Nous avons tous vu des jeunes filles chastes et timides que l'amour venait d'effleurer de son aile- - car nous en avons tous vu, n'estce pas? et ce n'est pas ainsi qu'elles étaient faites. C'est une

question de comparaison, de bon goût, de bon sens, et en histoire une question de bon savoir et de bonne foi.

De même pour la sculpture : L'artiste a-t-il voulu façonner un Camille Desmoulins adolescent, le lendemain de son premier acte de foi, dans la force de la nature, et nous donne-t-il - comme nous l'avons vu à un des Salons des années précédentes un pauvre hère, grêle, contorsionné, presque difforme, nous lui répondrons franchement : « Désolé, mais vous avez fait fausse route. » Le jeune homme qui prend possession de luimême n'en devient pas estropié et ne ressemble en rien à votre fil de fer tordu recouvert de plâtre.

En un mot, nous constaterons plus que nous n'apprécierons; c'est ainsi que nous entendons nous régler.

La peinture a consacré seulement quinze toiles à la Révolution, et nous devons dire que ce ne sont pas les moins belles ni les moins remarquées.

La première, celle qui, par la date de la scène qu'elle représente et par sa valeur, se place de beaucoup au premier plan et rend tout parallèle impossible, est la Jacquerie de M. de Rochegrosse. Ce tableau appartient de droit à la série des toiles révolutionnaires, car cette terrible levée de paysans au milieu du quatorzième siècle est bien un des chapitres de l'origine de la Révolution. Louis Blanc l'a dit avec grande raison : « L'Histoire ne commence et ne finit nulle part. » Or, est-ce que cette révolte de 1358 n'est pas une des pages de cette longue préface de cette Révolution qui devait avoir son dénouement pas sa solution en 1793 ?

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je ne dis

Les paysans, réduits à la famine, se révoltent contre l'abominable droit des seigneurs féodaux, et, comme dit Froissart <«< ils roboient (volaient) et ardoient (brûlaient) tout, et tuoient, et efforçoient, et violoient toutes dames et pucelles, sans merci,

ainsi comme chiens enragés..... » Et plus loin : « Entr'autres désordonnances et vilains faicts, ils tuèrent un chevalier et boutèrent en une broche, et le tournèrent au feu et le rôtirent. devant la dame et ses enfants, après ce que dix ou douze eurent la dame efforcée et violée, ils les en voulurent faire manger et par force; puis les tuèrent et firent mourir de måle mort. »

M. Rochegrosse, qui est décidément un grand artiste, a choisi le moment où une foule de pauvres jacques, malingres, souffreteux, portant sur leur corps les traces des nombreuses années de misère et de famine, en pleine rage, se ruent dans le château incendié, dans la grande pièce déjà envahie par la fumée et où se sont réfugiées les châtelaines qu'ils vont «< efforcer » comme dit Froissart, si l'incendie qu'ils ont allumé leur en donne le temps, et qu'ils vont massacrer dans tous les cas. Ils ont déjà fait justice du seigneur dont ils portent la tête et le cœur au bout de fourches. Les paysans sont pourtant pris d'un restant de crainte à la vue des femmes des nobles que la peur affole. Seule la douairière se dresse devant eux comme pour protéger les filles et les enfants, qui se tordent pêle-mêle sur le plancher dans les affres de la peur. On a reproché à l'aïeule protégeant sa nichée d'être d'un mouvement mélodramatique; vraiment le reproche est plaisant; comment cette vieille douairière n'aurait-elle pas une pose sortant des habitudes banales, elle qui, en face de ces jacques ivres de rage, essaye encore, par son seul prestige, de disputer à la mort la vie de ceux qui lui sont chers, dans ce château à demi-livré aux flammes, dont on entend comme les crépitements! Cette femme est précisément touchante par l'accès de grandeur et de dignité outrée qu'elle trouve dans cet instant de suprême danger. La Jacquerie est une des œuvres supérieures et il n'y en a pas beaucoup au c'est une page éloquente et saisissante

Salon de cette année,

qui fait revivre toute une phase de la misère populaire, et l'artiste a vraiment été émouvant; voilà un tableau qui nous fait

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